7.3.3.2011Relation entre variables conatives et exactitude de prédiction

Afin d'appréhender les éventuelles relations entre conation et métamémoire, nous avons examiné les corrélations entre les cinq auto-évaluations affectives et les indices d'exactitude de prédiction de la performance, mesures par excellence de la qualité du processus de supervision de la mémoire (memory monitoring) : 1. écart simple entre prédictions (P1 et P2) et performance (LI1 : rappel libre, RT : rappel total), 2. écart absolu entre prédiction et performance, 3. indice |P-A|/A172, traduisant l'importance de l'écart de prédiction en fonction du niveau de rappel. Douze mesures d'exactitude (3 indices X 2 prédictions X 2 performances) ont ainsi été confrontées à cinq auto-évaluations, aboutissant à un total de 60 coefficients de corrélation (sur l'ensemble des sujets et dans chacun des groupes). La question est de savoir si une meilleure disposition d'esprit (moins de stress, plus de motivation, moins de déception) s'associe à une meilleure aptitude de supervision de la mémoire.

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Tableau VII. 7 : Corrélations significatives (et tendances) entre auto-évaluation de dimensions conatives et exactitude des jugements de métamémoire (mesurée par différents indices) Significativité : italiques : .10 (tendance) ; * : .05, ** : .02, *** : .01.

Il apparaît clairement que la plupart des évaluations affectives et motivationnelles ne sont pas fortement liées à l'exactitude de prédiction (annexe 7.5 et tableau VII. 7), sauf la déception ressentie face à la performance réelle en rappel libre. Toutefois, nous noterons l'existence de cinq corrélations de l'ordre de -.30, uniquement dans le groupe contrôle, entre motivation ou intérêt et exactitude de prédiction. La motivation (auto-estimée) de départ semble associée à des prédictions (P1) plus exactes (pour le rappel libre), car deux indices impliquant la valeur absolue de l'écart sont en corrélation négative avec le degré de motivation. De même, un plus grand intérêt est associé à un écart plus faible, voire négatif173, entre prédiction (P1 et P2) et rappel libre. Dans le groupe contrôle, le manque d'intérêt porté à la tâche a posteriori pourrait refléter la perception d'un échec dans la tâche de prédiction (surestimation). En effet, nous constatons que les dix sujets qui utilisent les trois premiers niveaux de l'échelle d'intérêt (« pas du tout intéressant» , « peu intéressant» et « indifférent» ) se surestiment en moyenne plus que l'ensemble du groupe (P1 : +1,9 versus -1,40 ; P2 : +1,9 versus -0,737).

Les coefficients impliquant le degré de déception sont surtout importants dans le groupe incident (tableau VII. 7), et traduisent une augmentation de la déception quand l'exactitude diminue (corrélation négative), donc quand l'écart entre prédiction et performance devient plus important (surestimation). De plus les coefficients deviennent plus élevés lorsque la performance de rappel total (libre + indicé) est prise en compte, alors que l'évaluation de déception se référait à la performance de rappel libre seule, sans que le sujet n'ait encore connaissance de la présence d'une épreuve de rappel indicé. Ainsi, on ne peut pas dire que la déception découle uniquement du constat d'un écart entre les prédictions préalablement émises et les performances réelles en rappel libre174. Par contre, nous avons vu au chapitre précédent que les sujets du groupe incident émettent des prédictions globalement conformes à leur performance totale (§ 6.5.2.2.) et que leur indice d'exactitude devient comparable à celui des autres groupes du fait de l'amélioration de leur performance totale et de leur surestimation initiale. La corrélation nous montre que les sujets les moins déçus de ce groupe sont ceux qui atteignent un meilleur score d'exactitude (relativement au rappel total) ; ce sont peut-être ceux qui gardent confiance dans leurs propres capacités, sachant qu'ils ne sont pas « responsables» de leur faible performance. Cette interprétation s'étaye également sur la corrélation négative obtenue entre l'exactitude de prédiction et le niveau d'anxiété auto-évalué avant la tâche : les sujets les plus anxieux au départ sont moins exacts dans leur prédiction de performance totale. Evidemment, cette hypothèse mériterait d'être examinée plus solidement. Même si les corrélations observées dans le groupe intentionnel entre déception et exactitude ne sont pas significatives, on notera simplement que leurs signes sont généralement positifs, donc contraires à ceux observés dans le groupe incident (tableau VII. 7, p. 120); nous voici encore confrontés à une donnée contre-intuitive corroborant la spécificité du groupe intentionnel : plus grande est l'exactitude de prédiction, plus forte est la déception.

Notes
172.

P pour prédiction et A pour performance réelle (actual en anglais).

173.

Les mesures impliquées ici sont les simples différences entre prédiction et performance. Un écart positif traduit une surestimation et un écart négatif une sous-estimation de la performance.

174.

Sur l'ensemble du groupe, on note pourtant une corrélation faible mais significative entre l'écart P1-LI1 et le niveau de déception ; les fortes surestimations ont tendance à être associées à une forte déception (r=-.199, p<.05).