5.4.2.2011Discrimination et type de matériel

Jusqu'alors, nous avons étudié le coefficient de discrimination global pour chaque tâche de rappel sans tenir compte du type de relation dans les paires de mots, alors que ce facteur peut avoir un effet important sur la distinction entre bonnes et mauvaises réponses. Afin d'analyser cet effet, nous devons limiter nos analyses aux résultats en rappel indicé car il est impossible de classer les mauvaises réponses données en rappel libre dans chaque niveau de relation intra-paire. En rappel indicé, cela est possible car l'indice détermine le degré de relation initial dans la paire.

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Figure 5. 10 : Coefficient de discrimination en fonction de l'âge des sujets, des phases de l'expérience ou consignes (1 : incident, 2 : intentionnel, 3 : analyse), et du type de matériels (NR : mots non-reliés, RP : relation phonétique, RS : relation sémantique) pour les épreuves de rappel indicé. Le nombre de sujets apparaît à la base des « bâtons» du diagramme. Le niveau de significativité de la différence entre sujets jeunes et âgés apparaît au-dessus du « bâton» correspondant à l'indice des personnes âgées.

De plus, l'analyse de variance ne pourra pas être utilisée car elle nécessite un nombre d'observations égal dans chaque intersection de niveaux des variables. Or, le coefficient D ne peut pas être calculé pour un type de relation donné quand aucun mot de ce type n'a été rappelé et qu'aucune mauvaise réponse n'a été donnée face aux indices correspondants. Nous avons donc procédé à des comparaisons de moyennes sur groupes indépendants (avec écart-types estimés communs) pour comparer le coefficient de discrimination entre les deux groupes de sujets, les trois conditions d'encodage, et les trois types de paires de mots (t de Student). Le test non paramétrique de Mann-Withney a également été utilisé : il donne des résultats comparables. L'ensemble des résultats est recensé en annexe 5.6.

Des différences de discrimination entre les deux groupes d'âge apparaissent pour les mots non-reliés (condition d'encodage intentionnel : t(21)=2,69, p=.014, condition d'analyse : t(17)=1,86, p=.08) et avec relation phonétique (condition d'encodage incident : t(23)=2,16, p=.04 ; condition d'analyse : t(24)=3,45, p<.01), toujours à l'avantage des sujets jeunes (figure 5.10). Dans les quatre cas, ces derniers parviennent mieux à déterminer si le mot produit comme réponse a été récemment mis en relation avec l'indice. En ce qui concerne les paires de mots reliés sémantiquement, tous les sujets ont la même capacité à discriminer entre bonnes et mauvaises réponses, quelle que soit la condition d'encodage.

Chez les sujets jeunes, il existe une évolution de la capacité de discrimination entre les trois conditions d'encodage pour les mots non-reliés uniquement : la discrimination est plus basse lors de l'encodage incident que lors des encodages intentionnels (t(22)=-3,99, p<.01 et t(22)=-2,21, p<.05). Cette amélioration sélective aboutit, dans la seconde condition expérimentale, à une meilleure évaluation du caractère juste ou faux pour les paires non-reliés que pour les paires sémantiques (t(24)=2,85, p<.01) et à une évaluation équivalente entre les trois types de stimuli dans la troisième condition d'encodage. Lors de l'encodage incident, ce sont les mots phonétiquement reliés qui sont assortis de la meilleure discrimination (t(24)=-3,34, p<.01 et t(26)=1,73, p=.09 par rapport aux non-reliés et aux sémantiquement reliés respectivement), suivis des mots reliés sémantiquement (t(24)=-2,08, p<.05 par rapport aux non-reliés). Ainsi, dès la première phase de l'expérience, les sujets jeunes parviennent mieux à évaluer la pertinence de leur réponse sur les paires de mots liés sémantiquement et phonétiquement. La primauté de ce matériel n'existe pas chez les personnes âgées, pour lesquelles il est tout aussi difficile d'évaluer la pertinence des réponses fournies après un indice non-relié que phonétique ou sémantique.

Les personnes âgées améliorent leur discrimination uniquement pour les paires de mots reliés sémantiquement entre la condition d'encodage incident et la condition d'encodage intentionnel (t(24)=-2,25, p<.05). Quand l'encodage a été incident, la discrimination est équivalente pour les trois types de paires. Lors de la deuxième et de la troisième phase de l'expérience, la discrimination des réponses justes et fausses a tendance à être moins bonne pour les paires de mots non-reliés que pour les paires de mots reliés sémantiquement (encodage intentionnel : t(22)=-1,73, p=.10, analyse : t(17)=-2, p=.06). La consigne de mémorisation joue un rôle bénéfique principalement pour les paires de mots reliés sémantiquement, comme c'était déjà le cas sur la performance de rappel. Mais l'analyse systématique de la nature des relations n'améliore pas l'exactitude de la certitude alors qu'elle influençait positivement la performance.

