5.8.1011Effets du vieillissement sur la mémoire et la métamémoire

5.8.1.1011Vieillissement et performance de mémoire

Nous avons montré, dans un premier temps, que les personnes âgées ont des performances de mémoire plus basses que les jeunes. Ce résultat trivial peut être précisé au vu des tâches, des consignes d'encodage et du matériel que nous avons utilisés.

Dans le cadre de la tâche de rappel libre, l'intention de mémoriser déployée lors de l'encodage n'a pas d'effet sur la performance des personnes âgées, alors qu'elle améliore le score des jeunes. Une analyse systématique et explicite du matériel associée à l'encodage intentionnel n'apporte aucun avantage aux deux groupes de sujets. L'encodage volontaire ne semble donc pas jouer le même rôle sur la performance des personnes jeunes et âgées.

Dans le cadre de la tâche de rappel indicé, l'âge interagit avec les conditions d'encodage et les matériels à mémoriser. Si l'intention de mémoriser agit positivement sur le rappel indicé des jeunes pour des stimuli de tous niveaux de difficulté, il n'en est pas de même chez les personnes âgées. En effet, la performance de ces dernières bénéficie de l'apprentissage intentionnel et du travail d'analyse uniquement pour le matériel élaboré (paires de mots reliées phonétiquement et sémantiquement). Les jeunes ne sont pas aidés par l'analyse supplémentaire du matériel au cours de l'encodage ; ils semblent qu'ils mettent en place des stratégies de mémorisation (encodage et récupération) efficace de façon spontanée.

La qualité mnésique des deux groupes est comparable pour un matériel peu structuré (mots non-reliés) en condition d'encodage incident, et pour un matériel très structuré (sémantique) en condition d'encodage intentionnel avec analyse explicite de la relation intra-paire.

Dans cette expérience, pour atteindre le même niveau de performance que les jeunes, les sujets âgés doivent être guidés lors de l'encodage (direction de l'attention sur la nature du matériel) et de la récupération (indice) ; cette assistance a un effet positif à condition que le matériel à mémoriser soit suffisamment structuré en mémoire sémantique à long terme. Ces données plaident à la fois pour des troubles de l'encodage (troubles attentionnels, manque de stratégies, difficulté à sélectionner l'information pertinente, difficulté à construire un plan de récupération...) et de la récupération (accès spontané à l'information difficile, difficulté de récupération des éléments contextuels...). De plus, il semble que la qualité des processus automatiques et contrôlés soient influencés par l'âge (Delbecq-Derouesné et Beauvois, 1989).

L'hypothèse du déficit d'encodage automatique provient du fait que l'attention des personnes âgées semble avoir besoin d'être attirée sur les caractéristiques du matériel pour obtenir une meilleure performance alors que les sujets jeunes ne tirent aucun bénéfice d'un travail d'analyse supplémentaire sur le matériel. De plus, il existe un écart de performance (rappel libre) important entre les deux groupes d'âge dans la condition d'encodage incident qui pourrait conforter cette hypothèse – dans la mesure où l'on suppose que dans cette condition, les jeunes mettent en place un minimum de processus attentionnels et volontaires.

L'hypothèse du déficit d'encodage attentionnel provient du fait que la manipulation de l'intention et de la prise de conscience sur la nature du matériel n'améliore la performance des sujets âgés qu'en cas de fortes relations entre les mots de chaque paire (phonétique et sémantique) ; on peut supposer que les paires non-reliées demandent un plus gros effort d'encodage (stratégies ou imagerie), trop lourd pour les personnes âgées, alors que les paires phonétiques et sémantiques s'appuient sur la structure existante du langage. Les différences de mémoire pourraient alors être imputées à un déficit dans la production des stratégies de mémorisation adéquates (Craik, 1977). Notons toutefois que les personnes âgées ne montrent pas de déficit majeur d'encodage puisqu'elles sont aussi sensibles à la manipulation expérimentale de la profondeur de traitement que les jeunes ; il ne fait aucun doute qu'elles peuvent traiter l'information de façon élaborée (Light, 1991).

Nous pouvons également envisager qu'avec une consigne d'encodage intentionnel - où les sujets sont avertis du test futur et où ils doivent mettre en oeuvre les opérations optimales qui leur permettront de mémoriser les stimuli – il est nécessaire de bâtir un « plan de récupération» . Dans notre expérimentation, les sujets peuvent construire leur plan de récupération en fonction de leur expérience avec le matériel et les tâches de mémoire rencontrés durant la première phase. L'efficacité du plan peut être évaluée via le niveau de performance ultérieur. Le déficit de mémoire observé chez les personnes âgées pourrait traduire une certaine difficulté dans la mise en place d'un tel plan de récupération plutôt que dans l'élaboration des opérations de traitement efficaces. Il est probable que les personnes âgées parviennent moins à extraire les informations de la situation pertinentes pour l'élaboration du plan de récupération.

L'hypothèse du déficit de récupération provient du fait que la performance des personnes âgées ne peut véritablement être améliorée qu'en situation de rappel indicé, donc avec une aide de récupération. Il semblerait qu'elles ne peuvent pas produire elles-mêmes les indices de récupération efficaces. Cette difficulté supposée pourrait reposer sur un déficit de traitement (encodage) et d'utilisation (activation) des informations contextuelles (Gardiner, 1988 ; Guttentag et Hunt, 1988 ; Janowsky et al., 1989b ; McIntyre et Craik, 1987 ; Rabinowitz, Craik et Ackerman, 1982).

On pourrait aussi invoquer un déficit spécifique dans les opérations de récupération auto-initiées (Light et Singh, 1987) par opposition aux opérations dirigées par les données. Ce sont des opérations auto-initiées qui sont en jeu dans les tests de mémoire que nous avons utilisés. De plus, nous avons pu montrer qu'il n'existe pas de différence flagrante entre personnes jeunes et âgées en rappel indicé si nous considérons uniquement les éléments qui n'ont pas été retrouvés auparavant en rappel libre. L'encodage de ce résidu de mémoire étant similaire dans les deux groupes d'âge, il ne devrait y avoir aucune raison de penser que l'encodage de l'ensemble des éléments soit différent. Les différences de mémoire proviendraient donc essentiellement de difficultés dans la récupération. Nous resterons toutefois prudente sur l'interprétation d'une différence non-significative (.10) obtenue dans un si petit échantillon.

L'analyse approfondie des erreurs de rappel nous autorise à inférer la nature des opérations de traitement à l'oeuvre dans le processus de mémorisation, notamment le traitement réalisé lors de l'encodage. Le faible nombre d'erreurs en rappel libre ne nous permet pas de déterminer avec certitude une différence qualitative de traitement des informations entre les personnes jeunes et âgées. La légère supériorité des interférences inter-listes en rappel indicé chez les personnes âgées pourrait bien être signe d'une difficulté dans le traitement des informations contextuelles. La même remarque peut s'appliquer à propos du plus grand nombre d'intrusions (mots nouveaux) chez les personnes âgées en rappel indicé. L'analyse des erreurs et commentaires des personnes âgées indique toutefois qu'elles peuvent avoir un accès partiel à l'information mémorisée (ici, le type de relation entre un indice et une cible), ce qui tend à montrer qu'une forme d'encodage a bien eu lieu, et que la difficulté se situe à l'étape de la récupération du contenu mnésique.