2.3.7011Synthèse des données théoriques sur les relations entre mémoire et métamémoire

Les relations entre métamémoire et mémoire sont abordées de différentes façons dans la littérature. Partant de l'analyse réalisée par Cavanaugh (1989) sur les relations entre conscience et mémoire, nous avons présenté différentes pistes de modélisation dans le domaine de la métamémoire. Ces approches doivent être conçues comme complémentaires plutôt que concurrentes et des efforts restent à faire pour les concilier. Prises dans leur globalité, elles aboutissent à une conceptualisation multidimensionnelle de la métamémoire.

Revenons à l'article de Cavanaugh où est présenté un modèle intégratif (Figure 2. 4) complet prenant en compte l'expérience du sujet, les caractéristiques de la tâche, le contexte social, la connaissance, la personnalité, les croyances et la motivation. Les éléments représentés dans le cadre en pointillés de la figure entretiennent une relation bidirectionnelle avec les processus exécutifs, les déterminent et sont influencés en retour par le jeu de l'expérience.

message URL FIGURE12.gif
Figure 2. 4 : Modèle conceptuel de la relation entre mémoire et conscience de Cavanaugh (1989, p.31).

Dans une méta-analyse visant à comparer les résultats de 47 études sur les relations entre mémoire et métamémoire (domaine développemental), Schneider (1985) trouve une corrélation moyenne de .41 (+/- .18), ce qui tend à confirmer, compte tenu du grand nombre d'observations rassemblées, l'existence de relations cohérentes entre la connaissance de la mémoire et la performance. Le travail de cet auteur permet de réconcilier les deux points de vue antagonistes qui revendiquent soit la présence soit l'absence de connexions entre métamémoire et mémoire. Il permet surtout d'examiner les conditions de validité de l'hypothèse forte associée au concept de métamémoire. En effet, il montre que les études sur la gestion (surveillance ou contrôle) des processus mnésiques (memory monitoring) débouchent plus souvent sur la découverte d'une liaison entre les mesures de métamémoire et les mesures de performances, alors que les études sur la connaissance des stratégies d'organisation et leur réelle mise en oeuvre lors de tâches nécessitant un tri des items à l'encodage puis un test de rappel libre (sort-recall tasks) échouent à trouver de tels résultats90. De plus, Schneider montre que l'étude des stratégies d'organisation lors de tâche d'apprentissage de listes composées de paires d'items et l'étude des effets de l'entraînement sur le transfert de stratégies défendent généralement l'existence d'une relation entre métamémoire et mémoire.

D'après Schneider (1985), les divergences de points de vue proviennent essentiellement de la diversité des méthodes utilisées pour évaluer la métamémoire : les études de la surveillance mnésique91 utilisent des mesures verbales et/ou non-verbales et des techniques d'inférence (mesures indirectes comme l'exactitude de prédiction) pour évaluer la connaissance des sujets alors que les études qui visent la connaissance des stratégies n'utilisent que des méthodes verbales directes (questionnaires). De plus, les mesures de métamémoire sont souvent faites de façon concourante à la tâche de mémoire dans le premier cas, alors qu'elle ont lieu avant ou après la tâche dans le second. Certaines méthodologies semblent donc plus appropriées pour faire émerger des relations entre mémoire et métamémoire. Néanmoins, Schneider recommande d'opter pour une évaluation de la métamémoire au moyen de plusieurs de ces méthodes afin de minimiser les limites inhérentes à chacune d'entre elles et d'obtenir des mesures convergentes (Cavanaugh et Perlmutter, 1980).

L'échec à trouver des relations systématiques entre métamémoire et mémoire résulte d'une seconde difficulté, d'ordre plus théorique que méthodologique : le manque de définition claire du concept de métamémoire et des conditions (tâches, âge des sujets...) dans lesquelles la connaissance de la mémoire devrait être liée au comportement et à la performance. Schneider (1985) et Cavanaugh et Perlmutter (1982) conseillent vivement aux futurs théoriciens de la métamémoire de rester prudents sur l'hypothèse d'une nécessaire relation entre métamémoire et mémoire – i.e., le fait de penser que la connaissance s'exprime obligatoirement à travers les comportements et les détermine toujours – d =ans la mesure où il a été montré dans d'autres domaines que la connaissance antérieure (les représentations) n'est pas systématiquement en accord avec le comportement réel : différence entre attitude et comportements réels (psychologie sociale) ou surestimation de la confiance dans les réponses provoquée par l'activation de connaissances en accord avec la réponse au détriment des connaissances contradictoires avec cette réponse (psychologie du jugement ; Koriat, Lichtenstein et Fischhoff, 1980). Les raisons de cette inadéquation peuvent provenir de biais systématiques dans les jugements et de biais liés à l'image que le sujet veut donner de lui-même. Il pourrait en être ainsi pour les relations entre métamémoire et mémoire.

De plus, si l'on admet que certaines connaissances métamnésiques portent sur des procédures et ne sont pas faciles à exprimer verbalement, il n'est pas étonnant de constater que le comportement observable ou la performance de mémoire ne sont pas toujours prédits par les dires du sujet (Gavelek et Raphael, 1985). La même réflexion s'applique à propos de l'automatisation des opérations de mémoire avec l'expérience (expertise) qui aboutit à l'impossibilité d'accéder au contenu (donc de décrire) des opérations mentales. Ainsi, convient-il de distinguer des connaissances explicites et des connaissances implicites au sein de la métamémoire, des connaissances procédurales et des connaissances déclaratives, voire même des connaissances sémantiques et des connaissances épisodiques. Si les verbalisations peuvent être utiles pour accéder aux connaissances déclaratives, elles ne disent rien sur les connaissances procédurales. Par contre, dans ce deuxième cas, les verbalisations pourraient bien permettre de comprendre les croyances que les sujets nourrissent vis-à-vis du fonctionnement mnésique, des origines de leur comportement (attributions causales)...(Gavelek et Raphael, 1985).

Dans le même ordre d'idée, il est apparu capital d'étudier l'effet des facteurs non seulement cognitifs, mais aussi d'autres domaines du psychisme : personnalité, affect, motivation. L'étude de la métamémoire dans son interaction avec la performance pousse vers une conception globale et systématique des phénomènes mentaux. La motivation du sujet détermine son engagement dans les tâches cognitives, l'expérience cognitive agit par rétroaction sur la perception de soi et l'estime de soi, la personnalité détermine la manière dont sont perçus, analysés, interprétés et mémorisés les événements et la manière dont est perçu le système de traitement de l'information... Dans cette optique, il devient nécessaire d'accorder une place de choix aux mécanismes d'attribution, c'est-à-dire d'explication des causes de la performance. En effet, il a été montré que des types d'attribution différents sont utilisés par des sujets différenciés sur la qualité de la performance .

Notes
90.

Il faut noter que ces deux types de recherches s'adressent à deux aspects différents du modèle de Flavell et Wellman (1977), à savoir la variable « sujet» pour la gestion mnésique et la variable « stratégie» pour la connaissance des stratégies.

91.

Comme la prédiction de performance, les stratégies d'allocation d'attention et d'effort au moment de l'étude ou du rappel.