Chapitre 6011Effets de l'encodage intentionnel sur la performance de mémoire et les jugements de métamémoire en situation de laboratoire

6.1011Cadre général

La seconde expérience de mémoire réalisée en laboratoire a été conçue pour approfondir l'analyse des effets de l'encodage intentionnel dans un échantillon plus grand et dans un cadre méthodologique plus proche de celui de Craik et Lockhart (1972 ; Craik et Tulving, 1975). Dans le paradigme de la profondeur de traitement, les sujets sont soumis à des tâches d'orientation qui induisent différents types d'opérations mentales sur le matériel ; une analyse structurale des stimuli (e.g., détecter la présence d'une lettre-cible, analyser la forme écrite d'un mot...) débouche sur une performance mnésique ultérieure plus faible qu'une analyse sémantique (e.g., décider de l'appartenance à une catégorie, juger du caractère agréable des éléments...). Contrairement à l'expérience précédente, le facteur intention est manipulé inter-individuellement ; on évite ainsi les effets possibles d'apprentissage d'une condition à l'autre.

Dans cette expérience, l'analyse des stratégies est rendue possible grâce à l'utilisation d'un matériel informatique enregistrant les temps d'exposition sur le matériel au cours de la phase d'encodage. De plus, le choix d'une liste de mots catégorisable nous permet d'appréhender les stratégies d'élaboration et de regroupement sémantique.

Les mesures de métamémoire utilisées portent à la fois sur la prédiction de la performance, l'évaluation qualitative des performances prédites et réelles et la certitude associée aux prédictions. Les sujets devaient procéder à d'autres auto-évaluations et répondre à un questionnaire d'attribution de la performance au cours de cette même expérience ; nous considérerons ces dernières dans le chapitre suivant.

Enfin, l'expérience entre dans le cadre d'une recherche plus large combinant des mesures de performances mnésiques, de métamémoire, de personnalité (Anxiété de Cattell, 1962 ; Locus de contrôle de Rotter, 1966) et d'auto-évaluation de la mémoire quotidienne (Questionnaire d'auto-évaluation de la mémoire quotidienne de Sunderland, Harris et Baddeley, 1983139 (chapitre 7). Ce dernier point sera un des aspects « écologiques» étudiés au chapitre 7.

Comme dans l'expérience précédemment rapportée (chapitre 5), nous posons l'hypothèse d'une amélioration de la performance mnésique lorsque les sujets sont avertis du test de mémoire futur (H.2.1.). Cette amélioration pourrait être interprétée comme le résultat de la mise en place de stratégies d'encodage, d'une plus grande attention sur le matériel ou de la constitution d'un plan de récupération. Les résultats des sujets d'un groupe contrôle (pas de tâche d'orientation et auto-régulation de l'apprentissage) nous permettront de déterminer l'impact (notamment perturbateur) d'une tâche d'orientation sur la mémorisation des données et sur la prise de conscience de l'organisation du matériel.

L'amélioration de la performance devrait être plus importante sur le matériel le plus difficile à mémoriser (H.2.1.2.), c'est-à-dire les mots accompagnés d'une question d'orientation orthographique ou phonétique (i.e., qui font l'objet d'un traitement de plus bas niveau). On observe classiquement que les éléments associés à une réponse positive sont mieux mémorisés que les éléments correspondant à une réponse négative, au moins pour les plus hauts niveaux de traitement (Craik et Tulving, 1975) ; dans ces cas, la question et le mot constituent une unité intégrée, élaborée, qui sera plus facile à activer au moment du rappel.

Notre hypothèse sous-entend que les sujets avertis du test de mémoire futur vont prendre conscience de la nécessité d'accorder un traitement approfondi au matériel. Dans l'éventualité d'une analyse approfondie de l'ensemble des stimuli, les sujets devraient également prendre conscience de l'organisation de la liste et se servir de cette organisation au moment de la recherche des éléments en mémoire. L'encodage intentionnel devrait ainsi mener à la disparition de l'effet de profondeur de traitement et de l'effet de supériorité des items positifs. Le degré de regroupement sémantique au rappel nous renseignera sur cette prise de conscience.

Concernant les mesures de métamémoire, nous émettons l'hypothèse d'une différence dans les jugements de prédiction et d'évaluation des performances entre les trois situations d'encodage des stimuli. Les représentations les plus adéquates du contenu mnésique (adéquation de la prédiction avec le rappel) et de la qualité de la performance devraient être obtenues chez les sujets qui possèdent le plus d'informations sur l'issue de l'expérience (groupe intentionnel et groupe contrôle). En effet, l'orientation intentionnelle de l'encodage devrait permettre une analyse plus fine des caractéristiques des tâches et du matériel à retenir, donc contribuer à une connaissance métamnésique plus élaborée et plus réaliste (H.2.2.2.). Cette connaissance sera utilisée à la fois pour améliorer l'efficacité du processus de mémorisation (auto-régulation, stratégies, contrôle) et pour émettre les jugements de prédiction et d'évaluation (memory monitoring).

Notes
139.

Version présentée dans Baddeley (1993a), pp. 252-253.