2.3.3.2011Approche de Fort : redéfinir le concept de métamémoire en fonction des théories de la mémoire

Fort (1997, 1998) a développé une méthodologie originale pour tenter de retrouver, au sein des représentations de sujets tout venant, les dimensions théoriques de la métamémoire. Elle identifie, dans les questionnaires existants, trois dimensions théoriques : l'auto-évaluation des capacités, la perception du changement lié au vieillissement et la connaissance et l'utilisation de stratégies de mémorisation (voir § 2.3.3.3). Après avoir déterminé quatre phrases-clefs de définition (théorie en facettes – Dickes, Tournois, Flieller et Kop, 1994) relatives aux trois dimensions théoriques et à d'autres dimensions évaluées comme importantes dans les théories de la mémoire (type de mémoire, délai entre encodage et récupération), elle cherche à vérifier si la structure théorique se retrouve empiriquement chez les sujets en utilisant une méthodologie d'analyse des évaluations par l'échelonnement multidimensionnel (basé sur le coefficient de corrélation comme indicateur de la similarité entre les réponses).

Les phrases en facettes servent de base pour créer les items du questionnaire. Elles sont construites à partir des suppositions théoriques que l'on a dans un domaine donné. Les quatre phrases utilisées sont les suivantes :

  • Phrase 1 - La métamémoire comprend l'auto-évaluation à se souvenir en ce qui concerne :
    • . facette A : un type de mémoire {mémoire en général / visages / visuo-spatiale / prospective / lexicale / tâches de laboratoire / vie quotidienne}

    • . facette B : {de manière générale / en fonction de la date d'encodage {quelques minutes / plusieurs heures / plusieurs jours / plusieurs mois / plusieurs années}}

    • . facette C : selon une perspective temporelle {passée / future / actuelle}

    • . facette D : en termes (valeur de l'évaluation) {positif / négatif / stabilité}

    • . exemple d'item : J'ai des difficultés à me souvenir des visages (A2B1C3D2)

  • Phrase 2 - La métamémoire comprend les estimations de l'évolution au cours du vieillissement de :
    • . facette A : un type de mémoire {mémoire en général / visages / visuo-spatiale / prospective / lexicale / tâches de laboratoire / vie quotidienne}

    • . facette B : {de manière générale / en fonction de la date d'encodage {quelques minutes / plusieurs heures / plusieurs jours / plusieurs mois / plusieurs années}}

    • . facette D : en termes (valeur de l'évaluation) {positif / négatif / stabilité}

    • . exemple d'item : J'arrive mieux qu'avant à me souvenir de mes rendez-vous (A4B1D1)

  • Phrase 3 - La métamémoire comprend les connaissances sur le rôle :
    • . facette E : des stratégies (type) {internes / externes}

    • . facette F : servant à (finalité) {l'encodage / la récupération}

    • . exemple d'item : Prendre des notes facilite l'apprentissage (E2F1)

  • Phrase 4 - La métamémoire comprend l'utilisation de :
    • . facette E : stratégies (type) {internes / externes}

    • . facette F : dans le but de (finalité) {encoder / récupérer en mémoire}

    • . exemple d'item (estimation sur une échelle en 5 points) : Parcourir mentalement le contenu de ses placards pour se souvenir des courses à faire (E1F2)

Arrêterons-nous plus longuement sur l'aspect stratégie de cette étude (Fort, 1997). Pour cette dimension, les deux phrases utilisées (connaissance et utilisation) comportent deux facettes à deux modalités ; pour la facette type de stratégie, les modalités sont « internes» et « externes» ; pour la facette finalité de la stratégie, les modalités sont « encodage» et « récupération» de l'information (voir § 1.4.4.2).

La connaissance du rôle des stratégies est mesurée par des questions jugées sur une échelle d'accord en cinq points (e.g., « laisser quelque chose à un endroit en vue permet de ne pas l'oublier» pour une stratégie externe/encodage, ou « le fait de relier quelque chose qu'on veut retenir à autre chose permet de mémoriser plus facilement» pour une stratégie interne/encodage). L'utilisation effective des stratégies est mesurée par une échelle en cinq points de fréquence d'utilisation d'une série de stratégies (e.g., « vous arrive-t-il souvent de faire une liste de courses?» pour externe/encodage, « en début de journée, pensez-vous aux activités que vous devez accomplir afin de vous souvenir de tout ce que vous avez à faire?» pour interne/encodage).

