7.6.4011Auto-évaluation quotidienne et exactitude de prédiction

L'exactitude de la prédiction, mesurée par trois indices différents, donne une indication sur la capacité des sujets à prédire avec précision leur performance réelle. Ces indices constituent donc des mesures de la qualité de la métamémoire dans le contexte particulier d'une tâche de laboratoire. Cet aspect de la qualité de la métamémoire relève de la validité de l'auto-efficacité (variable sujet de la métamémoire) : un sujet avec un niveau d'efficacité personnelle objectif le traduira par une prédiction qui s'écarte peu de sa performance réelle. Bien entendu, cette évaluation suppose que le sujet ait aussi une certaine idée du niveau de performance moyen à l'épreuve pour laquelle il doit évaluer son propre niveau de compétence (variable tâche). En l'absence d'une telle connaissance normative, l'exactitude de la prédiction pourra être mauvaise (surestimation ou sous-estimation) sans pour autant que le niveau d'efficacité personnelle soit incorrect215.

Le score au questionnaire de métamémoire concernant l'évaluation de la fréquence d'oublis est quant à lui un indicateur du niveau d'auto-efficacité perçue ou de la qualité de la mémoire quotidienne auto-estimée. En effet, demander à une personne d'estimer la fréquence de ses problèmes de mémoire revient à demander d'évaluer sa capacité de mémoire. Hertzog et al. ont à ce propos montré que deux questionnaires de métamémoire employant des échelles d'évaluation différentes – fréquence d'une série de troubles (MFQ de Gilewski et al., 1983) et degré d'accord pour des propositions rédigées à la première personne sur le niveau de réussite d'une série de tâches de mémoire (MIA de Dixon et Hultsch, 1983, 1984) – rendaient compte d'une dimension unique de la métamémoire appelée auto-efficacité mnésique (Memory Self-Efficacy ou MSE).

L'étude des corrélations entre ces deux séries de mesures devrait nous permettre d'estimer la cohérence des jugements de métamémoire fournis dans deux tâches différentes d'auto-évaluation. Il s'agit en particulier de déterminer si l'inexactitude du sentiment d'auto-efficacité (tendance à la sous-estimation ou à la surestimation des performances réelles) en situation de laboratoire peut être attribuée à la perception globale qu'ont les gens du fonctionnement de leur mémoire dans la vie quotidienne (fréquence plus ou moins importante des problèmes rencontrés). S'ils émettent leurs jugements à partir d'une dimension unique d'auto-efficacité, on peut s'attendre à ce que les sujets qui se surestiment trouvent aussi que leur mémoire quotidienne est bonne alors que les sujets qui se sous-estiment en laboratoire trouvent que leur mémoire quotidienne est faible. En outre, l'hypothèse de base de la métamémoire pourra être testée en analysant les corrélations entre exactitude de la prédiction (qualité de la métamémoire) et sentiment d'auto-efficacité (qualité perçue de la mémoire).

La configuration générale des relations entre exactitude et auto-évaluation de la mémoire quotidienne se caractérise par l'absence de corrélations significatives sur l'ensemble de l'échantillon et à l'intérieur de chaque groupe expérimental. Seules quelques tendances confirmant partiellement nos attentes se dégagent dans le groupe contrôle.

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Tableau VII. 25 : Auto-évaluation de la mémoire quotidienne (nombre de sujets) en fonction des comportements de surestimation et de sous-estimation des performances en rappel libre et en rappel total (groupe contrôle). Pour une meilleure répartition des effectifs, nous avons considéré qu'une estimation est exacte si elle correspond à la performance +/- 2 items.

En ce qui concerne les indices de sous-estimation et de surestimation de la performance (différence entre la prédiction et la performance aux différentes épreuves LI1, LIT et RT), on trouve que plus la sous-estimation est forte216 plus les sujets tendent à dire que leur mémoire quotidienne est mauvaise (r(33)P1-LI1=-.23, ns ; r(33)P1-LIT=-.29, p<.10 ; r(33)P1-RT=-.32, p<.10 ; r(33)P2-LI1=-.17, ns ; r(33)P2-LIT=-.24, ns ; r(33)P2-RT=-.27, ns). Le tableau VII. 25 présente les moyennes d'auto-évaluation au questionnaire de Sunderland et al. en fonction de l'exactitude des prédictions pour les scores de rappel libre et de rappel total. Bien que les relations soient assez faibles, ce résultat tend à confirmer que les sujets du groupe contrôle utilisent les mêmes connaissances (croyances) pour émettre leurs jugements dans le contexte de la tâche de laboratoire et dans le questionnaire d'auto-évaluation de la mémoire quotidienne. L'exactitude de la prédiction tend à être fonction du niveau perçu d'efficacité générale de la mémoire. L'examen des moyennes présentées au tableau VII. 25 nous révèle qu'effectivement, les sujets exacts dans leur prédiction de performance totale (prédiction 1 et prédiction 2) disent avoir moins de problèmes quotidiens que les sujets qui se sous-estiment. Une relation similaire apparaît entre l'exactitude de la première prédiction au premier rappel libre et la mémoire auto-évaluée. Par contre, cette relation est moins évidente concernant l'exactitude de la seconde prédiction pour le rappel libre. Ici, en effet, les sujets les plus exacts pensent avoir le plus grand nombre de problèmes. Ce résultat contribue à la faible corrélation observée entre les deux mesures.

