6.3.4011Répartition des performances entre les trois épreuves

Nous pouvons comparer les performances des trois groupes en prenant comme variable dépendante le nombre de mots rappelés dans chaque tâche de rappel, car il n'est pas pertinent de distinguer les différents types de stimuli pour le groupe contrôle. Un rapide coup d'oeil aux moyennes de rappel total nous confirme la supériorité de performance dans le groupe 3 : 8,49 versus 9,83 versus 17,76, respectivement pour les groupes 1, 2 et 3. Une analyse globale (annexe 6.8) avec un facteur inter-groupe (consignes ou groupes) et un facteur intra (type de rappel ou d'épreuve: libre 1, libre 2, indicé) indique une interaction très significative (F(4;216)=87,1, p<.01).

Des analyses séparées ont été réalisées pour comparer le nombre de mots retrouvés dans les trois tâches pour chaque groupe de sujets et pour comparer les performances des trois groupes au cours de chaque tâche.

Pour les trois groupes pris séparément, l'effet du facteur Rappel est très significatif (respectivement pour les groupes nommés « incident» , « intentionnel» et « contrôle» F(2;72)=70,36, F(2;70)=76,9 et F(2;74)=271,54, tous les p<.01), indiquant une différence quantitative de rappel entre les tâches. Dans tous les cas, le rappel libre donne lieu à la performance la plus élevée, suivi par le rappel indicé. Le second rappel libre permet de retrouver nettement moins de mots que les deux autres tâches (figure 6.5).

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Figure 6. 5 : Répartition des performances selon les épreuves (premier rappel libre, second rappel libre et rappel indicé) et les consignes d'encodage (Incident avec tâche d'orientation ; Intentionnel avec tâche d'orientation et Intentionnel sans tâche d'orientation). Les chiffres sous chaque cercle correspondent à la contribution relative de chaque épreuve sur la performance totale. Les cercles sont proportionnels à ces pourcentages. Des motifs différents entre cercles adjacents montrent une différence significative

Il est intéressant de noter que la performance au rappel indicé dans le premier groupe s'approche de celle du premier rappel libre (elle en représente environ 75%). Elle représente les deux tiers du rappel libre dans le deuxième groupe (66%) et un cinquième dans le troisième groupe (20%).

  1. Pour le premier rappel libre, on observe un effet du groupe très significatif (F(2;108)=131,26, p<.01). Les performances très élevées des sujets du groupe 3 effacent la différence significative entre les deux autres groupes que nous avions soulignée précédemment (cette différence tombe à .08 dans les comparaisons a posteriori).

  2. En rappel libre 2, il n'y a pas d'effet du groupe (F(2;108)<1, ns). Lors de la deuxième chance de rappel, l'accès en mémoire ne varie pas selon les consignes d'encodage. Un effet « plancher» vient cependant masquer une éventuelle supériorité de récupération dans le groupe de sujets naïfs. En effet, nous avons vu que la différence entre les deux premiers groupes de sujets s'atténue si l'on prend comme variable dépendante la totalité des mots donnés en rappel libre (LI 1 + LI 2).

  3. De même, en rappel indicé, l'effet du groupe n'atteint pas le niveau de significativité de .05 (F(2;108)=2,47, p=.09). Les consignes de départ ne modifient donc pas sensiblement l'efficacité de l'indiçage. Les noms des catégories constituant la liste sont des indices aussi efficaces pour chaque groupe de sujets. La tendance observée dévoile une performance de rappel plus faible dans le groupe contrôle ; ce résultat découle évidemment de sa bonne performance en rappel libre et suggère que les sujets utilisent spontanément des stratégies adéquates de récupération, basées sur l'organisation sémantique des stimuli. Si le niveau de rappel des deux groupes ayant subi la tâche d'orientation n'est pas plus élevé en rappel indicé, c'est probablement que les sujets n'ont pas effectué les traitements suffisants pour intégrer le matériel de façon permanente.

La principale différence dans le nombre de mots correctement retenus en mémoire après une seule présentation s'observe donc au cours d'une tâche de rappel libre. Les performances ne sont pas seulement quantitativement différentes selon les consignes d'encodage ; en effet, le rappel se répartit différemment dans les trois tâches de mémoire selon la situation d'encodage départ (figure 6.5).

Les résultats nous indiquent que les trois groupes se distinguent par la manière dont le matériel est récupéré en mémoire. Cette remarque vaut surtout pour la distinction entre le groupe 1 et le groupe 2 ; il semblerait qu'être averti de la présence d'un test de mémoire permette aux sujets de procéder à une recherche en mémoire plus rapide et peut-être mieux organisée qu'en l'absence de tout avertissement. Le rôle des activités de planification du rappel est à envisager.

