2.2.2.2011Quelques solutions théoriques et méthodologiques

Un premier moyen de remédier aux difficultés précédemment énoncées est de concevoir des techniques ne mettant pas en jeu le langage sur le modèle des techniques d'inférence utilisées dans l'analyse du concept de soi (L'Ecuyer, 1978). Par exemple, certains auteurs (Wellman, 1977, 1978) évaluent la métamémoire à travers les jugements comparatifs émis sur des dessins représentant des situations de mémoire (classement des tâches de la plus facile à la plus difficile). Cette technique n'est cependant pas très naturelle et sujette aux limites de la représentation imagée de phénomènes abstraits.

En se basant sur un modèle emprunté à la théorie du traitement de l'information, Ericsson et Simon (1980) décrivent les conditions qui peuvent, d’après eux, donner lieu à des reports verbaux dignes d’être considérés comme des données valables (« verbal reports as data» ). L'aspect primordial est que l’activité dont parle le sujet doit être ou avoir séjourné dans le champ de la conscience - en mémoire à court terme - pour être accessible de manière adéquate. Si l’activité mentale sous-jacente n'est pas ou n’a jamais été présente dans le champ attentionnel, le sujet reconstruit et infère ses comportements en s'éloignant parfois considérablement de la réalité. La position de ces auteurs n'est pas fondamentalement opposée à celle des chercheurs qui refusent tout accès aux processus mentaux par le biais de l'introspection (notamment Nisbett et Wilson, 1977).

Ericsson et Simon (1980) donnent quelques directions et conseils méthodologiques à suivre quand on souhaite avoir recours aux verbalisations :

De plus, il peut s'avérer utile d'insister auprès des sujets sur l'importance de l'exactitude et de l'honnêteté de leurs réponses afin d'éviter une partie des problèmes soulevés (désirabilité sociale notamment). Il est parfois bénéfique de préciser qu'il n'y a pas de bonnes ni de mauvaises réponses, sur le modèle des instructions données dans les tests de personnalité. Au final, une attitude bienveillante et respectueuse de la part du chercheur devrait contribuer à gagner la confiance des sujets et à obtenir des réponses sérieuses et motivées.

Enfin, les expériences de réplication, trop rares car coûteuses et peu innovatrices, débouchent sur la consolidation des éléments théoriques existants et apportent, le cas échéant, la preuve d'une certaine validité des méthodes introspectives. Harris (1980) souligne toutefois que la réplication peut reproduire les biais de réponse présents lors du test original et que la fiabilité test-retest n'est pas une condition suffisante de validité des verbalisations.

L'Ecuyer (1978) est un des rares qui donne les arguments pour défendre l'approche autodescriptive en soulignant « ‘son véritable mérite : celui de donner accès au vécu expérienciel de l'individu, à ses perceptions vitales de lui-même telles que vécues et ressenties par lui. En ce sens, elles apportent un matériel irremplaçable, celui du point de vue du sujet lui-même auquel aucune autre technique ne peut donner directement accès.’» (pp. 105-106). Nous en venons à l'idée que toute représentation, même erronée, est significative pour le sujet et révèle donc quelque chose sur son organisation et fonctionnement mental. L'auteur se fait l'avocat du sujet en critiquant une utilisation obstinée de la méthode expérimentale en psychologie, pour laquelle l'avis du sujet « contamine» la situation. Pour lui, le matériau de travail est fondamentalement différent entre l'idée que se fait le sujet de son comportement et l'inférence construite par le chercheur sur ce même comportement à partir de critères qu'il a préalablement choisi pour l'examiner. Sous un certain angle, nous nous trouvons à nouveau dans une problématique de validité écologique lorsque nous cherchons à donner une place de choix à l'individu et à sa propre analyse des situations. De ce point de vue, le manque de validité prédictive des rapports verbaux n'est pas interprété comme preuve de l'inexistence d'états internes (e.g., le concept de soi) mais comme indicateur de la faiblesse et du manque de discrimination des méthodes d'investigation. Nelson et Narens (1994) suivent une voie similaire lorsqu'ils proposent de considérer le sujet qui évalue ses états internes comme un « instrument de mesure imparfait» dont il faut précisément déterminer les distorsions et les exactitudes. La prise en compte des phénomènes intérieurs tels qu'ils sont perçus par le sujet devient nécessaire car ce sont bien ces éléments qui déterminent ses comportements : « ‘Un système qui s'auto-analyse peut utiliser ses propres introspections comme entrées pour modifier le comportement du système’» ...» ‘les activités mnésiques sont auto-dirigées sur la base d'une information obtenue par introspection’» (pp. 19-20).

Outre le recueil des impressions spontanées des sujets sur leurs processus et les interviews non-directives, nous disposons d'outils plus formalisés (cependant toujours fondés sur l'introspection) pour accéder aux représentations des personnes sur leur propre système mnésique. Ils s'appuient généralement sur une activité d'évaluation émise en réponse à des questions précises, à partir d'échelles prédéterminées. Deux méthodes retiendront notre attention : les questionnaires qui visent les connaissances et les croyances générales des sujets et les évaluations spécifiques produites lors de tâches en cours de réalisation. Nous aborderons ensuite les méthodes d'analyse des comportements de contrôle.