4.3.1.2011Associations sémantiques

La deuxième question visant à faire émerger la représentation de la mémoire utilise la technique du mot inducteur. Les sujets étaient invités à donner un maximum de dix réponses face à l'indice « mémoire» . Au total, 413 réponses (moyenne de 7,12 mots par sujet), représentant 216 mots différents, ont été fournies par 58 sujets102.

Tableau IV. 2 : Fréquences de citations des mots.
nombre de sujets
1 2 3 4 5 6 7 8 10 37 Σ
nombre de mots différents 144 35 13 13 3 1 2 2 2 1 216
% cumulé 66,67 82,87 88,89 94,91 96,30 96,76 97,69 98,61 99,54 100
nombre total de mots 144 70 39 52 15 6 14 16 20 37 413
% cumulé 34,87 51,82 61,26 73,85 77,48 78,93 82,32 86,19 91,03 100

Un nombre très important d'associations apparaît en un seul exemplaire (i.e., n'est donné que par un sujet). Le tableau IV.2 détaille la répartition des effectifs en montrant que plus de la moitié du corpus (52%), et la presque totalité des occurrences uniques (83%) sont cités par un ou deux sujets. Un seul associé apparaît chez plus de la moitié des sujets : le mot « souvenir» . Ce résultat dénote l'existence d'une variété de terme pouvant être associés au concept de mémoire et d'une assez faible concordance interindividuelle dans l'activation de ces associés, sauf concernant l’aspect de la récupération, déjà évoqué dans l’analyse de la première question. De plus, les six termes qui ressortent chez au moins sept sujets sont les suivants : passé (10 sujets), se rappeler (10), ordinateur (8), se souvenir (8), oubli (7) et retenir (7). Cela tend à confirmer l'analyse effectuée sur la question de définition libre, où les aspects de récupération et de passé étaient prédominants.

Suite à l'analyse individuelle des réponses, nous avons cherché à regrouper les mots se rapportant à une même dimension de la représentation ; par exemple (figure 4.3) :

  • « se souvenir» , « se rappeler» , « se remémorer» , « souvenir» et « raconter» sont regroupés sous le thème de la récupération,

  • « horloge» , « anniversaire» , « passé» et « histoire» appartiennent à la catégorie temporelle,

  • « affection» , « beauté» , « bons» - « mauvais» (sous-entendu « souvenirs» ), « exister» , « identité» , « vitale» se rapportent aux thèmes de l'affect et de l'identité,

  • « attention» , « concentration» , « compréhension» , « écouter» , « penser» font référence à la notion générale de cognition...

message URL FIGURE16.gif
Figure 4. 3 : Classification des termes procurés face au mot inducteur « mémoire» .

Nous avons identifié douze catégories spécifiques et une catégorie « autre» (annexe 4.3) classées ci-après en fonction du nombre de mots différents qui s'y rapportent103 : 1. contenu mnésique : types d'information mémorisée (37 réponses), 2. récupération : acte ou résultat de recherche en mémoire (33), 3. affect et identité : importance perçue de la mémoire, sentiments, motivation, identité (29), 4. temps : toute référence à l'évolution temporelle (22), 5. autres : thèmes qui n'entrent dans aucune autre catégorie (15), 6. stratégies : références aux mécanismes sensés améliorer la performance (14), 4. apprentissage : notions liées à l'encodage (14), 8. cognition : relations avec les autres fonctions cognitives comme l'attention (13), 9. stockage : notions liées au maintien (10), 10. oubli et troubles (9), 11. capacité : idées de performance (9), 12. cerveau : mention des aspects neurophysiologiques (6), 13. informatique : référence à l'ordinateur (5). Le classement serait quelque peu différent si l'on considérait l'effectif total (i.e., toutes les répétitions d'un même terme) dans chaque classe (figure 4.3) : en effet, l'aspect « récupération» est représenté par un total de 102 associés (soit 24,7 % du corpus) et domine largement sur les autres thèmes ; le second effectif est de 63 (15,25 %) pour la catégorie « contenu» . Viennent ensuite les références au temps et à l'aspect affectif de la mémoire. D'après cette catégorisation des réponses, on retrouve à nouveau la configuration qui émerge de la définition libre.

L'analyse détaillée de ces réponses peut être menée de deux manières : soit en considérant, comme nous venons de le faire, le nombre de mots classés dans chacune des catégories (fréquences absolues), soit en calculant un indice de congruence du thème. Cet indice, rapport entre le nombre total d'exemplaires cités et le nombre de mots uniques, mesure la cohérence des réponses entre les sujets. Il indique la tendance des mots d'une catégorie à être répétés, c'est-à-dire fournis par plusieurs sujets. L'indice minimum est de 1 et traduit une apparition isolée de chaque mot, donc une absence de superposition des réponses. En traduisant la concordance ou la cohérence des réponses subjectives, cette mesure nous donne une indication de l'universalité de la représentation du concept de mémoire et de ses aspects les plus saillants.

Les thématiques extraites du corpus de réponses n'ont pas la même cohérence, et sont représentées par des terminologies plus ou moins variées. L'étude des indices de congruence (figure 4.4) nous montre un consensus interindividuel plus important pour les références à la récupération, l'informatique, l'oubli, l'apprentissage et le cerveau. Dans ces champs, un plus grand nombre de mots est répété d'un sujet à l'autre. Il est amusant de constater que certains sujets naïfs associent volontiers la mémoire à l'ordinateur à l'instar des théories cognitives, notamment celles des années 1970, dites computo-symboliques (Tiberghien, 1989a, 1991). Cette donnée concorde avec les réflexions de Roediger (1979) sur l'évolution des modèles de la mémoire avec l'évolution des technologies de l'information, mais aussi de leur vulgarisation.

message URL FIGURE17.gif
Figure 4. 4 : Indices de congruence des thèmes issus de l'analyse de la question d'association libre. Légende : I. récupération, XI. informatique, VIII. oubli, V. apprentissage, XII. cerveau, VI. stratégies, IX. stockage, III. temps, II. contenu, VII. cognition, X. capacité, IV. affect, XIII. autre. Les cinq thèmes les plus cohérents sont notés en gras.

Par contre, les catégories nommées « affect / identité» , « capacité» , « contenu» et « cognition» donnent lieu à une variabilité plus importante des réponses. Pour traduire l'importance de la mémoire et sa relation avec les sentiments ou la motivation, les gens utilisent des termes beaucoup plus variés que pour décrire son fonctionnement. On peut voir là une distinction entre définition objective (assortie d'un relatif consensus interindividuel) et implication personnelle (aspect individuel de la représentation) face au concept de mémoire. Soulignons néanmoins que ces champs, bien que liés à la mémoire, ne reflètent pas ses mécanismes de base. La question de définition libre précédant la tâche d'association peut avoir contribué à l'orientation des réponses vers les aspects explicatifs du fonctionnement mnésique plutôt que vers des aspects où les sujets s'impliquent plus personnellement. L'analyse des questions sur les attributions causales devrait nous renseigner sur les poids relatifs des champs cognitifs et affectifs dans la représentation naïve du fonctionnement mnésique.

Notes
102.

Trois personnes âgées ont éprouvé une réelle difficulté à suivre la consigne d'association.

103.

Les réponses sont répertoriées par ordre alphabétique en annexe 4.4 où l'on mentionne également pour chacune, le nombre de sujets correspondant et le numéro de la catégorie de référence.