6.6.3.2011Relation prédiction / performance

Notre analyse des relations entre prédiction et performance réelle a été réalisée en trois temps : calcul d'un coefficient de corrélation permettant de déterminer le degré de relation entre une estimation de performance et la performance réelle156, calcul d'indices d'exactitude permettant de mesurer la précision des jugements, et étude de la répartition des sujets en fonction de leurs tendances à surestimer, à sous-estimer ou à estimer correctement leur performance future.

Le groupe contrôle est celui qui donne lieu aux plus fortes corrélations entre prédictions et performances, que l'on prenne la proportion prédite ou le nombre de mots. Les sujets contrôles semblent posséder une représentation assez objective de leur capacité à résoudre la tâche demandée. De plus, il faut souligner que dans les deux autres groupes, la proportion prédite n'est pas du tout liée à la performance réelle. Le nombre de mots prédits constitue un meilleur indicateur de la performance, mais seulement chez les sujets du groupe incident. L'absence de relation entre prédiction et performance dans le groupe intentionnel nous a conduit à inférer l'existence d'un effet des contraintes situationnelles sur la capacité des sujets à apprécier leur performance future. Non seulement les prédictions sont mal évaluées en termes qualitatifs, mais elles ne sont pas reliées à la performance réelle. La prédiction de performance en situation peu familière est considérée comme une estimation de l'auto-efficacité personnelle (Lachman et al., 1987 ; Hertzog et al., 1990 ; Rebok et Balcerak, 1989) et corrèle généralement, mais faiblement, avec la performance. Ici, deux des conditions permettent de répliquer ce résultat. Toutefois, en condition de fortes contraintes d'encodage et d'avertissement sur le test futur, les sujets semblent incapables d'évaluer leur auto-efficacité en fonction des caractéristiques de la tâche : certains vont surestimer leur performance quand d'autres la sous-estimeront.

Si l'on examine l'exactitude individuelle de la prédiction, les conclusions sont différentes Alors que les sujets des deux groupes soumis à la tâche d'orientation surestiment en moyenne leur performance future, les sujets du groupes contrôle la sous-estiment. Lorsque l'on compare la prédiction avec la totalité du rappel, on s'aperçoit que ces deux groupes émettent des prédictions assez proches de leur performance. Au contraire, la prédiction des sujets contrôles est plus proche de la performance lors de la première tentative de rappel libre, ce qui est compatible avec les consignes, qui ne précisaient pas la nature de la tâche de rappel utilisée. Ces consignes, « vous devrez vous souvenir des mots présentés» ne sous-entendent pas qu'une aide sera fournie au sujet. Aussi, sont-elles sensées induire la représentation d'une tâche de rappel libre. Les sujets, lors de leur prédiction de performance, devraient prendre en compte cette caractéristique de la tâche. Nous voyons que, manifestement, seuls les sujets contrôles sont aptes à déterminer leur performance sous ces conditions.

Le groupe soumis à la tâche d'orientation avec consignes de mémoire mérite une attention particulière. Nous avons vu précédemment, que les corrélations entre prédiction et performance ou entre prédiction et évaluation qualitative ne sont pas significatives dans ce groupe, ce qui le distingue des deux autres. Face à ces données, nous avons émis l'hypothèse que les sujets ne parviennent pas à évaluer la qualité d'une performance prédite ou à estimer le niveau de leur propre performance. Il n'en va pas de même concernant l'exactitude de prédiction ; en effet, ils donnent des prédictions qui sont plus proches de leur performance réelle que celles des sujets du groupe incident. La réelle difficulté de ce groupe réside donc dans la capacité à se positionner sur une variable en référence à une norme et non pas dans la capacité à estimer son propre niveau de performance. En effet, les corrélations permettent de mettre en évidence une concordance dans le classement des différents sujets entre les deux variables ; cette relation peut être importante indépendamment de l'exactitude de prédiction : si par exemple tous les sujets surestiment largement leur performance et dans une même proportion, ils se classeront de façon identique sur les deux mesures (fort coefficient de corrélation) mais obtiendront un score d'exactitude médiocre (>1). Or, dans notre second groupe, l'exactitude de prédiction individuelle est assez bonne (objective). Le problème vient du fait que les sujets qui donnent une forte prédiction (relativement au groupe) peuvent aussi bien obtenir une faible performance qu'une forte performance (relativement au groupe) : les sujets optimistes et réalistes / pessimistes se répartissent de façon équitable.

Il semble que ces résultats soient en partie imputables à une plus grande variation des performances et une plus petite variation des prédictions dans le groupe intentionnel que dans le groupe incident157. L'absence de corrélation dans ce groupe est la conséquence d'une diversité inter-individuelle dans l'écart entre performance prédite et performance réelle (surestimation et sous-estimation). Nous avons effectivement vu que la répartition des écarts positifs et des écarts négatifs est comparable alors qu'on observe une plus grande proportion de surestimations dans le groupe « incident» et une plus grande proportion de sous-estimations dans le groupe « contrôle» . Il nous semble pertinent de nous interroger sur l'aspect continu de la dimension « exactitude de prédiction» associée à l'engagement intentionnel des sujets lors de l'apprentissage initial. L'encodage incident conduirait à une surestimation de la performance identique pour tous les individus ; l'encodage intentionnel avec contrôle du processus de mémorisation conduirait à une sous-estimation identique pour tous les individus ; l'encodage intentionnel associé à de fortes contraintes impliquerait à la fois des comportements de surestimation et de sous-estimation. La répartition équitable des surestimations et des sous-estimations est responsable de l'absence de corrélation entre prédiction et performance. Il faut alors s'interroger sur les indices pris en considération pour émettre les évaluations ; ils pourraient être différents selon les conditions d'encodage et varier en fonction de deux paramètres : l'intention de retenir et les contraintes d'encodage.

Notes
156.

Le coefficient de corrélation ne nous donne aucune indication sur l'exactitude de la prédiction ; il permet de déterminer si les sujets d'un même groupe se classent de façon identique sur deux variables, ici, la prédiction et la performance. Les fortes prédictions observées sont-elles liées à de fortes performances ? Une corrélation positive indique que plus la prédiction est élevée, meilleure est la performance ; cet indice nous permet d'accéder à l'idée générale que les sujets se font de leur propre capacité mnésique. Il mesure l'exactitude de prédiction du groupe.

157.

Ecarts-types des groupes « incident» et « intentionnel» pour la performance en LI 1 : 1,59 et 2,20, en LI T : 1,99 et 2,33, en RT : 2,62 et 3,00. Ecarts-types des groupes « incident» et « intentionnel» pour la prédiction 1 : 3,35 et 2,59, pour la prédiction 2 : 3,78 et 3,22.