Deuxième partie : Apports expérimentaux

Chapitre 4011Les représentations de la mémoire dans la vie quotidienne : théories naïves ?

4.1011Cadre général de l'étude

Nous avons constaté, au fil de la littérature, que les relations entre métamémoire et performances mnésiques sont loin d'être clairement établies, notamment lorsque la connaissance est évaluée au moyen d'un questionnaire et que la performance est mesurée dans une tâche de laboratoire. Aussi, dans un premier temps, il nous a paru pertinent d'entreprendre une investigation des représentations, connaissances et croyances, que les sujets possèdent sur leur mémoire quotidienne, indépendamment de toute mesure de performance. Nous avons pour cela construit un questionnaire englobant des questions ouvertes et des échelles d'auto-évaluations. Cette recherche n'a pas pour objectif d'étudier les relations entre mémoire et métamémoire, mais de dégager des éléments pertinents des représentations naïves ou théories implicites de la mémoire (Beauvois, 1984 ; Dobbs et Rule, 1987 ; Roediger, 1979). Nous avons posé l'hypothèse d'une adéquation globale entre les théories naïves et les théories scientifiques (H.1.).

L'objectif principal du questionnaire est d'évaluer les connaissances des sujets sur le fonctionnement de la mémoire et de les comparer aux théories scientifiques de la psychologie cognitive. Nous chercherons notamment à savoir si les sujets :

  • conçoivent l'existence de plusieurs systèmes mnésiques assimilables à ceux que la psychologie dénomme par exemple mémoire procédurale, mémoire sémantique et mémoire épisodique, mémoire explicite et mémoire implicite, mémoire à court terme et mémoire à long terme...,

  • perçoivent des différences dans les contraintes exercées par les tâches et les matériels et connaissent les principes de fonctionnement de la mémoire comme la supériorité de la reconnaissance sur le rappel, la supériorité de l'image sur le mot, les effets de fréquence, de répétition, de profondeur d'encodage.

En plus de dresser le portrait de ce qu'est la mémoire chez des individus « tout venant» , nous avons cherché à identifier les croyances relatives à l'effet de variables individuelles comme l'âge, le sexe ou le niveau socio-économique sur la performance mnésique (un des aspects « sujet» de la métamémoire), les attributions causales de réussite et d'échec de mémoire (aspect « locus de contrôle» ) et les domaines de compétence individuels (aspect « auto-efficacité» ).

Enfin, conformément à nos préoccupations générales sur la mémorisation intentionnelle, nous souhaitons identifier les situations spécifiques de la vie quotidienne où la mémoire est utilisée consciemment ou volontairement, ainsi que les stratégies naturelles adoptées dans ces circonstances. L'analyse de ces données permettra d'évaluer les écarts entre tâches de laboratoire et tâches quotidiennes, entre les stratégies « artificielles» , étudiées en laboratoire, et les stratégies « naturelles» , développées quotidiennement. Au final, nous mettrons en évidence les circonstances dans lesquelles les sujets prennent conscience de leur mémoire et l'utilisent volontairement.

Une telle étude nécessite de questionner les personnes sur des situations de leur vie quotidienne, de faire référence au vécu personnel, et présente donc l'avantage de fournir des données écologiquement plausibles et signifiantes. Si l'on reste dans le cadre du laboratoire, les tâches de mémoire demandées aux sujets ressemblent fort peu à leurs activités courantes et les informations demandées sur le fonctionnement de la mémoire sont souvent spécifiques à la situation (prédiction et évaluation de performance), mais peu reliées aux connaissances du fonctionnement mnésique dans des situations plus naturelles. Ici, se trouve une source possible de l'inadéquation souvent mentionnée entre connaissance de la mémoire, performance réelle en laboratoire et performance réelle quotidienne.

Les nombreux inconvénients liés à la méthodologie des questionnaires, notamment à la compréhension des questions et à l'interprétation des données verbales, et le faible effectif de personnes interrogées limiteront certaines de nos analyses à une simple description des réponses fournies par les sujets.