7.6.3011Auto-évaluation quotidienne et jugements de métamémoire

La confrontation de l'auto-évaluation de la mémoire quotidienne (fréquence estimée des difficultés mnésiques) et des jugements de métamémoire effectués en cours de situation expérimentale (prédictions, évaluations qualitatives, certitude) nous permet d'aborder la question des relations entre métamémoire générale et métamémoire spécifique à la tâche (memory monitoring). Ces deux types de jugements concernent l'appréhension de la variable « sujet» du modèle de Flavell et Wellman (1977) ou encore le facteur d'auto-efficacité mnésique préconisé par Hertzog et ses collaborateurs (1987, 1989, 1990). En effet, dans les deux cas, les personnes procèdent à une évaluation de leur propre capacité mnésique. On devrait s'attendre à ce que les deux sortes de jugements soient corrélés négativement dans l'hypothèse où les sujets émettent leurs évaluations sur des bases similaires : une meilleure capacité jugée durant l'expérience de laboratoire (prédiction plus haute, meilleure évaluation des performances prédites et réelles, évaluation de la mémoire générale) devrait s'accompagner d'une plus faible fréquence de problèmes mnésiques quotidiens.

Tableau VII. 24 : Moyennes des jugements de métamémoire et d'auto-évaluation de la mémoire quotidienne en fonction des consignes. Corrélations entre métamémoire et somme des auto-évaluations au questionnaire.Significativité : *** : .01, ** : .02, * : .05, italiques : .10.
Prédiction 1 - P1 Prédiction 2 - P2 Evaluation P1
(EVA 1)
Evaluation P2
(EVA 2)
AEMQ
groupe (n) nb r nb r eva r eva r somme
incident (13) 7,92 085 8,31 094 2,62 335 2,54 138 92,54
intentionnel (9) 8,78 -.489 8,78 -.152 2,56 330 2,00 616 90,89
contrôle (35) 12,63 -.343* 13,20 -.322 2,63 -.211 2,54 -.325 74,11
ensemble (57) 10,95 -.401*** 11,39 -.377* 2,61 -.019 2,46 -.1089 80,97
Evaluation Générale (EVAG) Evaluation Perf. réelle (EVAP) Les prédictions sont faites en nombre de mots.
Les évaluations sont faites sur une échelle en cinq points.
L'auto-évaluation de la mémoire quotidienne (AEMQ) est la somme des fréquences estimées de 28 problèmes mnésiques sur une échelle en 9 points.
groupe (n) eva r eva r
incident (13) 3,08 -.160 2,00 140
intentionnel (9) 2,67 494 2,33 203
contrôle (35) 3,20 -.379* 2,46 -.142
ensemble (57) 3,09 -. 250 2,33 -.124

Un résultat assez cohérent avec cette hypothèse est trouvé dans le groupe contrôle uniquement. La force des prédictions (P1 : r(33)=-.343, p<.05 ; PP1 : r(33)=-.29, p<.10 et P2 : r(33)=-.322, p<.10), l'évaluation qualitative de la seconde prédiction (r(33)=-.325, p<.10) et l'évaluation générale de la mémoire (r(33)=-.379, p<.05) sont modérément reliées à la fréquence des problèmes quotidiens auto-estimée (tableau VII. 24). Ainsi, il semble que dans ce groupe, les jugements de prédiction utilisent la même connaissance que les jugements plus généraux de métamémoire. De plus, l'auto-évaluation générale de la mémoire demandée dans le contexte de l'expérimentation est conforme à l'auto-évaluation effectuée par le biais du questionnaire, ce qui démontre une certaine stabilité dans l'auto-évaluation. Les jugements de métamémoire spécifiques semblent donc dépendre de la représentation générale que les sujets possèdent de leur propre mémoire. Toutefois, les mesures de métamémoire spécifiques (prédictions) sont de meilleurs prédicteurs du niveau de performance que les mesures générales (questionnaire d'auto-évaluation et évaluation générale faite dans le contexte de la tâche de laboratoire)212. Or, la spécificité du groupe contrôle réside dans la liberté de gestion des ressources mnésiques, dans les faibles contraintes et interférences lors de l'encodage et de fait, dans la plus grande saillance du matériel à retenir. Aussi, on peut supposer que les sujets de ce groupe ont acquis sans difficulté les informations utiles pour une gestion optimale de leur processus mnésique. En conséquence, on observe simultanément de bonnes performances et des prédictions réalistes. Les prédictions de performance se baseraient donc sur deux sources : l'auto-efficacité générale et la connaissance acquise lors de l'encodage sur les caractéristiques particulières de la tâche (type de matériel, stratégies employées, méthode de récupération efficace).

