2.3.5.2011Bases et validité des jugements métacognitifs

2.3.5.2.1011Les bases du sentiment de savoir

Puisque les jugements subjectifs sont corrélés à la performance et que cette relation est généralement modeste, il est nécessaire d'identifier les éléments pris en compte dans le jugement et qui influencent par ailleurs la performance. Les nombreux travaux développés dans cet objectif aboutissent à deux classes d'explications ou modèles (Koriat, 1994 ; Miner et Reder, 1994 ; Nelson et al., 1984).

  1. L'hypothèse de l'accès à la trace prédit que le jugement métacognitif procède d'une inspection du contenu mnésique (monitoring de la disponibilité des informations). Le résultat de cette inspection aboutit ou non à une impression de connaître la réponse, qui déclenche elle-même une recherche plus poussée en mémoire. Cette hypothèse, issue des premiers travaux dans le domaine, comporte un ensemble d'explications qui rendent compte des données obtenues :
    • le FOK serait élevé quand l'association préalable entre la question qui initie la recherche en mémoire et la réponse est de niveau moyen. Une forte association question/réponse donne lieu à un rappel correct et une faible association donne lieu à une faible impression de savoir ;

    • le FOK dépendrait de l'association question → réponse, c'est-à-dire de la capacité de la question à activer la réponse (association antérograde) alors que la reconnaissance dépendrait à la fois de l'association question → réponse et de l'association réponse → question (probabilité que la réponse active des éléments de la question ou association rétrograde). Ainsi, le FOK ne prédit pas parfaitement la performance ;

    • en cas de récupération partielle du nom de la cible (lettres ou sonorité par exemple), le sentiment de savoir est élevé ; si par contre aucun élément partiel n'est activé par la question, le FOK est bas ;

    • l'échec d'accès au nom de la cible recherché peut s'accompagner de l'activation d'autres éléments pertinents associés à cette cible, ce qui jouera sur l'intensité du sentiment de savoir ;

    • le sujet accède au mauvais référent sémantique, ce qui augmente son sentiment de connaître la réponse de façon erronée ;

    • la cible est conçue comme un item multidimensionnel ; lorsqu'un nombre insuffisant de dimensions est activé, le rappel échoue mais donne lieu au sentiment de savoir.

Le point de vue de l'accès à la trace suppose l'existence de deux processus successifs lors d'une tâche de mémoire : le premier processus, le monitoring, vérifie la présence de la trace ; le deuxième processus constitue la recherche proprement dite.

  1. (Une deuxième classe d'identification des bases du FOK conçoit plutôt le jugement comme le résultat d'une inférence, consciente ou non, utilisant différents indices lors du processus de recherche. Ces indices peuvent être :
    • une information épisodique liée à la cible ; le nombre et la précision des événements vécus (ou connus comme la date, le lieu, les circonstances exacts d'un événement public) activés face à une question peuvent contribuer au sentiment de savoir la réponse ; de même le fait de se souvenir des rencontres antérieures avec la réponse (contextes) va activer un sentiment de savoir élevé, comme dans la situation où l'on se souvient très bien d'avoir vu une personne une ou deux fois auparavant et qu'on n'arrive pas à retrouver son nom ;

    • la difficulté normative d'une question, c'est-à-dire sa propension à être généralement connue par tout un chacun ; la difficulté normative est liée à la performance d'un individu particulier et les jugements FOK individuels sont liés à la performance d'un groupe mesurée indépendamment ;

    • la désirabilité sociale ; dans ce cas le jugement FOK dépend plus de ce que le sujet pense qu'il devrait savoir pour ne pas paraître stupide que de sa réelle connaissance ; cette base de jugement contribue donc à faire baisser son exactitude ;

    • l'expertise personnelle dans le domaine de la question ; le jugement dépend de la perception de ses propres compétences et connaissances dans un champ précis d'information ; si le sujet pense qu'il connaît beaucoup de dates historiques, son sentiment de savoir face à une question historique sera élevé ;

    • le degré de reconnaissance de la question ou familiarité avec l'indice présenté pour la recherche en mémoire ; si la question paraît familière, le jugement FOK sera d'autant plus élevé.

Actuellement, les chercheurs s'accordent sur la plus grande plausibilité des explications de type inférence que des explications de type accès à la trace pour rendre compte des bases du FOK. En effet, cette conception est conforme à une vision plus générale des jugements (Khaneman et al., 1982) et permet en outre d'identifier leurs bases objectives. Toutefois, ils ne s'entendent pas vraiment sur le type d'inférence utilisée. Globalement, deux écoles s'opposent :

  • la première privilégie le FOK basé sur la familiarité avec l'indice (Reder, 1987 ; Reder et Ritter, 1992 ; Miner et Reder, 1994 ; Schwartz et Metcalfe, 1992) et conçoit le processus FOK comme un mécanisme inconscient, rapide et antérieur au processus de recherche en mémoire ; nombre d'études montrent en effet que le sentiment de savoir est sensible aux manipulations expérimentales réalisées sur l'indice (amorçage des éléments de la question) et n'est pas sensible aux manipulations réalisés sur la cible ; inversement l'amorçage des questions ne joue pas sur la performance alors que l'amorçage des cibles joue sur la performance ; ainsi, lorsque la familiarité de l'indice (question) est augmentée, le FOK est augmenté sans que la performance réelle soit modifiée ; cela mène à un jugement qui ne prédit plus correctement la performance ;

  • la seconde propose que le FOK se base sur l'accessibilité des informations en mémoire (Koriat, 1993, 1994, 1995) et n'est pas indépendant du processus de recherche : les indices utilisés par le FOK font partie intégrante du produit de la récupération en mémoire ; lors d'une recherche spécifique en mémoire, le nombre d'activations de toutes sortes (partie du nom, épisodes, attributs sémantiques...) engendrées par l'indice (memory pointer) détermine le niveau du sentiment de savoir ; cette conception prédit que les éléments erronés activés lors de la récupération sont aussi pris en compte dans l'émission du jugement et contribuent à augmenter le sentiment de savoir en diminuant sa validité.