2.5011Synthèse de la littérature sur la métamémoire

Le concept de métamémoire doit être conçu comme une construction multidimensionnelle, comportant au moins trois composantes : l'auto-efficacité, la connaissance et la surveillance de la mémoire (Hertzog et Dixon, 1994). La plupart des travaux sur la métamémoire ont cherché soit à préciser son contenu et les relations qu'elle entretient avec des dimensions indépendantes (motivation, personnalité, affect...), soit à spécifier les relations qu'elle entretient avec le fonctionnement même de la mémoire (niveau d'efficience et processus de contrôle). Nous avons qualifiées ces deux approches de statique et de dynamique, respectivement.

Les modèles statiques ont mis en évidence l'existence de plusieurs dimensions dans la connaissance que les gens possèdent de la mémoire en général et de leur propre mémoire : par exemple, la connaissance des tâches, l'utilisation de stratégies, l'auto-évaluation de la capacité personnelle, la perception d'un changement dans l'efficience mnésique, l'importance accordée à une bonne mémoire, l'anxiété liée aux situations mnésiques et le degré de contrôle personnel sur la mémoire (MIA de Dixon et Hultsch, 1984). Ces dimensions peuvent se regrouper en facteur de plus haut niveau : la connaissance et l'auto-efficacité. Ainsi, les questionnaires de mémoire quotidienne abordent-ils deux aspects de la métamémoire : les théories des sujets sur le fonctionnement de la mémoire humaine (facteurs qui influencent la performance) et la perception qu'ils ont d'eux-mêmes (auto-évaluation). Le premier peut être évalué selon un critère d'exactitude (connaissances établies scientifiquement) alors que le second traduit plutôt des croyances qui ne sont pas nécessairement réalistes. Il ressort de ces études qu'une vision adéquate de la métamémoire doit impérativement prendre en compte les aspects conatifs (affects, motivation, attributions, personnalité) associés à la métamémoire. En effet, les croyances des sujets, mêmes injustifiées, sont probablement à la base de leurs comportements réels et donc de leur niveau d'efficience. Il a été montré par exemple que les personnes âgées présentent des patrons de réponses différents sur la dimension auto-efficacité alors que leur connaissance est aussi bonne que celle des jeunes.

Les modèles dynamiques tentent de mettre en relation la connaissance qu'ont les sujets de la mémoire et la performance effective. Plusieurs axes de recherches ont été considérés successivement dans ce chapitre.

  1. Les études de la validité prédictive des questionnaires de métamémoire arrivent à la conclusion unanime que les questionnaires ne peuvent pas se substituer aux tests classiques pour mesurer le niveau d'efficience mnésique. Plusieurs explications sont fournies face à ce manque de validité : incapacité des sujets à s'auto-évaluer correctement, différences importantes entre les contenus et tâches abordés dans les questionnaires et dans les tests, biais de jugements liés aux échelles des questionnaires, intervention de variables « parasites» associées à des aspects conatifs...

  2. L'hypothèse d'un effet de la qualité métamnésique à la fois sur la performance et sur l'utilisation de stratégies et les décisions d'actions régulatrices, a donné lieu à un grand nombre de travaux depuis le début des années 70, notamment en psychologie développementale. La principale conclusion à tirer de ces études est l'existence de résultats mitigés à propos de cette hypothèse forte de la métamémoire. Les résultats ne sont pas compatibles avec une relation causale et unidirectionnelle de la métamémoire sur la mémoire : la métamémoire n'est pas une condition suffisante pour une bonne performance. Toutefois, les études menées dans ce champ contribuent à spécifier les conditions optimales à remplir pour obtenir des relations positives : un des facteurs principaux entrant en compte dans l'établissement de cette relation est l'expérience du sujet avec la tâche et la possibilité qu'il a d'observer ses propres opérations cognitives (Schneider, 1985). Un second facteur est le mode d'appréhension de la connaissance : les questionnaires spécifiques traduisent mieux la connaissance que les questionnaires généraux (raisonnement sur des situations hypothétiques).

  3. Des relations positives entre connaissance et performance ont été observées de manière consistante lorsque la connaissance est exprimée au cours d'une tâche. La connaissance est exprimée par des évaluations et jugements subjectifs groupées sous le terme de « memory monitoring» ou supervision de la mémoire (Brown, 1978). Les travaux les plus récents sur la surveillance et le contrôle de la mémoire (Nelson et Narens, 1994), notamment les études du sentiment de savoir, de la facilité d'apprentissage..., cherchent plus à vérifier la validité des jugements et à analyser les conditions de cette validité qu'à vérifier l'existence d'une relation causale entre métamémoire et mémoire. Autrement dit, on va chercher à savoir si les individus ont une connaissance adéquate de leurs contenus et processus mnésiques, indépendamment de leur niveau d'efficience réelle (qualité de la mémoire). La relation entre mémoire et métamémoire est ici abordée en terme d'exactitude de la connaissance exprimée et de cohérence dans les comportements de contrôle consécutifs aux jugements (par exemple, les items jugés les plus difficiles dans une liste seront étudiés plus longuement). Cette option de recherche admet que la validité des jugements (qualité de la métamémoire) peut survenir aussi bien chez les sujets peu efficients que chez les sujets très efficients. Concernant les études mettant en relation jugements métacognitifs et performance, on peut conclure à une vision assez exacte des sujets du contenu de leur mémoire et à l'adoption de comportements de contrôle adaptés aux jugements.
    Il est nécessaire de considérer séparément les jugements globaux sur la performance (prédiction et postdiction). En effet, l'analyse de la littérature conduit à penser que de tels jugements, émis en dehors de toute expérience avec la tâche, reflète plus l'auto-efficacité personnelle (une des dimensions de la métamémoire) que la connaissance objective de la mémoire : les sujets prennent moins en compte les caractéristiques des tâches et matériel dans leurs jugements globaux que dans les jugements item par item. On observe alors moins d'exactitude dans les jugements. Seuls les travaux de ce type ont cherché à établir la relation entre performance et exactitude de prédiction, afin de tester l'hypothèse forte de la métamémoire : les sujets les plus exacts sont aussi les plus performants96. Mais il existe des difficultés méthodologiques, liées au mode de calcul des corrélations, qui limitent la portée des résultats observés (Hasselhorn et Hager, 1989 ; § 2.2.4.4). La corrélation simple entre prédiction et performance peut donner une indication de l'adéquation de la métamémoire ; en cas de relation positive et forte, on peut dire que les meilleurs sujets (performances plus hautes), ont aussi une expectation de performance plus forte. Il a été montré que l'expérience des tâches revêt une importance primordiale sur la relation entre performance et jugement ; en l'absence d'expérience les prédictions reflètent plus les croyances d'auto-efficacité (pas nécessairement réalistes), alors qu'avec une expérience minimale ou un feed-back procuré par un test antérieur, les relations sont bien meilleures (travaux de Hertzog et al, 1990, par exemple).