Tel n'est pas le cas pour les sujets des deux groupes soumis à la tâche d'orientation lors de l'encodage. Il n'existe pas de corrélations significatives entre l'auto-évaluation de la mémoire quotidienne et les jugements de métamémoire spécifiques réalisés en cours de tâche. Pour le groupe incident, toutes les corrélations examinées sont faibles et non-significatives (annexe 7.19 et tableau VII. 24). Il ne semble pas que les sujets de ce groupe se basent sur le même type d'information pour émettre leurs jugements de prédiction et d'évaluation (y compris l'évaluation de la mémoire quotidienne) et pour évaluer la fréquence quotidienne des échecs de mémoire. En particulier, nous avons déjà supposé que l'auto-évaluation de la mémoire quotidienne pourrait subir l'influence des caractéristiques de la situation expérimentale (fortes contraintes d'encodage associées à de faibles performances et à une déception assez élevée) puisque le questionnaire a été rempli après l'expérience de laboratoire. Aussi les prédictions et évaluations faites initialement dans le contexte du laboratoire pourraient constituer dans ce groupe un meilleur indicateur de l'auto-efficacité mnésique réelle. Nous avons d'ailleurs relevé des relations significatives entre les prédictions et la performance et entre l'évaluation de la mémoire générale et la performance réelle qui contribuent à défendre cette hypothèse213.

Pour le groupe intentionnel, où l'effectif est très restreint (9 sujets), les magnitudes des corrélations sont parfois assez importantes mais non-significatives (r(7)=-.49, ns pour P1, r(7)=-.41, ns pour PP1214). Notre attention a été attirée sur deux corrélations atypiques dans ce groupe. L'évaluation qualitative de la seconde prédiction (r(7)=.62, p<.10) et l'évaluation qualitative générale de la mémoire (r(7)=.49, ns) sont reliées positivement avec le score du questionnaire, ce qui est contraire à l'hypothèse d'une adéquation entre les jugements d'auto-efficacité obtenus par questionnaire et les jugements d'auto-efficacité spécifiques à la tâche de laboratoire : quand la qualité perçue de la mémoire mesurée en laboratoire augmente, la qualité perçue de la mémoire quotidienne mesurée par questionnaire diminue (plus de problèmes quotidiens). Compte tenu du faible nombre de sujets concernés par ces corrélations, toute généralisation serait abusive. Toutefois, les perturbations de jugement mises en évidence dans le chapitre précédent sur un plus grand nombre de sujets (36) nous pousse à croire que ces résultats contradictoires ne sont pas le fruit du hasard. Il est possible que l'auto-évaluation quotidienne mesurée par questionnaire soit influencée par la participation à l'expérience et ne traduise pas le niveau réel d'auto-efficacité mnésique. Nous avons déjà noté que, dans ce groupe, les jugements spécifiques de métamémoire que sont les prédictions ne permettent pas non plus d'obtenir une mesure objective de l'auto-efficacité mnésique. Aussi, il semblerait bien que les conditions particulières d'encodage intentionnel assorti de fortes contraintes sur les ressources de traitements des données et de gestion du processus mnésique induisent une altération de la perception du niveau d'efficacité personnel : les sujets ne sont pas aptes à évaluer leurs propres capacités de façon objective (illusion de contrôle assortie d'une non prise en compte de l'effet des facteurs situationnels sur la performance).

Notes
212.

Au chapitre 6, nous avons vu que dans le groupe contrôle, les prédictions sont corrélées à la performance réelle contrairement à l'évaluation qualitative de la mémoire quotidienne.

213.

Ces résultats ont été observés sur un plus grand échantillon (37) incluant les 13 sujets dont les résultats sont examinés ici (chapitre 6).

214.

Ces corrélations sont conformes, du point de vue du signe, à celles qui ont été trouvées dans le groupe contrôle et à l'hypothèse selon laquelle les plus fortes prédictions sont associées à moins de problèmes mnésiques quotidiens auto-évalués (dimension d'auto-efficacité).