7.5.3011Conclusion partielle

Les dimensions stables de la personnalité (anxiété et locus de contrôle) ne sont pas systématiquement reliées aux différentes mesures de laboratoire, i.e., l'anxiété et l'externalité du locus de contrôle n'entraînent pas nécessairement une performance plus basses et des jugements défavorables.

Concernant le niveau d'anxiété mesuré par l'échelle de Cattell, nous ne pouvons pas admettre notre hypothèse 3.3.1. qui spécifiait une relation négative entre anxiété et performance mnésique, et entre anxiété et jugements métamnésiques. Les sujets les plus anxieux d'après le score d'une échelle standardisée ne sont ni moins performants, ni moins optimistes dans leurs jugements (prédictions, certitude et évaluation), ni moins exacts dans leurs jugements. En fait, les évaluations conatives effectuées en début d'expérience entretiennent plus de relations avec les données de performance et de jugements, comme, nous l'avons vu au paragraphe 7.3 (voir § 7.3.4, p. 586). Nous ne trouvons pas non plus de relation très importantes entre le score d'anxiété et les différentes auto-évaluations de nature conatives émises par les sujets au cours de la tâche. Sur ce dernier point, deux exceptions méritent d'être mentionnées. D'une part, le niveau de motivation initial pour participer à l'expérience est négativement associé à l'anxiété (sur l'ensemble des sujets, dans le groupe intentionnel et dans le groupe contrôle), démontrant une certaine cohérence entre deux évaluations relevant de la sphère conative. La deuxième exception concerne plus spécifiquement le groupe de sujets soumis aux plus fortes contraintes expérimentales (tâche d'orientation et encodage intentionnel) : les auto-évaluations les plus défavorables tendent à être associées à une plus forte anxiété globale. Ce résultat est étonnant car il n'y a aucune raison a priori pour que la cohérence entre auto-évaluations conatives et score d'anxiété diffère en fonction des consignes : en effet, les premières ont été relevées avant la présentation des consignes et le test d'anxiété a été proposé lors d'une session indépendante mais postérieure à la phase expérimentale. Nous avons envisagé la présence d'un effet du contexte expérimental sur les relations observées : les modifications de jugements introduites par la double contrainte spécifique à ce groupe pourraient s'étendre à l'ensemble des jugements, y compris les réponses aux questionnaires standardisés. Ainsi, la relation observée traduirait un effet de contexte différent selon l'état conatif des sujets en début d'expérience : les sujets se sentant plus fatigués, moins motivés et plus stressés obtiendraient des scores d'anxiété plus élevés en réaction à un traitement expérimental plus contraignant.

La précédente interprétation se trouve en partie soutenue par un autre résultat observé uniquement dans le groupe intentionnel : une relation positive entre le score d'anxiété et la fréquence des attributions internes et négatives (dépréciatrices) et une relation négative entre le score d'anxiété et la fréquence de choix des attributions externes négatives : ainsi, les sujets les plus anxieux favorisent les explications auto-dégradantes alors que les sujets les moins anxieux favorisent les explications négatives prenant source dans la situation. Cette relation ne s'observe véritablement que chez les sujets soumis à une condition expérimentale combinant la présence d'un objectif mnémonique et un contexte d'encodage laissant peu de place au contrôle effectif sur la prise d'information (tâche d'orientation). Il est peu probable que la tendance habituelle d'anxiété soit seule responsable de ces relations puisqu'on ne les observe pas dans les autres conditions de l'expérience. Il nous semble plutôt que la situation contribue à modifier les processus d'auto-évaluation et d'attribution et que les réponses à l'échelle d'anxiété (qui sont aussi des auto-évaluations) aient été influencées par la condition.

Concernant la dimension locus de contrôle, nous pouvons résumer les résultats en trois points.