Le groupe avec encodage intentionnel et sans tâche d'orientation, par ses performances remarquables en rappel libre, met en place des processus d'encodage (organisation et structuration du matériel) plus sophistiqués que les deux autres groupes, et des processus de récupération efficaces dès la première tâche de rappel libre.

Au final, il s'avère que la tâche d'orientation empêche une mémorisation optimale des informations. Par contre, les effets typiques de profondeur de traitement sont très bien répliqués, qu'il y ait ou non un avertissement des sujets sur le test de mémoire futur. L'intention de retenir un maximum de mots a toutefois un léger effet sur la performance en rappel libre immédiatement après la tâche de décision : les sujets du groupe 2 ont des performances supérieures à celles des sujets du groupe 1 quand on considère le premier rappel libre. Lors de la seconde chance de rappel libre, les sujets du premier groupe retrouvent plus de mots de la liste. Ainsi, il semblerait que les différences de performance entre ces deux conditions se situent au niveau des processus de récupération. Dans le deuxième groupe, celui où les personnes sont averties de la tâche de mémoire préalablement à l'encodage, ces processus aboutissent à une récupération plus rapide des mots de la liste. Il est tout à fait plausible que ces sujets, contrairement aux sujets naïfs, commencent leur démarche de récupération en mémoire avant le test de rappel libre, au cours des jugements de métamémoire.

Par contre, le groupe contrôle, qui n'a reçu que des consignes de mémorisation en vue d'un rappel futur, obtient des performances nettement supérieures à celles des deux autres groupes. Les instructions ont permis d'utiliser des processus d'encodage efficaces et appropriés pour la tâche de rappel proposée plus tard. Les sujets ont plus de contrôle sur leurs processus mnésiques, n'étant pas gênés par la tâche d'orientation (à la fois en terme de demande attentionnelle, de nécessité de rapidité des réponses et d'orientation du traitement). Dans cette condition, chaque mot a pu être traité sémantiquement et les sujets ont pu prendre conscience de l'organisation de la liste, ce qui les a nettement avantagés lors du rappel. Globalement la stratégie de rappel libre utilisée par les sujets contrôle est une stratégie de rappel basée sur des indices catégoriels. L'effet de l'indiçage est un peu moins efficace dans ce groupe ; cela signifie que cette méthode d'accès aux souvenirs a pu être utilisée de façon spontanée par les sujets contrôles.

En cas de tâche d'orientation lors de l'encodage, l'indiçage ne se révèle efficace que pour les mots qui ont été traités dans le contexte du nom de catégorie proposé comme indice ; cela montre que dans les deux conditions concernées, il n'y a pas eu de traitement sémantique sur tous les stimuli. On s'attendait à ce que les sujets avertis du test de mémoire futur rappellent plus de mots traités superficiellement (interaction Groupe / Type de stimulus), ce qui n'est pas le cas. En fait, la supériorité s'observe pour l'ensemble des stimuli. Il nous faut en déduire que les sujets avertis n'ont pas pu développer de stratégies efficaces de mémoire compte tenu des consignes de rapidité de réponse et des contraintes de double tâche : décision et mémorisation.

La théorie qui postule que le niveau de traitement est un déterminant important de la mémorisation se trouve défendue par nos résultats. Mais on peut également proposer que la gestion intentionnelle du processus mnésique contribue au niveau de performance.

Si l'on considère la proportion de mots rappelés dont on est sûr qu'ils ont été traités sémantiquement, on s'aperçoit que le troisième groupe est largement meilleur que les deux autres (rappel libre ; figure 6.1) :

Ces mêmes proportions peuvent être déterminées pour le rappel total (figure 6.4) :

Par ces approximations peut-être excessives, on arrive à trouver des proportions de rappel similaires entre les trois groupes, en se basant sur seulement 5 items de la liste et en prenant en compte l'assistance fournie au sujet en rappel indicé.

Il ne semble pas que la performance de mémoire soit une simple question de traitement sémantique réalisé sur des items individuels. A notre avis, la manière dont le sujet gère, contrôle et planifie ses processus de mémoire est tout aussi importante. De même, la prise de conscience de la structure globale de la liste est un élément primordial qui découle des activités de traitement mises en oeuvre au cours de l'apprentissage. Evidemment, les instructions données aux sujets influencent beaucoup les résultats obtenus, ce qui constitue une preuve de différences dans la gestion intentionnelle des processus de mémorisation.