5.4.4011Résumé des résultats sur la certitude

Il est relativement clair que tous les sujets de cette expérience perçoivent assez bien une forme de différence entre les réponses justes et fausses fournies au cours des tests de mémoire, comme le montrent leurs évaluations de certitude.

Les deux indices utilisés mènent à des conclusions très similaires que l'on peut résumer ainsi :

  1. La métamémoire, mesurée par les indices de discrimination et de calibration, est modérément corrélée à la performance. Les plus grandes relations sont trouvées en rappel indicé, où plus la performance est bonne, meilleure est la capacité à discriminer les réponses vraies des réponses fausses. Il faut néanmoins s'interroger sur la signification d'une telle corrélation dans la mesure où la valeur de performance entre en compte dans le calcul des deux indicateurs. Quoi qu'il en soit, cette corrélation donne tout de même une information sur l'adéquation entre la connaissance du sujet et sa performance ; quand le nombre de bonnes réponses augmente, le nombre de mots correctement évalués augmente aussi : cela signifie que les bonnes et les mauvaises réponses ont tendance à être reconnues comme telles par les sujets. Une amélioration de la performance s'accompagne donc d'une prise de conscience objective de la qualité de la mémoire.
    Les deux indices de métamémoire sont fortement corrélés. Notre adaptation du coefficient Gamma de Goodman-Kruskal, mesure de la capacité du sujet à distinguer entre bonnes et mauvaises activations mnésiques, ou mesure de la corrélation entre performance et certitude associée, permettrait d'appréhender également la calibration individuelle des sujets, mesure de la capacité à classer ses réponses en fonction de probabilités prédéterminées.

  2. La capacité de discrimination globale (sans tenir compte du type de relation entre les mots) est meilleure dans le cas d'une tâche de rappel libre que dans le cas d'une tâche de rappel indicé. En effet, lorsque le sujet doit rechercher activement en mémoire des éléments précédemment rencontrés, il a moins de chance de produire de mauvaises réponses car sa recherche est dirigée sur les éléments précis de la liste (contextuels) ; de plus, le processus de récupération mis en jeu fonctionne par production de candidats, puis par reconnaissance des éléments pertinents parmi ces candidats ; le mécanisme de production ne se fait pas aléatoirement car il y a un faible taux d'intrusions. En présence d'indices, les activations mentales sont plus nombreuses et entraînent un plus grand nombre d'erreurs en même temps qu'un plus grand nombre de bonnes réponses. La tâche de choix des éléments pertinents est compliquée par le plus grand nombre d'éventualités.

  3. Il semble que les consignes d'encodage influencent la manière dont sera analysée la nature des réponses au cours du rappel. S'ils n'ont pas reçu d'information préalable sur le test de mémoire, les sujets ont plus de difficulté à évaluer la pertinence du produit de leur processus mnésique après le test (Hypothèse 2.2.1 acceptée). L'expérience de la tâche, la familiarisation avec le matériel, le fait de connaître l'existence du test futur semblent engendrer un traitement complémentaire des données qui permet une meilleure discrimination des bonnes et des mauvaises réponses. L'intention pourrait, par exemple, renforcer la trace contextuelle associée aux contenus à mémoriser, grâce à la mise en oeuvre de traitements spécifiques. Lors du rappel, l'activation de ces éléments contextuels (interactifs) permettrait de discriminer plus aisément les réponses exactes des réponses inexactes.

  4. Le type de matériel à restituer de mémoire (rappel indicé) détermine également le niveau de discrimination et de calibration. En bref, les éléments épisodiques déjà intégrés en mémoire sémantique sont plus difficiles à discriminer alors que les nouvelles associations (NR et RP) spécifiques à la tâche donnent lieu à plus de confiance de la part du sujet. Les réponses fournies à des indices de paires reliés phonétiquement sont celles qui sont le plus objectivement classées dans les différents niveaux de certitude. Les paires de mots non-reliés n'obtiennent pas les valeurs de discrimination et de calibration prédites par cette interprétation des effets du matériel parce que, dans ce cas de figure, des réponses fausses sont classées à tort comme dignes de confiance. Ce résultat est imputable, en partie au moins, au fait que les sujets (jeunes surtout) donnent des réponses non-reliées à la cible, mais qui étaient effectivement présentes dans la liste de départ (donc qui possède une trace en mémoire épisodique).
    Ce point de nos conclusions défend l'existence de deux systèmes mnésiques (Tulving, 1983b) :
    • le système épisodique, où les événements, uniques, sont récupérés par des indices contextuels

    • le système sémantique, où les connaissances généralisées sont récupérées par association.
      Ces deux formes de mémoire s'accompagnent de deux formes de conscience subjective appelées par Tulving (1985b) la conscience auto-noétique et la conscience noétique (Tiberghien, 1997). L'évaluation de la certitude sur le rappel appellerait cette conscience auto-noétique, associée au souvenir de contextes spatio-temporels définis.

  5. Notre hypothèse 2.3.2 prévoyait un effet de l'âge sur l'exactitude du jugement de certitude. Nous trouvons effectivement que le vieillissement influence la mesure de métamémoire utilisée dans cette recherche (la calibration est plus sensible à l'âge que la discrimination) et interagit avec les effets, précédemment mentionnés, des autres variables manipulées (type de matériel, consignes). Les jeunes semblent globalement plus aptes à juger de l'authenticité de leurs souvenirs, probablement grâce à une réactivation du contexte d'encodage plus fine. L'intention de mémoriser les paires de mots se manifeste par une amélioration de la discrimination sur des matériels différents dans les deux groupes. Alors que les jeunes deviennent plus performants pour les paires de mots non-reliés, les personnes âgées s'améliorent sur les paires sémantiques (résultat conforme à ceux de la performance). Quant à la calibration, chez les personnes âgées, elle n'évolue pas en fonction des consignes et ne diffère pas d'un matériel à l'autre.

Les deux indices du présent travail permettent d'analyser la connaissance des sujets sur leur propre mémoire. La métamémoire peut être appréhendée de deux autres façons dans le contexte de notre expérience : à travers l'étude des erreurs de rappel et celle des verbalisations.

Une erreur de réponse peut en effet partager une certaine ressemblance avec un item réellement présenté (par exemple, certaines personnes ont rappelé le mot « accident» à la place du mot « incident» de la paire « incendie-incident» ). Cette ressemblance traduit sans doute une connaissance du sujet sur le matériel qui lui a été présenté : les réponses ne se font pas au hasard. On peut cependant s'interroger sur la nature consciente de cette forme de connaissance, qui, à l'évidence, se manifeste indirectement. Les erreurs de rappel devraient plutôt être conçues comme des indicateurs des types de traitement réalisés lors de l'encodage.

De même, il existe des situations, notamment en rappel indicé, où le sujet « sait qu'il sait» la réponse à donner face à l'indice sans pour autant la retrouver. Il s'exprime alors sur les caractéristiques du mot qu'il recherche, sur sa relation avec l'indice sans pouvoir fournir de réponse... Cela évoque les situations typiques du « sentiment de savoir» ou du « mot sur le bout de la langue» amplement abordées dans les recherches sur la métamémoire. Dans cette situation précise, il n'est pas question de douter de l'aspect conscient de la métamémoire. Il s'agit précisément des expériences métacognitives définies par Flavell (1981).