  1. Tout d'abord, les sujets du groupe contrôle obtiennent des scores d'internalité plus élevés que ceux des autres groupes ; sans rejeter l'éventualité d'une différence a priori entre les groupes, nous pouvons à nouveau proposer l'existence d'un effet de contexte sur les réponses à l'échelle de Rotter. Dans cette condition de l'expérience où les sujets étaient libres de gérer leur apprentissage, nous avons remarqué que les attributions spécifiques étaient plus souvent internes et optimistes, mettant en évidence le rôle du sujet sur sa performance et le sentiment d'avoir réussi la tâche. Comme l'échelle de Rotter était remplie après l'épreuve et les jugements d'attribution, il est possible que ce contexte favorable au sujet ait exacerbé les réponses internes à l'échelle standardisée.

  2. Notre hypothèse 3.3.2. selon laquelle l'internalité (externalité) est associée à une meilleure (moins bonne) performance mnésique et à des jugements métamnésiques plus favorables (défavorables) se trouve partiellement vérifiée. En effet, dans le groupe soumis aux plus fortes contraintes d'encodage, on trouve une relation positive entre l'internalité et la performance ; cela peut signifier que les sujets internes parviennent mieux à surmonter les contraintes multiples : but mnémonique et tâche interférente lors de l'encodage. La seule corrélation impliquant les jugements de métamémoire implique l'évaluation de la première prédiction de performance dans le groupe incident. Ce résultat n'est pas suffisant pour démontrer une base commune (i.e., l'efficacité personnelle) entre les jugements généraux de l'échelle standardisée et les jugements spécifiques émis au cours de la session expérimentale (pour accepter la seconde partie de notre hypothèse). Les mesures d'exactitude de la prédiction, sensées indexer la qualité de la métamémoire (mais voir chapitre 2, § 2.2.4.4. et 2.3.5.3.) ou l'aptitude à évaluer correctement sa propre capacité, sont liées au score de locus dans les deux groupes de sujets soumis à la tâche d'orientation lors de l'encodage. Dans le groupe incident, les sujets externes parviennent mieux à prédire leur performance totale (score d'inexactitude absolue) que les sujets internes ; dans le groupe intentionnel, au contraire, les sujets internes tendent à faire des prédictions plus exactes (premier test de rappel libre – score d'inexactitude relative) et se montrent plus stables dans leurs prédictions (moins de changement d'efficacité une fois qu'ils ont connaissance du nombre réel d'items présentés).

  3. Le mode d'attribution spécifique réalisée dans le contexte expérimental n'est pas fortement dépendant du style plus global d'internalité. Ces deux mesures sont supposées s'adresser à une même dimension de croyance de contrôle personnel sur les événements. Or, leurs relations sont faibles, rares et dépendent des conditions expérimentales. Il existe donc une forme d'interaction entre le style des sujets et la condition expérimentale. La préférence des attributions internes (et des sous-catégories identifiées comme internes positives, négatives...) de la performance réelle n'est jamais associée à la dimension du locus de contrôle : la fréquence de choix des explications internes dépend plus des conditions d'encodage comme nous l'avons vu au paragraphe 7.4.2 et paraît donc plutôt déterminée par la possibilité réelle de contrôle accordée aux sujets. Toutefois, les groupes expérimentaux se distinguent plus nettement lorsque l'on considère les relations entre le style des sujets (locus interne versus externe) et la fréquence de choix des explications externes et temporelles. Chez les sujets non avertis du test de mémoire et soumis à des conditions d'encodage assez peu propices, les internes expliquent plus volontiers leur performance par des facteurs externes ; cela démontre une assez bonne représentation des facteurs réellement en jeu. Les sujets externes sont plus sensibles au manque de temps passé à étudier le matériel. Dans les deux groupes de sujets avertis du test de mémoire futur, on constate que les internes à l'échelle de Rotter incriminent plus souvent que les externes le manque de temps comme cause de leur performance.

Les présentes observations entre style personnel, mémoire, métamémoire, conation et attributions sont limitées par le faible effectif de sujets observés et par un éventuel effet des consignes sur les réponses données aux questionnaires standardisés. Elles incitent néanmoins de nouvelles perspectives de recherche. Notamment, il sera intéressant de creuser la notion d'illusion de contrôle et d'étudier ses implications conatives et métacognitives.