2.4.3.2011Evaluation et prise de conscience du déficit mnésique

L'auto-évaluation du déficit par le sujet amnésique constitue sans nul doute une question relevant de la connaissance métamnésique sur la variable « sujet» . Il s'agit notamment de déterminer si le patient peut saisir l'existence et l'étendue de ses troubles. On parle d'anosognosie pour signifier le manque de conscience des problèmes spécifiques que rencontre la personne.

Il est possible d'évaluer cette prise de conscience par l'utilisation de questionnaires de métamémoire demandant une auto-évaluation de la compétence personnelle dans différentes situations quotidiennes. Trillet et Laurent (1988) précisent que les lésions thalamiques et frontales sont associées à de tels troubles de l'auto-évaluation. Les lésions frontales se caractérisent plus généralement par des troubles de l'évaluation (Bechara et al. 1994).

Sunderland et al. (1983), utilisant une version du questionnaire présenté en annexe 2.1 (Everyday Memory Questionnaire), constatent que deux groupes de patients ayant subi un traumatisme crânio-cérébral grave (groupes « récent» et « ancien» distingués selon le délai depuis le traumatisme) ne s'auto-évaluent pas de manière différente qu'un groupe contrôle. Par une méthode de carnet de bord94, les sujets du groupe « ancien» se différencient du groupe contrôle. Ces résultats ne peuvent pas être attribués à un manque de sensibilité de l'outil de mesure puisque les auteurs constatent que les évaluations faites par une personne proche permettent de saisir une différence significative du niveau d'efficience mnésique entre les deux groupes de patients et le groupe contrôle. De plus, les mesures relevées dans cette étude (questionnaires et carnets de bords, chez les patients et les proches) sont très concordantes en ce qui concerne le classement des situations de mémoire en termes de fréquences des problèmes rencontrés (accord entre sujets et entre méthode). Il apparaît donc que les patients sont moins aptes que leurs proches à estimer le degré de gêne consécutif à leur atteinte cérébrale. Ce résultat est conforté par un manque de corrélation entre l'auto-évaluation et la performance à une batterie de tests standards de mémoire : les questionnaires remplis par un proche sont plus concordants avec l'efficience des patients à ces épreuves que les questionnaires remplis par les patients eux-mêmes (groupes « ancien» et contrôle uniquement).

Des données similaires sont relevées par Beatty et Monson (1991) dans différents groupes de patients atteints de sclérose en plaques et présentant des niveaux variés d'efficience mnésique et de contrôle exécutif : les patients auto-évaluent leurs fonctions cognitives quotidiennes de la même façon que des sujets contrôle. Les auteurs soulignent toutefois une grande variabilité des évaluations, suggérant des différences individuelles dans la prise de conscience des troubles mnésiques. Considérons le célèbre cas H.M., amnésique suite à une résection d'une grande partie du lobe temporal interne : cette personne est dans un état de conscience très particulier et le reconnaît en disant qu'il a constamment l'impression de se réveiller. La conscience des troubles peut donc être bien présente chez le sujet amnésique.

En résumé, concernant les évaluations générales de la mémoire quotidienne, une absence de conscience des troubles a été démontrée chez différentes populations de patients. Il se peut toutefois que ce résultat traduise la présence d'un trouble de mémoire plutôt que l'existence d'un trouble de métamémoire ; en effet, pour estimer la fréquence des difficultés rencontrées dans la vie quotidienne, les sujets doivent au moins en partie se baser sur l'activation des souvenirs de tels échecs (paradoxe de l'introspection mnésique, Herrmann, 1979 ; Morris, 1984). Ainsi, le trouble de métamémoire observé serait la conséquence plutôt que la cause d'un trouble de mémoire.

Il apparaît également que les auto-évaluations générales des patients prédisent peu la performance réelle. L'évaluation faite par une personne proche est plus réaliste. Il faut toutefois souligner les limites des questionnaires généraux pour traduire le niveau d'efficience réelle : chez des individus normaux, l'auto-évaluation réalisée par de tels outils ne prédit pas plus le niveau d'efficience à des tests de laboratoire. C'est pourquoi ces observations devront être comparées avec la validité des jugements émis face à des tâches plus spécifiques (monitoring de la mémoire, § 2.4.3.3).

Notes
94.

Chaque jour, pendant une semaine, les sujets doivent dire s'ils ont ou non rencontré une liste de difficultés mnésiques (les mêmes que dans le questionnaire) et à quelle fréquence (1 fois ou plusieurs fois).