2.4.2.5011Conclusion sur âge et métamémoire

Certaines explications du déclin mnésique sont largement documentées dans la littérature, notamment celles qui remettent en cause les processus cognitifs de base (Salthouse, 1990, 1993 ; Light, 1991 ; § 1.5.3.2). L'hypothèse d'une détérioration de la métamémoire avait été suggérée comme explication alternative des différences objectives de performance : les personnes âgées auraient des difficultés mnésiques car leur connaissance de la mémoire est inadéquate et leur capacité à explorer son fonctionnement et son contenu en cours de tâche est déficiente. Force est de reconnaître que cette hypothèse est plus optimiste car elle laisse une place aux possibilités d'intervention et de remédiation.

Il s'avère que les principales différences mises en évidence entre les sujets jeunes et les sujets âgés ne portent ni sur la connaissance du fonctionnement mnésique, ni sur la capacité à surveiller le processus mnésique en cours de tâche.

Les recherches sur la métamémoire montrent toutefois la présence d'une dévaluation systématique de l'auto-efficacité chez les personnes âgées ; en particulier, un individu âgé va trouver que sa mémoire est moins bonne qu'auparavant, auto-évaluer sa capacité à résoudre certaines tâches de façon moins favorable et penser qu'il ne peut pas maîtriser cette évolution négative. Il semble donc que le rôle des facteurs affectifs et motivationnels sur la perception des sujets devienne de plus en plus déterminant avec l'âge.

Une question qui reste à élucider concerne l'origine de cette baisse d'auto-efficacité perçue. Si l'occurrence réelle de difficultés de mémoire peut effectivement constituer une cause proximale de l'auto-efficacité (auquel cas l'auto-évaluation est réaliste), bien d'autres facteurs peuvent entrer en compte dans l'estimation des compétences personnelles. Plus particulièrement, l'occurrence subjective des échecs (ou des événements perçus comme tels) peut être surestimée si le sujet focalise son attention sur eux et se concentre excessivement sur son fonctionnement mental (Cavanaugh, 1989) ; toutes les situations qui rendront les échecs plus saillants que les réussites contribueront à modifier leurs probabilités subjectives respectives (§ 2.1.3.1.3. ; Kahneman, Slovic et Tversky, 1982). Des facteurs de personnalité (anxiété, dépression ; Derouesné et al., 1989 ; Lieury et al., 1994), de style cognitif (locus de contrôle et attributions ; Lachman et al., 1987), et des facteurs sociaux (stéréotypes : Hertzog et Dixon, 1994 ; Huet et Marquié, 1999 ; rôles : Abson et Rabbitt, 1988) déterminent très probablement les représentations que les personnes âgées ont de leur propre mémoire... Notons finalement que les mêmes facteurs sont à l'oeuvre chez les sujets jeunes, mais probablement avec des pondérations différentes. Le rôle majeur de ces influences contribue à faire diminuer la relation entre auto-évaluation et performance.

Il est utile de s'interroger également sur le caractère unidirectionnel ou bidirectionnel des relations entre mémoire et métamémoire. Est-ce le niveau d'auto-efficacité qui détermine la performance ou le niveau de performance qui détermine l'auto-efficacité ? Probablement les deux. La théorie de Bandura (1986, 1989) nous indique que l'auto-efficacité joue un rôle majeur dans l'initiation et le maintien des comportements dirigés, donc dans l'atteinte des objectifs ; la performance plus faible des personnes âgées pourrait donc s'expliquer par une mauvaise utilisation des ressources due à une motivation moins élevée et une anxiété plus grande. Mais les études de laboratoire montrent clairement que l'expérience avec une tâche, et donc la possibilité de s'auto-observer en situation, influence directement le niveau d'efficacité perçue (prédiction de performance). Les personnes âgées sont compétentes pour développer de telles adaptations (Hertzog et al., 1990). Aussi la remédiation pourrait-elle passer par l'incitation à l'auto-observation et à l'analyse objective des performances.

Les différences d'âge trouvées sur d'autres dimensions ou échelles de métamémoire sont moins consistantes d'une étude ou d'un questionnaire à l'autre. Concernant la question de l'utilisation de stratégies, certains résultats incitent à croire qu'il existe une interaction entre l'âge et le type de stratégie utilisé : les personnes plus âgées rapportent plus d'utilisation d'aides externes alors que les jeunes (surtout étudiants) préfèrent les aides internes (Loewen et al., 1990). En laboratoire, où l'utilisation des aides internes est prépondérantes, les personnes âgées montrent un déficit de production ; elles n'utilisent pas spontanément les stratégies optimales et prennent moins conscience de leur efficacité relative que les sujets jeunes (Brigham et Pressley, 1988). Si les individus âgés préfèrent les aides externes, les grandes différences d'efficience trouvées au laboratoire entre jeunes et âgées sont en partie expliquées : en effet, les tâches de laboratoire et les consignes stratégiques préconisées demandent surtout la mise en oeuvre des ressources cognitives du sujet.

Les études comparatives sur la métamémoire ont des implications importantes pour la prise en charge des déficits mnésiques. On a montré que les sujets âgés peuvent bénéficier de programmes d'entraînement et d'instruction de stratégies de mémoire. Sans entrer dans le débat sur le bien-fondé de ces programmes, il apparaît que les personnes âgées, relativement aux jeunes, ont besoin d'incitants externes pour adopter les comportements adéquats et prendre conscience des mécanismes de leur mémoire : par exemple, ils reconnaissent qu'une stratégie est efficace s'ils ont pu tester auparavant son efficacité ; mais ils ne cite pas cette stratégie spontanément si on leur demande d'énoncer le meilleur moyen pour apprendre avant de réaliser la tâche (Cox et Paris, 1979). Les personnes âgées possèdent donc les connaissances adéquates mais ne les activent pas nécessairement (déficit de production). L'éducabilité de la mémoire passe alors par une incitation à la prise de conscience des processus mentaux (stratégies métacognitives). De même, les interventions les plus efficaces seront sans doute celles qui tenteront de remédier à des croyances négatives et irréalistes plutôt que celles qui se contenteront d'apprendre à utiliser une stratégie particulière. Toutefois, pour terminer au sujet de l'entraînement de la mémoire, reprenons la conclusion tant amusante que piquante de Roberts (1983) : « ‘Il y a plusieurs réponses possibles à la question : sur quoi exactement devrait porter l'entraînement de la mémoire ? Je suggère qu'il devrait être l'entraînement des psychologues à se souvenir qu'expliquer le comportement dans le vrai monde est un objectif important, et que différence n'est pas synonyme de déficit’» (p. 95).