  4. Certains chercheurs tentent de combiner les trois composantes de la métamémoire (connaissance, auto-efficacité et monitoring) afin d'avoir une vision plus complète des déterminants de la performance et de la nature des relations entre métamémoire et mémoire. Globalement, ces données confirment l'importance des facteurs affectifs et motivationnels dans le concept de métamémoire. Leur prise en compte permet de mieux saisir pourquoi les relations entre connaissance de la mémoire et performance ne sont pas toujours consistantes.

Pour conclure, il est utile d'ajouter deux commentaires.

  1. La mémoire et la métamémoire sont deux constructions mentales indépendantes ; plusieurs évidences défendent ce point de vue :
    • l'évidence développementale : chez les enfants, le degré d'articulation de la connaissance métamnésique n'est pas systématiquement et positivement liée à la performance ; de même, les personnes âgées, chez qui la performance de mémoire est souvent altérée par rapport à celles des personnes jeunes, ne montrent pas de déclin dans certaines dimensions de leur métamémoire (connaissance et monitoring),

    • l'évidence expérimentale : par la démonstration de l'effet de certains facteurs sur les jugements (ou sur la performance) et pas sur la performance (ou sur les jugements), on voit que l'exactitude des jugements peut être altérée (Miner et Reder, 1994 ; Schwartz et Metcalfe, 1992) ; par exemple, en reconnaissance, l'exactitude de prédiction (écart entre prédiction et performance) de la performance ne prédit pas aussi bien le niveau de performance des adultes que celui des enfants (les enfants sont plus exacts et réussissent bien le test). Par contre en rappel libre, l'exactitude prédit la performance, c'est-à-dire que les sujets qui ont une bonne estimation de leur capacité ont tendance à rappeler plus d'éléments (les enfants se surestiment beaucoup plus que les adultes) (Levin, Yussen, DeRose et Pressley, 1977). Toutefois, il faut noter que les jugements subjectifs (type FOK, JOL...) se basent sur des indices (caractéristiques du matériel, facilité de réponse... ; Koriat, 1997) qui ont un effet par ailleurs sur la performance ; d'où l'idée que les jugements reposent en partie sur les mêmes bases que la performance et que leurs mécanismes ne peuvent pas être totalement indépendants du mécanisme mnésique ;

    • l'évidence neuropsychologique : les patients amnésiques sont conscients de leur état et des modifications survenues dans le fonctionnement de leur mémoire ; ils sont capables de prédire correctement leur performance future dans des mesures concomitantes de métamémoire. D'autres patients ont des difficultés manifestes dans des tâches de jugements et d'auto-évaluation alors qu'ils n'ont pas obligatoirement de troubles de la mémoire.

  2. (2) Le second point nécessite d'apporter une modification à l'hypothèse forte d'une relation unidirectionnelle et causale entre la métamémoire et la mémoire. Il apparaît clairement que la métamémoire se construit à travers l'expérience des situations de mémoire et qu'une hypothèse de relations bi-directionnelles est plus appropriée (Schneider, 1985 ; Melot, 2001). L'utilisation d'une stratégie, si elle est accompagnée de la prise de conscience de son efficacité, mène à une utilisation ultérieure optimale de cette stratégie (transfert), qui à son tour, ajoute une information à la connaissance métacognitive (Justice et Weaver-McDougall, 1989). Le modèle de Flavell de 1981 apporte des précisions sur l'aspect dynamique de la métamémoire qui manquait aux modèles antérieurs en envisageant des relations réciproques entre les buts cognitifs, les actions cognitives (stratégies), les expériences métacognitives et la connaissance métacognitive. Les expériences métacognitives, issues de l'analyse des performances mnésiques et des procédures de mémorisation, permettent la modification de l'état des connaissances métacognitives et sont particulièrement importante pour la régulation de l'activité mnésique (Hertzog et al., 1990). Le rôle de l'expérience mnésique sur la métamémoire concerne aussi bien la dimension de connaissance que la dimension d'auto-efficacité (par le biais des processus attributionnels).

Dans le chapitre suivant, nous allons préciser notre problématique et proposer une série d'hypothèses à tester considérant l'ensemble des dimensions de la métamémoire (connaissance du fonctionnement mnésique, surveillance de la mémoire et auto-évalution personnelle) et ses relations avec la performance dans des situations d'encodage intentionnel.

Notes
96.

A notre connaissance, les études visant à identifier la validité des jugements tels que le FOK, le JOL, le EOL, ne mettent pas en relation les indices d'exactitude avec le niveau d'efficience mnésique.