Nous avons constaté que les attributions causales de la performance varient en fonction des conditions expérimentales et que les sujets sont conscients des facteurs qui ont influencé leur performance au test de rappel libre. Le résultat le plus remarquable, qui n'était pas prévu par nos hypothèses, concerne le patron spécifique d'attribution causale de la performance des sujets soumis à la fois à la tâche de décision et à la consigne de mémorisation intentionnelle lors de la phase d'encodage. Cette condition de l'expérience aboutit à une prédominance des explications négatives et externes de la performance, cohérente avec l'hypothèse d'une modification (perturbation) des processus d'évaluation relativement aux deux autres conditions.
Le processus d'explication causale nécessite une analyse de la part du sujet des facteurs qui ont influencé son comportement à travers l'activation de connaissances générales sur le fonctionnement mnésique et de représentations temporaires construites dans les circonstances spécifiques de la tâche. Dans notre cas, le processus d'explication consiste à choisir, parmi une liste de choix, les réponses adaptées à l'analyse personnelle.
Le processus d'attribution possède, par nature, une composante métacognitive liée à l'analyse de la situation (tâches, matériel) et à l'activation des connaissances pré-existantes sur le fonctionnement de la mémoire. Ainsi, nous pouvons avoir accès à la perception qu'ont les sujets de leur propre mémoire grâce à la nature des attributions causales. Des attributions majoritairement internes indiquent par exemple qu'ils se sentent responsables de leur performance, qu'ils gèrent activement leur mémoire.
Le processus d'attribution comporte également une composante affective car son résultat sera influencé par des déterminants individuels de personnalité (style d'attribution) ou d'état du sujet à un moment donné - état qui peut également être dicté par des déterminants situationnels. Par exemple, un sujet qui a pour habitude de croire qu'il ne maîtrise pas les événements (locus de contrôle externe) tendra à attribuer sa performance dans un contexte plus spécifique à des facteurs qu'il ne maîtrise pas ; attribuer une performance médiocre à des facteurs externes plutôt qu'internes constitue un comportement défensif permettant de faire face plus facilement aux situations d'échecs et de maintenir un niveau satisfaisant d'estime de soi et d'auto-efficacité ; au contraire, attribuer un échec à des facteurs internes dévoile une remise en cause du sujet dans l'atteinte d'un objectif et à un manque d'auto-efficacité (Silver et al., 1995).
Il nous paraît intéressant d'étudier plus en détail les relations entre les types d'attributions et les mesures effectuées dans l'expérience181, à savoir, la performance mnésique, les jugements de prédiction, de certitude et d'évaluation (métamémoire), et enfin, l'exactitude de la prédiction (efficacité de la métamémoire). Ces analyses nous permettront de déterminer :
si les attributions traduisent une forme de connaissance indirecte et objective du niveau d'efficience ; dans ce cas, la nature de l'attribution devrait être liée au niveau de performance réel ; par exemple, les sujets qui atteignent les meilleurs scores de mémoire attribuent-ils leur performance à des causes internes et positives (e.g., bonne capacité, ... ; Leal, 1987, Noël, 1999) ?
si elles peuvent s'apparenter aux jugements de métamémoire, contribuant ainsi à un facteur d'auto-efficacité mnésique ; les sujets qui émettent de plus fortes prédictions ou des jugements d'évaluation qualitative optimistes tendent-ils également à se trouver responsables de leur réussite et à expliquer leurs échecs par des facteurs situationnels ? Les pessimistes qui prédisent peu de rappel se trouvent-ils aussi responsables de leurs échecs ?
si elles sont liées à la qualité ou exactitude de la métamémoire ; les sujets les plus exacts dans leurs prédictions (bonne métamémoire) adoptent-ils des explications internes ?
Pour cela, nous avons calculé les coefficients de corrélation entre les proportions de choix de chaque catégorie d'attribution (quand les proportions moyennes sont supérieures ou égales à .10 dans au moins deux des trois groupes expérimentaux) et les différentes autres mesures de l'expérience (annexes 7.8 à 7.10).