2.2.3.2011Les questionnaires d'auto-évaluation de la mémoire quotidienne

Dans les années 80, l'engouement pour les phénomènes écologiques a donné naissance à un ensemble de questionnaires d'auto-évaluation visant à mesurer l'efficacité mnésique individuelle dans les tâches naturelles. A l'origine, ces questionnaires ont été développés dans une perspective de mesure de la mémoire. On supposait que le sujet était capable d'évaluer ses propres compétences et qu'une évaluation de la mémoire quotidienne pouvait être obtenue par introspection. Il était évidemment beaucoup plus pratique de mesurer la performance de mémoire naturelle de cette manière que de tester l'efficacité mnésique individuelle dans des tâches dites écologiques. Les études de validité prédictive ont très vite aboutit au constat que les questionnaires ne peuvent pas se substituer aux mesures classiques de performance et que les sujets ne sont pas très doués pour estimer leur efficience mnésique (§ 2.3.4.1, p. 273). Cependant, l'utilisation des questionnaires d'auto-évaluation de la mémoire quotidienne a très vite été associée à d'autres intérêts scientifiques. L'idée que se fait le sujet sur sa propre mémoire devient le centre des préoccupations, indépendamment de sa validité. L'étude des évaluations subjectives de la mémoire, par le biais des questionnaires, permet de formaliser un des aspects principaux du concept de métamémoire : les connaissances et croyances des sujets sur le fonctionnement de la mémoire en général et de leur propre mémoire en particulier. Il s'agit ici des connaissances forgées avec l'expérience, stockées en mémoire à long terme et potentiellement mobilisables à tout moment, indépendamment de la réalisation d'une tâche de mémoire.

Tableau II. 2 : Quelques questionnaires de métamémoire.Voir détails en annexe 2.1. * questionnaires analysés par Herrmann (1984).
Nom Auteurs Versions Items
Inventory of Memory Experiences *
Short-IME
Herrmann et Neisser
Herrmann
1978
1979
56
24
Memory Questionnaire * Perlmutter 1978 60
Subjective Memory Questionnaire * Bennett-Levy et Powell 1980 43
Metamemory Questionnaire*
Memory Functioning Questionnaire
Zelinski, Gilewski et Thompson
Gilewski, Zelinski, Schaie et Thompson
1980
1983
92
64
Cognitive Failure Questionnaire*
CFQ-for-others
Broadbent, Cooper, Fitzgerald et Parkes 1982 25
8
Metamemory In Adulthood Dixon et Hultsch
Hultsch, Dixon et Hertzog
1983 ; 1984
1985
120
108
Everyday Memory Questionnaire * Sunderland, Harris et Baddeley
Sunderland, Harris et Baddeley
Baddeley
1983
1984
1993a
35
28
28
Questionnaire d'Auto-évaluation de la Mémoire Van der Linden, Wyns, Coyette, von Frenckell et Seron 1989 64

Il existe une diversité d'instruments d'évaluation de la connaissance ou d'auto-évaluation de la mémoire dans la vie quotidienne. Ces questionnaires s'adressent aux adultes et visent à la fois la connaissance des mécanismes de la mémoire et la qualité perçue de la performance individuelle. Les huit principaux outils qui ont retenu notre attention sont recensés dans le Tableau II. 2, accompagnés du nom de leurs auteurs, du nombre d'items qu'ils comportent et des différentes versions existantes68.

D'après l'analyse de contenu réalisée par Herrmann (1984) sur 18 outils développés entre 1961 et 198369, six types de phénomènes de mémoire sont appréhendés dans les questionnaires de métamémoire : la performance de mémoire normale (auto-évaluation), la performance en condition stressante, les exigences environnementales sur l'utilisation de la mémoire (e.g., liées à la profession), l'utilisation de stratégies, les changements de performance dus à l'âge, et la connaissance de la mémoire (lois et principes de fonctionnement). De plus, les questions portent généralement sur cinq types de tâches et matériels de la vie quotidienne : les événements et tâches ordinaires (e.g., se souvenir des rendez-vous, reconnaître les visages...), la mémorisation des expériences autobiographiques, la mémorisation de connaissances générales (mémoire sémantique), la mémoire des habiletés (y compris les habiletés mnésiques) et la vulnérabilité de la mémoire face à des facteurs indépendants comme le stress ou une difficulté perceptive. Les deux derniers contenus se réfèrent à des aspects de la performance transversaux par rapport aux différentes tâches de mémoire, et sont rarement représentés dans les questionnaires analysés par l'auteur.

Voici un bref aperçu du contenu des questionnaires de métamémoire les plus usités. Lorsque nous examinerons la modélisation de la métamémoire (§ 2.3) ou les différences individuelles (§ 2.4), nous ferons référence à certains d'entre eux de façon plus précise.

  1. Le Inventory of Memory Experiences (IME) de Herrmann et Neisser (1978) se compose de deux parties : oubli et rétention. L'aspect oubli comporte 48 questions réparties en huit facteurs : 1. mémoire par coeur ou automatique (« rote memory» ), 2. noms, 3. personnes (reconnaissance de visages familiers), 4. conversations, 5. courses, 6. étourderies, 7. échecs de récupération, 8. lieux. L'évaluation est faite sur une échelle de fréquence d'oubli en 7 points (toujours ... jamais). L'aspect rétention (8 questions) de divise en trois parties et est évalué sur une échelle qualitative en 7 points (pas du tout ... parfaitement) : 1. rappel des expériences de l'enfance, 2. rappel des expériences récentes et anciennes, 3. rappel des conversations. Une version courte nommée Short-Inventory of Memory Experiences (SIME) par Herrmann (1979) reprend les huit dimensions d'oubli et deux dimensions de rétention en 24 items.

