4.2011Présentation de l'étude

4.2.1011Justification et limites de la méthode

Afin d'éviter d'induire des réponses spécifiques ou d'orienter les choix sur les réponses socialement désirables, nous avons préféré utiliser des questions ouvertes et demander des justifications pour certaines réponses (e.g., « Pensez-vous que l'âge influence la mémoire ? Explications ?» ). Cette technique, bien que sensible à l'obstacle des différences dans la capacité d'expression, entraîne une activation spontanée des réponses, sur le mode de fonctionnement des associations d'idées. Aussi, semble-t-elle recommandée pour accéder aux éléments les plus saillants de la représentation individuelle. En effet, les premières idées qui viennent à l'esprit sont probablement représentatives d'une unité psychique (notion de schéma) activée par une question d'ordre général. Tout au moins, pensons-nous qu'elles reflètent l'état d'esprit d'un sujet à un instant donné.

Alors que la première et la troisième parties du questionnaire se présentent sous forme de questions ouvertes, la seconde partie aborde des connaissances plus spécifiques en présentant des situations concrètes pour lesquelles le sujet doit évaluer la qualité de sa propre mémoire.

On peut supposer que pour pouvoir émettre un tel jugement sur sa capacité mnésique, le sujet doit :

  • soit activer, donc se souvenir d'un certain nombre d'exemples de la situation décrite (épisodes) en estimant le nombre relatif d'échecs ou de réussites de mémoire ; cette situation se produira si la personne n'a jamais eu auparavant l'occasion de juger la qualité de sa mémoire sur cet exemple précis ou de s'en faire une idée « générale» .

  • soit activer une représentation correspondant à l'idée générale qu'il se fait de lui-même à partir d'une généralisation faite sur l'ensemble de son expérience de la situation décrite et/ou en comparaison avec des personnes de son entourage ; ce type d'auto-évaluation revient à considérer l'aspect sémantique de la mémoire autobiographique ou la mémoire sémantique personnelle (Brewer, 1988a) ; il fait aussi référence à la notion d'auto-efficacité (Bandura, 1977, 1986).

Chacun de ces deux processus d'auto-évaluation est sujet à des biais de jugement qui peuvent altérer l'objectivité du jugement. Dans le premier cas, qui représente une tâche de mémoire par excellence, l'auto-évaluation variera en fonction de la capacité du sujet à se souvenir des épisodes de réussites et d'échecs (facteur « pur» de mémoire), de sa motivation à retrouver de tels épisodes, de l'importance accordée à la réussite ou à l'échec et des effets typiques observés dans l'étude du fonctionnement mnésique (récence, élaboration de l'encodage, accessibilité, contexte, ...).

La récupération en mémoire concerne d'abord les événements récents puis les événements anciens, et cette loi est vraie à la fois pour la mémoire immédiate et la mémoire à long terme (Baddeley et Hitch, 1977) ; cela se traduit par un meilleur rappel des événements récents. Concernant l'effet de récence, on peut imaginer que le sujet aura tendance à donner une auto-évaluation congruente avec une expérience d'échec ou de réussite vécue peu de temps avant de répondre au questionnaire : si un échec de mémoire a eu lieu récemment, il sera plus facilement activé et le sujet pourra penser que ce type d'échec est habituel ; en fait, la « note» auto-administrée ne reflètera pas nécessairement et objectivement son comportement habituel.

De même, si la personne a accordé une importance particulière (traitement élaboré) à un échec passé, elle aura tendance à sous-estimer sa capacité mnésique effective dans le domaine où l'échec s'est présenté. Cela tient à une meilleure évocation des événements traités en profondeur (Craik et Lockhart, 1972) ou qui revêtent un caractère saillant pour le sujet (self-reference effect, Rogers, Kuiper et Kirker, 1977).

Si un souvenir précis de réussite (ou d'échec) se présente rapidement à la conscience (accessibilité), l'auto-évaluation correspondante sera très probablement surestimée (sous-estimée) car le sujet infèrera la généralité de ce comportement. Le concept d'accessibilité a été opposé à celui de disponibilité (Tulving et Pearlstone, 1966) ; ce dernier désigne les éléments effectivement stockés en mémoire mais qui ne peuvent pas être récupérés à un instant donné, notamment pour des raisons d'incongruence contextuelle. Tversky et Kahneman (1973) évoque l'accessibilité comme une heuristique de base pour certains jugement ; lorsqu'une réponse est facilement accessible, elle paraîtra par exemple plus fréquente.

Enfin, l'état d'esprit actuel, jouant comme contexte, influencera le type de souvenirs évoqués au cours de l'évaluation ; ainsi, un sujet déprimé se souviendra plus facilement de ses échecs et dépréciera notablement ses performances (Bower, 1983)...

Intuitivement, la seconde alternative du processus d'auto-évaluation semble la plus probable et la plus économique sur le plan cognitif, d'autant plus que les consignes insistent sur la rapidité et la spontanéité des réponses. Autrement dit, pour chacune des auto-évaluations, les sujets ne vont certainement pas tenter de retrouver des exemples précis des situations décrites, à moins que celles-ci se présentent d'emblée à leur conscience. Les biais d'auto-évaluation seront alors ceux de l'abstraction et de la généralisation, liés à la représentation de soi sous forme de structure schématique (Mandler, 1984 ; Markus, 1977, in Piolat et al., 1992) : tendance à se trouver au-dessus de la moyenne (qui dans notre expérience peut être inférée à partir du point médian de l'échelle), considération d'aspects généraux et négligence des détails, biais de désirabilité sociale, degré d'auto-efficacité personnelle (Bandura, 1986)... Les évaluations traduiront donc la perception générale des sujets sur leur propre compétence mnésique.