L'effet classique de profondeur de traitement démontré pour la performance de rappel ne se retrouve pas systématiquement en ce qui concerne la discrimination entre réponses justes et réponses fausses. Cette tendance est même totalement inversée dans la condition d'encodage intentionnel chez les sujets jeunes : ce sont les paires de mots non-reliés qui sont le mieux objectivement évaluées en terme de certitude. La tâche d'appariement de l'indice et de la cible est très délicate pour ce matériel mais il n'en va pas de même pour la confiance accordée à la réponse. En cas de bonne réponse, le sujet aura la conviction de l'authenticité de son souvenir et en cas de mauvaise réponse, il lui sera facile de rejeter cette éventualité en tant que mot présenté antérieurement. La rareté de la liaison des deux éléments de cette paire vient en fait renforcer la trace intégrée qu'ils laissent en mémoire épisodique. Pour ce qui est des éléments déjà associés en mémoire sémantique, une présentation épisodique (parmi tant d'autres) ne suffira pas à déclencher quasi-automatiquement la conviction subjective d'avoir la bonne réponse. Dans le cas des paires de mots reliés sémantiquement, le nombre de réponses probables aussi fortement liées à l'indice est plus important et il devient donc difficile de déterminer si une réponse fournie de façon plus ou moins « logique» appartient ou non au souvenir épisodique de la présentation. Le phénomène des mots phonétiquement reliés est intermédiaire dans le sens où leur association peut ne pas préexister à l'expérimentation (le sujet n'a jamais rencontré ces deux mots simultanément auparavant), et laisser ainsi une trace épisodique « unique» et d'une élaboration plus « profonde» (puisqu'il suffit de remanier le contenu d'un mot pour découvrir son associé). Cela explique pourquoi la capacité à distinguer les bonnes des mauvaises associations faites sur les indices est parfois meilleure pour ce type de stimuli que pour le type sémantique. Notre hypothèse d'une amélioration des performances avec l'intention sur le matériel non-relié n'avait pas pu être vérifiée. En revanche, elle s'applique assez bien à l'évaluation de la certitude associée aux réponses, chez les sujets jeunes. Au fil de l'expérience, avec l'intention de mémoriser, ils deviennent plus aptes à discriminer les bonnes réponses des mauvaises réponses données face aux indices non-reliés. Ils se forgent donc une connaissance de plus en plus pointue du contenu réel de leur mémoire concernant ce matériel spécifique.

Ces commentaires ne valent que pour les personnes jeunes de notre expérience. En effet, chez les sujets plus âgés, ce sont les mots reliés sémantiquement qui donnent lieu à une meilleure discrimination et qui sont les plus sensibles à l'encodage intentionnel, sur le modèle de la performance de mémoire. Tout se passe comme si les personnes âgées ne parvenaient pas à tirer parti de la caractéristique d'unicité (issue de l'interaction stimulus – contexte) des traces mnésiques épisodiques pour distinguer entre bonnes et mauvaises réponses. Au contraire des jeunes, elles parviennent à améliorer leur capacité de discrimination entre bonnes et mauvaises réponses sur un matériel déjà fortement associé en mémoire sémantique, sans pour autant être plus performantes que ces derniers. La performance de mémoire épisodique et la sensibilité à l'authenticité du souvenir ne sont améliorées par l'encodage intentionnel que si le matériel est déjà fortement structuré en mémoire. Les nouvelles associations sont rarement intégrées et ne donnent pas lieu à une meilleure discrimination entre réponses justes et fausses au moment du rappel. Il semblerait donc bien que les problèmes des personnes âgées se situent au niveau de l'encodage et de la récupération des contextes indépendant et interactif tels que définis par Mayes (1988). Dans notre expérience le contexte indépendant est constitué par les aspects spatio-temporels et les aspects de l'environnement physique et mental pour chaque situation d'apprentissage ; il varie peu d'une phase à l'autre de l'expérience. Le contexte interactif est le résultat des traitements réalisés sur chaque paire de mots, qui ont permis de les « relier» au cours de cet apprentissage spécifique ; il varie avec les consignes et les opérations d'encodage choisies par les sujets pour optimiser leur performance.