  2. Le Memory Questionnaire (MQ), utilisé par Perlmutter (1978) a été conçu spécifiquement pour une recherche plus large concernant les relations entre vieillissement et mémoire. Il est composé de 60 questions réparties en cinq catégories (reprises dans la classification de Herrmann, 1984) : les problèmes de mémoire rencontrés personnellement, les contraintes mnésiques liées au vécu personnel, l'attente de changements du fonctionnement mnésique au cours du temps, l'utilisation de certaines stratégies, et la connaissance objective du fonctionnement de la mémoire.

  3. Le Subjective Memory Questionnaire (SMQ) de Bennett-Levy et Powell (1980) a été mis en place dans une recherche où les auteurs se sont attachés à évaluer les qualités psychométriques de l'outil : relations entre auto-évaluation et performance à des tests de mémoire, fiabilité test-retest, structure factorielle du questionnaire. Les auteurs ont eu des difficultés à retrouver les facteurs révélés pour le SIME de Herrmann et Neisser. Un seul facteur cohérent (facteur n°I) représentant l'organisation du comportement semble s'apparenter à la dimension « étourderies» du SIME.

  4. Le Metamemory Questionnaire (MQ) de Zelinski, Gilewski et Thompson (1980), compte 92 items, et est devenu le Memory Functionning Questionnaire (MFQ ; Gilewski, Zelinski, Schaie et Thompson, 1983; Gilewski, Zelinski et Schaie, 1990) avec 64 items. La structure factorielle se compose de quatre éléments : Fréquence d'oubli, Gravité de l'oubli, Fonctionnement rétrospectif et Utilisation d'aides mnémoniques.

  5. Le Cognitive Failure Questionnaire (CFQ) de Broadbent, Cooper, Fitzgerald et Parkes (1982) se rapporte à des erreurs de perception, de mémoire et d'action. Les réponses de sujets sont comparées à celle d'un proche, testées sur de longues périodes et corrélées à divers symptômes psychiatriques...

  6. Le Metamemory In Adulthood (MIA) de Dixon et Hultsch (1983 ; 1984) compte 8 échelles : Utilisation de stratégies (18 items), connaissance des tâches (16), connaissance de ses propres capacités (17), perception des changements (18), mémoire et anxiété (14), motivation d'accomplissement (16), locus de contrôle (9) et activités soutenant la mémoire (12). Les réponses sont données sur une échelle en 5 points (fréquence ou accord). Il a été traduit et étalonné par Baillargeon et Neault (1989) et par Boucheron (1995) sur des populations francophones. Il vise notamment à évaluer le degré de plainte et la perception du changement de la fonction mnésique chez les personnes âgées.

  7. Le Everyday Memory Questionnaire (EMQ) de Sunderland, Harris et Baddeley (1983 ; 1984) comporte 35 items classés en 5 catégories : Langage (13), Lecture et écriture (4), visages et lieux (6), Actions (6) et Apprentissage de nouvelles informations (6). La version de 1984, traduite dans Baddeley (1993a), compte 27 items évalués sur une échelle de fréquence innovante en 9 points. Ce questionnaire a été conçu pour tester l'auto-évaluation des patients atteints de troubles de la mémoire.

  8. Le Questionnaire d'Auto-évaluation de la Mémoire (QAM) de Van der Linden, Wyns, Coyette, von Frenckell et Seron (1989) a été standardisé et utilisé pour déceler des troubles de mémoire dans la vie quotidienne. Il comporte 10 rubriques et utilise des échelles de fréquence d'oubli en 6 points : 1. conversations, 2. films et livres, 3. distractions, 4. personnes, 5. mode d'utilisation de certains objets, 6. événements de l'actualité et certaines connaissances générales, 7. lieux, 8. actions à effectuer, 9. faits relatifs à la vie personnelle, 10. facteurs déclenchants. De plus, deux évaluations générales sont proposées en début et fin de questionnaire.

Face à cette énumération, il apparaît que les outils d'auto-évaluation de la mémoire abordent des aspects variés et ne se recoupent pas nécessairement. A titre d'illustration, citons l'étude de Johnson et Anderson (1988) ; une analyse factorielle globale sur trois questionnaires (dont le MFQ et le SIME précédemment recensés70 et le Memory Self-Report de Riege, 1982) met en évidence neuf facteurs différents parmi lesquels trois seulement sont communs aux différents instruments : mémoire générale (noms, numéros de téléphone, adresses ; facteur n°II), récupération après un intervalle ou une interférence (facteur V) et information spatiale (facteur IV). Le septième facteur est commun au MFQ et au MSR et traduit la mémoire automatique (« rote memory» ). Les cinq autres facteurs sont spécifiques à l'un ou l'autre des instruments. En première analyse, il n'existe donc pas de cohérence réelle entre les divers instruments développés pour mesurer l'auto-évaluation mnésique. Chacun semble posséder une spécificité propre qui est notamment fonction des objectifs des chercheurs et des items sélectionnés. Par exemple, les chercheurs qui s'intéressent à la perception du déclin des capacités mnésiques avec l'âge sont les seuls à introduire dans leurs outils des items faisant référence à cette dimension de changement.

Notes
68.

On se rapportera à l'annexe 2.1 pour le détail des items des sept questionnaires complets que nous avons pu recueillir.

69.

Parmi lesquels nous pouvons retrouver les six questionnaires marqués par un astérisque dans le Tableau II. 2.

70.

Voir aussi annexe 2.1.