La faible validité prédictive des questionnaires d'auto-évaluation de la mémoire quotidienne (voir § 2.3.4.1) aurait pu décourager les chercheurs intéressés par le concept de métamémoire. En effet, compte tenu de l'hypothèse selon laquelle la métamémoire traduit et influence le fonctionnement effectif de la mémoire, on aurait pu se résoudre à deux sortes de conclusions : les sujets ne connaissent pas leur mémoire et / ou les outils d'évaluation de la métamémoire ne sont pas assez robustes pour mesurer ce concept. Or, les chercheurs n'ont retenu aucune de ces solutions. Ce n'est pas parce que les représentations s'adaptent mal aux données objectives qu'il faut les négliger. Au contraire, une nouvelle orientation s'est développée, cherchant à mieux cerner les dimensions ou composantes de la représentation de la mémoire, telle qu'elle s'exprime dans les questionnaires. Alors que les analyses antérieures s'étaient surtout concentrées sur le contenu des différents questionnaires (Herrmann, 1984), la nouvelle orientation s'engage vers la mise en évidence de dimensions de plus haut niveau.
Pour aborder cette question, nous nous intéresserons aux deux questionnaires les plus étudiés selon cette nouvelle perspective : le Metamemory In Adulthood (MIA) de Dixon et Hultsch (1984) et le Memory Functionning Questionnaire (MFQ) de Gilewski, Zelinski et Thompson (1980). Ces deux questionnaires ont notamment été développés pour mettre en évidence d'éventuelles différences de représentation entre des adultes jeunes et âgés et pour répondre à une question importante à propos de l'évolution de la mémoire avec l'âge : les personnes âgées ont-elles une connaissance erronée des mécanismes de la mémoire ? Dans l'affirmative, cette différence pourrait-elle contribuer aux différences de performances généralement observées ? La question du vieillissement de la métamémoire sera abordée ultérieurement (§ 2.4.2) dans une partie où nous traiterons également des données issues de la neuropsychologie (§ 2.4.3).
Dans l'immédiat, examinons les dimensions de la métamémoire mises en évidence à partir d'études de questionnaires réalisées sur un grand nombre de sujets.
Le MIA (annexe 2.1.) se compose de 7 échelles, identifiées comme des dimensions78 importantes par les auteurs, et a été validé dans au moins deux populations francophones (Baillargeon et Neault, 1989 ; Boucheron, 1995 ; Tableau II. 5, p. 268). Les dimensions retenues sont :
capacité : auto-évaluation qualitative de sa propre mémoire (17 items),
changement : perception d'une détérioration de la mémoire avec l'âge (18),
tâche : connaissance des effets des tâches et matériel sur la mémoire (16),
stratégies : fréquence d'utilisation de stratégies (18),
locus : impression qu'a le sujet de pouvoir contrôler sa mémoire (9),
motivation : importance perçue d'avoir une bonne mémoire (16),
anxiété : cette échelle aborde deux aspects – la connaissance des effets de l'anxiété sur la performance de mémoire (connaissance de l'anxiété) et la tendance à se trouver anxieux face aux tâches de mémoire ou niveau d'anxiété mnésique (respectivement 3 et 11 items ; Davidson, Dixon et Hultsch, 1991).
Facteurs | Nb items retrouvés / prévus | Coefficients de saturation | Pourcentage de variance | Consistance interne |
Données obtenues par Boucheron (1995) - MIA | ||||
I. Changement | 17/18 | 39 à .83 | 16,02 | 93 |
II. Capacité | 16/17 | 31 à .57 | 10,72 | 88 |
III. Stratégies | 16/18 | 31 à .65 | 6,76 | 83 |
IV. Tâche | 13/16 | 33 à .65 | 5,47 | 77 |
V. Anxiété / Motivation | 7/14 et 6/16 | 35 à .53 et .31 à .58 | 9,22 | 85 et .70 |
VI. Locus | 7/9 | 48 à .74 | 4,5 | 72 |
VII. INDEFINI | - | 36 à .58 | 3,12 | - |
Données obtenues par Baillargeon et Neault (1989) - MIA | ||||
I. Changement | 15/18 | 32 à .72 | 16,40 | 93 |
II. Anxiété | 10/14 | 42 à .62 | 8,30 | 85 |
III. Stratégies | 15/18 | 31 à .61 | 5,4 | 83 |
IV. Tâche | 14/16 | 32 à .64 | 3,6 | 78 |
V. Locus | 7/9 | 36 à .68 | 2,9 | 81 |
VI. Motivation | 10/16 | 31 à .53 | 2,4 | 76 |
VII. INDEFINI | - | 30 à .55 | 2,3 | - |
VIII. Capacité | 9/17 | 30 à .54 | 1,7 | 86 |
IX. Activité | 5/12 | 32 à .53 | 1,6 | 58 |
Données présentées par Dixon (1989) – MIA (sur 3 échantillons) | ||||
I. Stratégies | 32 à .75 | 78 à .90 | ||
II. Tâche | 34 à .76 | 74 à .87 | ||
III. Capacité | 30 à .67 | 74 à .90 | ||
IV. Changement | 38 à .83 | 82 à .92 | ||
V. Activité | 32 à .55 | 28 à .76 | ||
VI. Anxiété | 33 à .73 | 78 à .87 | ||
VII. Motivation | 30 à .64 | 61 à .84 | ||
VIII. Locus | 31 à .67 | 71 à .80 |
Le MFQ se compose quant à lui de 7 échelles (annexe 2.1.) et constitue une version réduite d'un questionnaire plus long à 9 échelles (MQ) :
Evaluation globale : auto-évaluation qualitative de la mémoire (1 item),
Fréquence générale d'oubli : fréquence des échecs mnésiques (18),
Fréquence d'oubli lors de la lecture : comporte des évaluations de l'oubli lors de la lecture de romans (5) et de journaux (5),
Mémoire du passé : évaluation qualitative de la mémoire des événements en fonction de la période (6),
Gravité de l'oubli : perception du degré de gravité des échecs dans divers domaines (18),
Fonctionnement rétrospectif : comparaison des performances actuelles et passées (6),
Utilisation de stratégies : fréquence d'utilisation de stratégies (10),
Confiance dans la mémoire : degré de confiance accordé à la mémoire (5) - échelle supprimée dans le MFQ,
Effort pour se souvenir : degré d'effort nécessaire dans diverses situations de mémoire (18) - échelle supprimée dans le MFQ.
Les recherches basées sur l'utilisation de questionnaires d'auto-évaluation font émerger différentes dimensions dans la métamémoire plus ou moins indépendantes. Il existe toutefois des relations entre certaines dimensions identifiées. Aussi, dans un second temps, il apparaît intéressant d'étudier ces intercorrélations entre échelles et de dégager éventuellement des dimensions de plus haut niveau. De la même manière, dans ce type de recherche, il est utile de vérifier la validité de convergence en comparant différents outils ; cela permet éventuellement de confirmer les dimensions existantes mais aussi de valider l'existence de méta-dimensions.
Une huitième dimension « Activités» (12 items) a été ôtée de la plupart des études car elle ne correspond pas à une connaissance ou une croyance sur le fonctionnement de la mémoire mais à la fréquence de certaines activités intellectuelles sensées soutenir la mémoire.