2.3.5.1011Notion de monitoring : résultats généraux

Les études sur les relations connaissance / performance en cours de réalisation d'une tâche prennent source dans les travaux de Hart (1965, 1967) sur le phénomène du « mot sur le bout de la langue» . Il instaura un paradigme spécifique pour déterminer la cohérence des jugements par rapport à la performance réelle : rappel / jugement / reconnaissance. Dans un premier temps, les sujets doivent essayer de répondre à des questions de culture générale. Lorsqu'un échec de rappel se produit (mauvaise réponse ou absence de réponse), le sujet doit estimer les chances d'une reconnaissance future de la bonne réponse parmi des distracteurs (jugement de sentiment de savoir). Enfin, un test de reconnaissance est présenté afin de déterminer le niveau de performance réel.

Divers aménagements du paradigme original ont vu le jour ; ces aménagements concernent aussi bien (§ 2.2.4.) :

  • les tâches critères utilisées pour évaluer le contenu mnésique,

  • les jugements requis : facilité d'apprentissage (ease of learning – EOL), degré d'apprentissage (judgment of learning – JOL), certitude (judgment of confidence – JOC),

  • les items soumis aux jugement (mauvaises réponses ou absence de réponses, d'une part, ensemble des réponses, d'autre part),

  • les mesures d'exactitude du jugement (exactitude relative, exactitude absolue)...

Ainsi, l'étude des relations entre jugements subjectifs et performance objective constitue aujourd'hui un champ de recherche important de la psychologie des jugements.

Parallèlement à ce paradigme, d'autres études ont utilisé des jugements globaux d'évaluation pour estimer la connaissance que les sujets possèdent sur leur contenu mnésique. Ces jugements sont mis en relation avec la performance réelle donnant lieu à des indices d'exactitude de la métamémoire.

En 1988, Nelson établit la liste des situations, impliquant différentes populations et différentes tâches, où l'on peut observer des relations entre mémoire et métamémoire à partir des jugements de feeling of knowing (FOK).

  1. A deux exceptions près, plusieurs catégories de sujets réussissent très bien à prédire leur performance future par leur jugement FOK ; un manque de relation entre jugement et performance est trouvé chez les patients Korsakoff (§ 2.4.3) et chez les enfants sourds. La fiabilité test-retest des jugements individuels est exceptionnellement élevée : un sujet émettra le même jugement s'il est testé à deux moments distincts sur le même matériel : il classera de façon identique les items en terme d'intensité du FOK (Nelson et al., 1984). Par contre la stabilité des différences individuelles de l'exactitude du jugement (des relations avec la performance) est inexistante. D'une situation à l'autre, d'un groupe d'items à l'autre, d'une tâche critère l'autre, les scores d'exactitude individuels ne sont pas corrélés (Nelson et al., 1984 ; Weaver et Kelemen, 1999). Ce résultat tend à montrer qu'il n'existe pas de compétence métacognitive du FOK traduisant une dimension de différenciation interindividuelle. Weaver et Kelemen (1999) montrent en effet que les scores d'exactitude obtenus pour différents types de jugements métacognitifs (EOL, JOL, FOK) ne sont pas stables alors que les scores de performance mnésique et les jugements sont corrélés d'une situation à l'autre (aussi bien pour la même tâche que entre des tâches différentes). Autrement dit, il existe des différences individuelles dans la performance, dans l'intensité des jugements (confiance du sujet), mais pas dans l'exactitude de ces jugements (corrélation entre jugement et performance).

  2. A deux exceptions près, les jugements FOK prédisent, de façon significative (i.e., exactitude de prédiction supérieure au hasard) la performance à différentes tâches critères. L'intensité du sentiment de savoir est en effet corrélée positivement à la probabilité de pouvoir reconnaître la bonne réponse, de pouvoir l'identifier suite à une brève présentation tachistoscopique, de pouvoir la ré-apprendre rapidement, de pouvoir la retrouver suite à un indice... Il faut souligner que les jugements subjectifs permettent aussi bien de prédire la performance à des tâches de mémoire explicite qu'à des tâches de mémoire implicite. Toutefois, le degré de FOK ne prédit pas la performance de résolution de problèmes de perspicacité (insight problems, Metcalfe, 1986) ; de plus, le FOK n'est pas sensible à une brève présentation (en dessous du seuil de perception) de la bonne réponse alors que cette présentation améliore la performance : le jugement FOK n'est donc pas exact dans cette condition, i.e., il ne prédit pas le niveau de performance.

Si la connaissance de la mémoire évaluée en cours de tâche est généralement conforme à la performance réelle, les coefficients de relation obtenus sont typiquement peu élevés (Izaute et al., 1996). De plus, il est intéressant de noter que les différents jugements métacognitifs (certitude, FOK, JOL, EOL) ne sont pas fortement intercorrélés et possèdent tous néanmoins une relation avec la performance réelle (Nelson et Narens, 1994). Enfin, la corrélation entre jugement et performance n'a pas la même force selon le jugement considéré ; par exemple, les jugement de certitude sont beaucoup plus conformes à la performance réelle que les jugements de prédiction (Izaute et al., 1996) ; les jugements JOL émis juste après une phase d'apprentissage ne sont pas d'aussi bons prédicteurs de la performance que les jugements différés (réalisés tardivement par rapport à la phase d'apprentissage ; Nelson et Dunlosky, 1991). Face à ces différentes observations, les recherches ont subi une ré-orientation théorique ; il ne s'agit plus tellement de vérifier la cohérence de la connaissance sur la mémoire (la validité de la métamémoire), mais plutôt de déterminer quelles sont les bases des jugements, quelles sont les conditions de leur validité, quels sont leurs effets sur le contrôle des processus de mémorisation. Nous considérerons tour à tour ces différents aspects essentiels de l'adéquation entre métamémoire et mémoire.