6.5.3011Relation entre performance et évaluation qualitative de la mémoire quotidienne

6.5.3.1011Corrélations

Il s'agit ici de déterminer si l'auto-efficacité habituelle est liée à la performance obtenue en laboratoire. L'évaluation générale de la mémoire a eu lieu juste après le premier test de rappel libre sur une échelle qualitative en cinq points.

Tableau VI. 7 : Corrélation entre performance aux différentes épreuves (LI1 : rappel libre 1 ; LI2 : rappel libre 2 ; LIT : LI1+LI2, IN : rappel indicé ; RT : LI1+LI2+IN) et évaluation qualitative de la mémoire quotidienne. Significativité : *** .01, **.02, * .05, italiques : .10
Groupe LI 1 LI2 LI T IN RT
Incident 463*** 116 434*** -.188 208
Intentionnel 379* 100 393** -.296 100
Contrôle 176 -.474*** 049 -.167 -.012
Ensemble 172 -.072 156 -.233** 079

Sur l'ensemble des sujets, la corrélation entre l'auto-évaluation de la mémoire quotidienne et la performance en rappel libre est presque significative (r(109)=.172, p<.10), ce qui peut découler du fait que la relation entre ces deux mesures n'est pas identique au sein de chaque groupe. En effet, elle est significative uniquement dans les deux groupes soumis à la tâche d'orientation (tableau VI.7). Cette corrélation signifie que plus les sujets trouvent leur mémoire quotidienne bonne, meilleure est leur performance en laboratoire ; ce résultat conforte l'idée que les gens ont une vision exacte de leur capacité mnésique. Cependant, il n'apparaît pas dans le groupe contrôle, pour lequel l'auto-évaluation générale est seulement négativement liée au score de rappel lors de la seconde chance de rappel libre155.

Sur l'ensemble des sujets, l'auto-évaluation est liée négativement (mais faiblement) à la performance de rappel indicé (r(109)=-.23, p<.05), ce qui signifie que plus un sujet trouve que sa mémoire est bonne, moins il retrouve de mots lors du test de rappel indicé ultérieur. Le score de rappel indicé est constitué par le nombre de mots retrouvés en mémoire suite à un indice catégoriel et qui n'avaient pas été retrouvés spontanément au cours du rappel libre. Il est donc logique qu'un score élevé de rappel indicé résulte d'une performance assez médiocre en rappel libre ; dans ce cas, le sujet a besoin d'une aide extérieure pour atteindre un meilleur niveau de rappel. Cette corrélation pourrait bien défendre l'hypothèse d'une bonne auto-évaluation des capacités, d'autant que l'auto-évaluation n'a pas pu être influencée par le score de rappel indicé qui survenait plus tard dans le déroulement de l'expérience. Cependant, cette corrélation plutôt faible n'est pas retrouvée dans chaque groupe pris individuellement. Nous devrons donc rester prudente sur son interprétation.

Au final, nous obtenons des configurations de relations entre performance de laboratoire et auto-évaluation de la qualité mnésique quotidienne qui varie selon les consignes expérimentales et selon l'épreuve de mémoire considérée. Les sujets soumis à la tâche d'orientation (surtout le groupe incident) tendent à auto-évaluer leur mémoire quotidienne dans le sens de leur performance en rappel libre alors que chez les sujets contrôles, on ne trouve pas cette relation.

La relation entre auto-évaluation et performance peut s'expliquer de plusieurs façons :

  1. Une première possibilité est que les sujets ont une bonne représentation de leur capacité mnésique et que la tâche utilisée dans cette expérience est représentative du fonctionnement mnésique réel (validité écologique) ; cette explication ne serait valable que pour les sujets soumis préalablement à la tâche d'orientation lors de l'encodage puisque les sujets contrôles ne montrent pas de relations entre auto-évaluation quotidienne et performance. Il est possible que les situations d'encodage sous contraintes de temps (nécessité de répondre rapidement) et de traitement (orientation de l'attention sur des caractéristiques) ressemblent plus aux situations quotidiennes de mémorisation que la situation où le sujet planifie lui-même son processus d'apprentissage sur un matériel simple et sans contraintes particulières. En effet, la plupart des situations quotidiennes comportent une phase d'encodage incident, encodage effectué au cours de la réalisation d'autres tâches ; l'encodage est rarement objet d'intention (sauf dans des situations spécifiques comme l'apprentissage scolaire). De plus, les conditions de fortes contraintes sur le système mnésique sont probablement plus appropriées pour faire ressortir d'éventuelles différences interindividuelles (se manifestant par ailleurs dans la vie quotidienne) d'efficience mnésique. Cela constitue des raisons possibles, dans l'hypothèse où les sujets ont une bonne représentation de leur capacité, de la présence d'une relation entre auto-évaluation et performance réelle seulement dans les deux groupes soumis à de fortes contraintes (et encore plus dans le groupe avec encodage incident).

  2. Une seconde possibilité d'explication pourrait être que les sujets sont influencés, lors de l'auto-évaluation générale, par leur niveau de performance en rappel libre, mais cela suppose qu'ils soient aptes à estimer la qualité objective de leurs performances dans cette situation spécifique, qu'ils aient une idée de la performance « moyenne» dans ce type de tâche. Or les données relatives à l'exactitude de prédiction nous ont montré que tel n'est pas le cas : les sujets des groupes incident et intentionnel surestiment leur performance alors que les sujets du groupe contrôle parviennent à de meilleures prédictions en rappel libre. De plus, la corrélation entre prédiction et performance, témoignant d'une certaine forme de connaissance des sujets sur leur capacité mnésique est significative dans les groupes incident et contrôle ; cette donnée s'accorde mal avec la relation entre performance réelle et auto-évaluation générale (présente dans les groupes incident et intentionnel et absente dans le groupe contrôle). Cette seconde explication nous paraît moins satisfaisante que la première.

Notes
155.

Etant donné le faible nombre de sujets qui rappellent des mots lors de la seconde chance de rappel libre (beaucoup de valeurs 0), cette corrélation est à prendre avec précaution et ne nous apporte pas d'information pertinente.