2.2.5.1011Utilisation de stratégies

Les observations permettant d'inférer l'existence de stratégies d'encodage, de récupération ou de révision des informations sont variées et se basent essentiellement sur l'analyse des temps de latence, des manipulations du matériel, et des verbalisations. Les stratégies dont il est question ne sont pas nécessairement des comportements volontaires et conscients (§ 1.4.4).

L'analyse des temps d'exposition sur le matériel à apprendre permet de saisir la façon dont l'individu organise son apprentissage. Par exemple, lors d'un apprentissage libre d'une liste d'items présentés successivement – i.e., dont le déroulement est entièrement géré par le sujet – il est possible de déceler la stratégie utilisée en observant les pauses entre chaque item. Les latences tendent à augmenter avec la position des items, ce qui suggère l'existence d'une répétition des items précédemment rencontrés (Belmont, Freeseman et Mitchell, 1988 ; voir aussi Weed, Ryan et Day, 1990). La stratégie de répétition constructive consiste en effet à répéter intérieurement les éléments précédemment encodés de façon cumulative au fur et à mesure de l'avancement dans la prise d'information. Plus généralement, la durée du processus d'encodage constitue un indicateur de la qualité de la prise d'information, même si l'on ne peut pas être assuré que la période est entièrement occupée par des mécanismes efficaces de traitement.

De la même façon, au cours du rappel, la durée nécessaire pour fournir une réponse traduit la mise en oeuvre de processus de recherche spécifiques et la persévérance du sujet dans ce processus. On peut supposer que durant le laps de temps nécessaire à la production d'une réponse, le sujet met en place un ensemble d'opérations dont l'objectif est de réactiver le souvenir (ré-activations contextuelles, production d'indices, retraçage mental...).

Les stratégies peuvent également être inférées à partir des comportements de manipulation sur les informations à retenir lors de l'encodage (Andreassen et Waters, 1989) ou à partir de l'ordre de production des réponses lors du rappel (Bousfield, 1953 ; Tulving, 1962). Notamment, les regroupements sémantiques d'une liste d'éléments à retenir démontrent l'existence de processus d'élaboration des informations. Plus globalement, l'observation des comportements d'étude permet parfois de déceler l'existence de stratégies spécifiques, comme la répétition, le regroupement, l'élaboration du matériel à apprendre, la prise de notes (e.g., Justice et Weaver-McDougall, 1989). Evidemment, ces observations ne seront possibles que si suffisamment de liberté est laissée au sujet durant l'acquisition des informations.

Enfin, l'existence de stratégies spécifiques de mémorisation se mesure par l'étude des verbalisations des sujets ; ces dernières peuvent être obtenues de différentes façons. Dans les procédures de « pensée à voix haute» , les sujets sont amenés à commenter leurs propres actions durant l'apprentissage ; par exemple, ils peuvent produire les associations sémantiques que leur inspire une série de mots à retenir. Dans les études de journaux (diaries) sur les échecs de mémoire quotidiens, notamment le phénomène du « mot sur le bout de la langue» , les sujets sont invités à décrire de façon détaillée les situations de blocage et les stratégies adoptées pour résoudre le problème d'activation lexicale (Reason et Lucas, 1984). Un questionnaire post-expérimental peut en outre aider à déterminer la ou les stratégie(s) utilisée(s) par les sujets (Wang, 1990). Pour plus de prudence, il est recommandé de ne pas se baser uniquement sur les verbalisations pour inférer la mise en oeuvre de stratégies. Néanmoins, cette méthode peut être utilisée en combinaison avec les méthodes précédemment cités (temps de latence ou observation du comportement) afin de vérifier la cohérence entre comportements observés et comportements rapportés. Cela constitue d'ailleurs en soi une investigation intéressante des relations entre connaissance explicitée et comportement réel et du degré de prise de conscience des processus de traitement.