Pour ce qui est de la connaissance sur les stratégies de mémoire, les résultats montrent que les sujets ne font pas de distinction entre les stratégies d'encodage et de récupération, ce qui tendrait à montrer que cette dimension n'est pas théoriquement pertinente à cause de la discordance entre définition conceptuelle et opérationnelle. Cependant, il serait bon de s'assurer que les questions laissent facilement transparaître cette distinction et sont bien comprises par les sujets. Ce résultat peut tout aussi bien s'expliquer par le fait que la finalité d'encodage doit être considérée comme un sous-but pour le but plus général de récupération. Il est évident que l'on encode intentionnellement (en utilisant une stratégie) une information pour s'en souvenir dans le futur. La structure-même des questions sous-entend la présence d'une récupération. Par exemple, l'item « laisser quelque chose à un endroit en vue permet de ne pas l'oublier» énonce clairement la présence d'un processus de récupération : « pour ne pas l'oublier» . De même, la notion d'une bonne mémorisation présuppose que la récupération sera efficace. Ces réflexions ne remettent pas en cause la pertinence d'une distinction théorique entre stratégies d'encodage et de récupération. Simplement, il ne faut pas voir les stratégies d'encodage comme des aides servant simplement à emmagasiner des données sans concevoir de processus de récupération futur. Une dimension plus porteuse pourrait être celle de l'appariement entre les processus d'encodage et de récupération. A une extrémité, se trouveraient les stratégies de récupération « pures» correspondant à des situations où l'encodage de l'information n'est pas volontaire ; à l'autre extrémité, se situeraient celles où le sujet s'engage volontairement dans le but d'une récupération future et qui permettent une articulation optimale des processus mis en place aux deux étapes de la mémorisation.

Dans cette même analyse des connaissances sur les stratégies, Fort trouve que les stratégies internes et externes sont différenciées sur l'une des deux dimensions de la solution retenue. L'existence de stratégies internes et de stratégies liées à l'environnement extérieur serait donc intégrée dans les représentations subjectives. Fort souligne que deux stratégies spécifiques se trouvent excentrées par rapport aux autres : la « recherche alphabétique» et la « prise de notes» . Remarquons que la première n'est pas totalement interne dans le sens où le sujet s'aide de l'alphabet (connaissance ancrée interne) pour produire un indice externe de récupération. En effet, cet indice semble surtout efficace si on le visualise ou si on le prononce, donc si on se base sur des informations provenant de l'extérieur du système. Quant à la prise de notes, aide externe, il a été montré qu'elle comporte un aspect de ré-encodage qui la rend efficace lors de la récupération, même lorsqu'elle est absente (Intons-Peterson et Fournier, 1986). Le caractère « impur» de ces deux aides sur la dimension internalité / externalité (elles combinent des aspects internes et externes) pourrait constituer une piste explicative du problème soulevé.

Les deux dimensions d'internalité et de finalité se retrouve plus nettement dans l'analyse de l'utilisation proprement dite des stratégies de mémoire. La facette internalité différencie efficacement les aides internes et externes, sauf pour le cas de la répétition mentale. Mais n'est-il pas exact que la répétition mentale s'accompagne souvent d'une répétition à voix haute ? Le discours interne d'apprentissage par coeur laisse des traces extérieures, notamment auditives et articulatoires. L'analyse de l'utilisation des stratégies permet d'opérationnaliser la facette de finalité, contrairement à celle qui ne portait que sur la connaissance des stratégies. L'auteur insiste tout de même en conclusion sur le fait que les deux dimensions caractéristiques des stratégies pourraient se recouvrer partiellement dans la mesure où elle voit bien comment peut s'opérer une distinction entre stratégies d'encodage et de récupération pour les aides internes mais pas pour les aides externes qui sont, d'après elle, principalement des stratégies d'encodage. Nous pourrions lui suggérer de s'interroger sur des aides de récupération mnésique comme « demander à quelqu'un de donner la réponse à une question que l'on se pose» , « rechercher dans un dictionnaire un mot particulier» , « rechercher dans une encyclopédie historique la date de tel ou tel événement» , « rechercher dans ses albums photos la date de ses vacances au Maroc» ... ; ces aides de récupération sont typiquement externes bien qu'initiées par une intention et sont très spécifiques en terme d'information recherchée.