4.5.5011Analyse factorielle

Afin de déterminer la structure de la représentation de la mémoire à partir des estimations subjectives du niveau de performance, nous avons conduit une analyse factorielle globale sur l'ensemble des données.

Pour réaliser cette analyse, nous avons dû procéder à une double sélection : celle des questions ayant inspiré une réponse chez au moins 50 sujets et celle des sujets ayant donné plus de 35 réponses. Les données manquantes restantes ont été remplacées par la moyenne générale du groupe. Nous avons remplacé un total de 44 valeurs (détail dans le tableau de l'annexe 4.10). Au final, ce sont 43 auto-évaluations (plus l'âge ; donc 44 variables) et 56 sujets qui entrent dans l'analyse factorielle.

Un simple coup d'oeil sur le tableau des corrélations (annexe 4.12) permet de constater que la plupart d'entre elles sont positives, ce qui laisse supposer une certaine cohérence globale de l'auto-évaluation. De plus 370 sur 946 (soit 39%) atteignent au moins .26 (p=.05), alors que le simple hasard ne devrait aboutir qu'à 48 corrélations significatives à ce niveau (5% de 946). Il semble donc que les différentes questions mesurent un phénomène commun.

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Figure 4. 14 : Résultat de l'analyse factorielle : axes 1 et 2 (tableau IV.6, p.392, pour identification des codes).

Une première analyse met en évidence trois facteurs (méthode de la courbe des valeurs propres109) rendant compte de 44% de la variance totale (annexe 4.13 et figures 4.14 et 4.15).

Le premier facteur, qui se compose de 19 évaluations (saturations supérieures à .40) sur 44, semble représenter la dimension de connaissance générale que n'avaient pas réussi à mettre en évidence Bennett-Levy et Powell (1980) avec le Subjective Memory Questionnaire. Il regroupe les deux évaluations générales ainsi que les évaluations de la mémoire pour les noms propres de célébrités ou de lieux, les chiffres et les numéros de téléphone, les dates historiques... A un moindre niveau, (saturations aux environs de .30), les évaluations de la mémoire des contenus de films, romans et émissions ainsi que la mémoire des noms communs et des dates personnelles saturent sur ce premier facteur110. En résumé, ce facteur représente la mémoire des informations verbales sur le monde et semble refléter à la fois le niveau de culture générale et le degré de capacité mnésique individuelle (facteur d'auto-efficacité similaire à celui de Hertzog et al., 1989). Nous pouvons souligner que les auto-évaluations concernées par ce facteur sont aussi celles précédemment décrites comme donnant lieu aux plus grandes variations autour de la moyenne du groupe. De plus, l'âge et l'évaluation de fréquence du sentiment de savoir saturent de façon négative, mais très modeste (respectivement -.15 et -.12), sur ce facteur. Pour le sentiment de savoir, cela est logique dans la mesure où l'évaluation de la fréquence des problèmes de récupération est inversement proportionnelle à la qualité du fonctionnement mnésique. Le positionnement de la dimension « âge» tend à montrer que les sujets pensent que leur mémoire diminue en vieillissant.

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Figure 4. 15 : Résultat de l'analyse factorielle : axes 2 et 3 (tableau IV.6, p.392, pour identification des codes).

Le second facteur extrait reflète l'organisation personnelle et quotidienne des activités avec une contribution importante des items d'orientation temporelle (connaître le jour de la semaine et le jour du mois, mémoire des dates personnelles), de mémoire prospective (rendez-vous et actions à réaliser), d'emplacement des objets... Cette dimension comporte aussi les évaluations concernant la relation à autrui avec la mémoire des personnes (noms et visages) de l'entourage plus ou moins proche. Ce deuxième facteur regroupe les items pour lesquels les gens pensent avoir une bonne mémoire et donnant lieu à une faible variation interindividuelle. Il semblerait que ce facteur corresponde au seul qu'ont pu interpréter Bennett-Levy et Powell (1980) comme « organisation du comportement» (p.183), et qui, d'après eux, correspond assez bien au premier facteur de l'analyse de Herrmann et Neisser (1978) nommé « absentmindedness» (étourderie).

Les évaluations concernant la mémoire des lieux se rejoignent dans un troisième facteur assez clairement identifiable de prime abord comme celui de la mémoire visuo-spatiale. Nous pourrions même ajouter que cet axe représente la dimension espace-temps puisque certains items relatifs à l'orientation temporelle corrèlent négativement avec cet axe (dates historiques et personnelles avec respectivement -.14 et -.24). L'évaluation de la mémoire des numéros de téléphone souvent utilisés se situe également dans la partie négative ce facteur (-.19). Ainsi, ce troisième facteur évoque-t-il une dimension plus générale qui opposerait les aspects ponctuels aux aspects globaux de l'information à mémoriser. En effet, la mémoire visuelle des lieux, des visages, des trajets repose sur l'intégration d'une multitude de données formant un ensemble signifiant alors que la mémoire des chiffres et des dates repose sur l'encodage d'une suite de données plus difficilement organisable. Le fait que l'âge sature négativement sur cette composante (-.31) évoque la possibilité que les personnes plus âgées trouvent qu'elles se souviennent mieux des éléments temporels que spatiaux, ponctuels que globaux.

Huit variables (âge, mémoire des lieux jamais fréquentés, des noms communs, du code de la route, du contenu des films, romans et émissions, fréquence du sentiment de savoir) ne s'associent pas franchement à un des trois facteurs principaux (ensemble des saturations inférieures à .40). En omettant, ces variables dans une nouvelle analyse, on retrouve les mêmes facteurs principaux avec 51% de la variance expliquée et aucune communauté inférieure à .30.

En résumé, les facteurs extraits de l'analyse suggèrent que la représentation subjective s'organise autour d'au moins deux dimensions générales représentant d'une part la mémoire comme capacité intellectuelle à retenir les données sur le monde, et d'autre part la mémoire des informations personnelles et quotidiennes. Cette distinction évoque la séparation théorique entre mémoire sémantique et épisodique qui sont vues tantôt comme des systèmes séparés, tantôt comme deux facettes d'un même système mnésique. Cette opposition évoque également la distinction entre une mémoire académique (mesurée à l'école et au laboratoire) et une mémoire pratique (celle des éléments de la vie quotidienne). Le troisième axe général semble représenter une dimension de complexité et d'intégration des informations à retenir, avec la mémoire des lieux et des visages à une extrémité et la mémoire des dates et des chiffres dans la direction opposée. Enfin, on constate que les auto-évaluations se regroupent plutôt par contenus que par tâches.

Notes
109.

Pour relativiser la portée des conclusions tirées de cette étude, soulignons que le nombre de valeurs propres supérieures à 1 s'élève à 12 (16 chez Bennett-Levy et Powell, 1980), traduisant la disparité des auto-évaluations.

110.

Si on opte pour une solution à quatre facteurs, les trois auto-évaluations des contenus de films, romans et émissions contribuent pour la plus grande part au quatrième axe, ainsi que les paroles et airs de chansons (facteur culturel).