3.1011Théories scientifiques et théories naïves

3.1.1011Que nous apprennent les théories scientifiques ?

Comme nous l'avons vu au chapitre premier, les théories scientifiques de la mémoire proposent l'existence de différents systèmes mnésiques se distinguant notamment par le type d'informations qu'ils emmagasinent et par des mécanismes de fonctionnement propres (Atkinson et Shiffrin, 1968 ; Baddeley et Hitch, 1974 ; Cohen et Squire, 1980 ; Graf et Schacter, 1985 ; Tulving, 1983). Par exemple, on distinguera une mémoire à long terme destinée au stockage permanent des données et une mémoire de travail destinée à la gestion des tâches en cours de réalisation ; la mémoire sémantique emmagasine la connaissance sur le monde alors que la mémoire épisodique stocke les souvenirs personnels ; mémoire procédurale et mémoire déclarative engrangent respectivement des habiletés et des faits ; la mémoire explicite peut être volontairement explorée par le sujet alors que la mémoire implicite procède indépendamment du contrôle subjectif. Les théories mettent également en évidence des lois, tenant aux caractéristiques du matériel ou des tâches (Craik et Lockhart, 1972 ; Tulving et Thomson, 1973 ; Underwood, 1983), qui permettent de cerner les déterminants de la performance et de l'oubli. Ainsi, il est aisé de démontrer, à partir de tels cadres théoriques, l'efficacité des moyens mnémotechniques et les conditions de performance optimale.

Un courant particulièrement intéressant de recherche est apparu dans les années 80 : le courant écologique. Prenant conscience du peu de portée pratique de certains modèles, des chercheurs ont décidé de s'intéresser à des aspects plus naturels de la mémoire (Neisser, 1978 ; Gruneberg et al., 1988 ; Harris et Morris, 1984 ; Gruneberg et Morris, 1979...). Ce courant a apporté de nouveaux concepts et de nouvelles perspectives dans l'étude des processus mnésiques, dont semble-t-il, le concept de métamémoire, en tant que connaissance issue de l'expérience d'un sujet dans des situations de mémoire quotidienne.

En outre, les théories de la mémoire envisagent de plus en plus la prise en compte des phénomènes de conscience associés à la mémorisation. Cette conception était déjà présente à la fin du XIXème siècle chez les précurseurs de l'étude de la mémoire (Ebbinghaus, 1885 ; Galton, 1883 ; James, 1890) mais a connu un vif déclin avec le béhaviorisme. En particulier, et ce point fait la jonction entre mémoire et métamémoire, on admet aujourd'hui l'existence de différentes formes de conscience associées aux différentes mémoires (Tulving, 1985). Il existe également des impressions subjectives associées aux mécanismes de récupération ou d'encodage qui peuvent être directement mesurées dans les laboratoires de psychologie : impression de facilité, de familiarité, de posséder l'information recherchée, de certitude sur la réponse...(Brown, 1978 ; Nelson et Narens, 1994 ; Tiberghien, 1971 ; Gardiner et Java, 1993). Ces impressions peuvent donner lieu à des jugements de métamémoire effectués parallèlement au déroulement des opérations mnésiques. Les études menées dans le domaine de la métamémoire démontrent la fiabilité et la cohérence générale de telles données subjectives. De plus, une grande partie des recherches vise aujourd'hui à élucider les circonstances et mécanismes qui mènent à l'exactitude ou à l'inexactitude des jugements (Koriat, 1994, 1995, 1997 ; Miner et Reder, 1994 ; Nelson, 1988 ; Nelson et Dunlosky, 1991.)