4.5.4.2011Effets d'interaction entre tâches / matériel et fréquence

Pour les cinq situations de mémoire portant sur un matériel de haute fréquence (figure 4.11, première série de données), on dégage deux groupes d'évaluations : d'un côté, les informations numériques (numéros de téléphone souvent composés et dates personnelles) et de l'autre côté, les informations visuelles et verbales (noms de personnes, reconnaissance de visages et mémoire des lieux). Les premières reçoivent des auto-évaluations significativement plus faibles (on trouvera en annexe 7.11 les résultats des comparaisons de moyennes). Aucun regroupement de la sorte ne peut être accompli pour les évaluations faites sur un matériel de basse fréquence (figure 4.11, deuxième série de données) : la plupart des différences sont significatives. Dans l'ordre décroissant de qualité mnésique on trouve : la reconnaissance des visages, la mémoire des lieux, les noms de personnes (différence à .06 avec lieux), les dates historiques (différence à .06 avec noms de personnes) et les numéros de téléphone rarement utilisés. Cette hiérarchie montre une connaissance de l'effet de l'élaboration et de la signification d'un matériel peu familier sur la mémoire.

La figure 4.12 présente les évaluations de la qualité mnésique pour une sélection d'items du questionnaire appartenant aux domaines verbal (mots, noms propres de personnes et de lieux, paroles de chansons), sensoriel (code de la route, visages, lieux, mélodies) ou numérique (numéros de téléphone, chiffres).

Ces données nous indiquent que les sujets possèdent une certaine connaissance de la supériorité du visuel (visuo-spatial) sur le verbal, avec des auto-évaluations moyennes supérieures pour le code de la route ou la reconnaissance des visages par rapport à celles de la mémoire des noms communs et des noms propres peu familiers. En plus de refléter un effet du matériel, ces différences peuvent provenir de l'effet des tâches (i.e., rappel des chiffres versus reconnaissance des visages).

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Figure 4. 12 : Moyennes d'évaluations en fonction de différents matériels et tâches.

La mémoire des chiffres (numéros divers d'identification personnelle) est évaluée de façon équivalente à celle des noms communs et des noms propres de personnes peu connues. Les sujets pensent qu'ils retiennent moins les chiffres que les données plus signifiantes que sont le code de la route ou les visages. Par contre, leur évaluation dépasse celles d'autres informations numériques comme les numéros de téléphone, à condition que ces derniers soient rarement utilisés.

Parmi les informations verbales, on trouve de grosses différences à l'intérieur du domaine de la mémoire des noms propres. Les noms de pays et de villes sont estimés comme plus faciles à mémoriser que les noms de rues. Faut-il voir là une forme de connaissance de l'effet de la relation entre un mot et l'objet qu'il désigne ? Même si le lien entre un nom de ville et l'objet-ville n'est pas toujours évident ou existant, le lien entre une rue et son nom reste souvent arbitraire. De plus, cette différence tient au fait que les informations sur les pays et les villes font partie des apprentissages scolaires et culturels directs alors que la connaissance du nom des rues d'une ville ne peut se construire qu'à partir de l'expérience personnelle, indépendamment des connaissances que l'on pourrait posséder sur l'objet auquel se réfère le nom de la rue (personnage, événement...). De façon intéressante, on constate que la mémoire des noms de rues s'apparente à celle des noms propres de personnes peu familières.

Parmi les noms propres de personnes, les sujets devaient évaluer leur capacité mnésique pour différents types d'individus : ceux de l'entourage proche, ceux de l'entourage plus lointain (peu connues) et ceux de six catégories de célébrités (acteurs, chanteurs, peintres, sculpteurs, politiques et journalistes). Il ressort des analyses que l'évaluation qualitative donnée pourrait être fonction de la taille des ensembles sur lesquels elle porte, donc de la capacité du sujet à trouver des exemplaires (noms) dans chaque catégorie (biais d'accessibilité, Tversky et Kahneman, 1973). En effet, la mémoire des noms de peintres et de sculpteurs reçoit une évaluation bien inférieure à celle des noms d'acteurs, de chanteurs ou d'hommes politiques. Il faut préciser que ces deux exemples constituent des domaines culturels moins développés dans la vie quotidienne (fréquentation moindre) et où le personnage n'est pas physiquement associé à son activité (information moins intégrée et élaborée).

Le figure 4.12 présente également les auto-évaluations de la mémoire pour des données spécifiques comme les trajets ou les informations musicales. On s'aperçoit que la mémoire d'un trajet effectué une fois est évaluée comme aussi bonne que celle d'un trajet repéré sur plan. On aurait pu imaginer que la mémoire de l'action soit vue comme plus performante que la mémoire visuelle du plan (supériorité de l'agi sur le visuel).

Pour ce qui est des données musicales, on trouve une tendance pour les airs à être mieux mémorisés que les paroles (z=-1,65, p=.10). L'aspect « signification» des paroles de chansons n'est pas une dimension retenue par les sujets pour expliquer leur performance mnésique. Il s'avère que la signification, comme dans le cas des poèmes, n'apparaît pas toujours clairement, surtout lorsque la chanson en question est en langue étrangère. Au contraire, dans cette comparaison, il semble que les sujets émettent leur évaluation en considérant le fait que la mélodie constitue une information plus intégrée et singulière que les paroles. Il faut néanmoins noter que les moyennes attribuées à ces deux questions sont relativement basses par rapport à la moyenne générale de 5,88.