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Tableau VII. 26 : Auto-évaluation de la mémoire quotidienne (nombre de sujets) en fonction de l'exactitude le la prédiction en rappel libre et en rappel total.

Les indices prenant en compte la différence absolue entre prédiction et performance considèrent l'aspect d'exactitude de prédiction indépendamment des comportements de surestimation et de sous-estimation. Hormis quelques tendances, ces coefficients ne sont pas fortement reliés à la qualité mnésique auto-évaluée (annexe 7.19). Les corrélations impliquant la première prédiction et le rappel total – les plus fortes – se situent aux alentours de .40 et sont les seules à être significatives (r(33)|P1-RT|=.36, p<.05 ; r(33)|P2-RT|=.25, ns ; r(33)|P1-RT| / RT=.38, p<.05 ; r(33)|P2-RT| / RT=.28, p<.10). Ces corrélations signifient qu'une plus grande exactitude de prédiction du rappel total (indice tendant vers 0) s'accompagne d'une meilleure mémoire auto-évaluée217 (fréquence de problèmes plus basse). Or, la plupart des sujets sous-estiment leur performance totale. On peut en déduire que la sous-estimation est d'autant plus forte que les sujets ont un bas niveau d'auto-efficacité mnésique, ce qui est cohérent avec les analyses précédentes (tableau VII. 26).

Une tendance inverse se dégage entre l'exactitude de la seconde prédiction (rappel libre 1) et la qualité mnésique auto-évaluée (r(33)|P2-LI| / LI1 =-.30, p<.10 ; tableau VII. 26). Dans ce cas, une plus grande exactitude de prédiction est associée à une moins bonne mémoire auto-évaluée ; les sujets qui font des prédictions inexactes sont aussi ceux qui croient par ailleurs que leur mémoire est meilleure. Une telle tendance n'est pas observée avec la première prédiction de performance. Il s'avère que les sujets (8) qui augmentent leur prédiction entre P1 (moyenne de 9,5) et P2 (moyenne de 14,38), passant d'une sous-estimation de la capacité réelle (moyenne de P1-LI1 de –4.38) à une estimation exacte (moyenne de P2-LI1 de +0,5) trouvent en moyenne que leur mémoire est moins bonne218 (83,38). Les 22 sujets qui ne changent pas leur prédiction de performance obtiennent un score moyen de 72,5 au questionnaire d'auto-évaluation de la mémoire quotidienne. De plus, les cinq sujets qui baissent leur prédiction entre les deux étapes (passant de 19,4 à 15,6) jugent moins fréquents leurs problèmes mnésiques quotidiens (66,4) ; ces sujets, qui se surestimaient lors de la première prédiction (en moyenne de 2,8 mots) finissent par se sous-estimer légèrement avec leur seconde prédiction (-1 mot). Ainsi, concernant la seconde prédiction uniquement, une meilleure exactitude de prédiction du rappel libre a lieu chez des sujets qui pensent par ailleurs que leur mémoire n'est pas très bonne. En tout cas, cette tendance apparaît grâce à une modification très pertinente du jugement chez des sujets qui se montrent capables d'adapter leur capacité de prédiction en fonction de la situation.

En résumé, les relations obtenues ne nous permettent pas d'affirmer l'existence d'une relation entre la qualité de la métamémoire spécifique (capacité à prédire correctement ses performances) et la qualité de la mémoire quotidienne auto-évaluée. Toutefois, les rares relations observées tendent à démontrer une certaine cohérence des auto-évaluations générales et spécifiques dans le groupe contrôle uniquement, à savoir, chez les sujets autorisés à réaliser la tâche mnésique dans des conditions optimales de contrôle personnel (celui aussi où les observations sont les plus nombreuses).

Notes
215.

En effet, la prédiction peut être corrélée à la performance même si les sujets n'ont pas fait des prédictions exactes de leur performance. Par exemple, si tous les sujets d'un groupe surestiment leurs compétences dans des proportions identiques, l'auto-efficacité perçue sera toujours valide puisqu'une corrélation parfaite subsistera entre prédiction et performance. Cette corrélation indique que plus le sentiment de compétence est élevée, meilleure est la performance.

216.

Dans ce groupe, on observe un plus grand taux de sous-estimation (21 sujets ; sous-estimation moyenne de 4,43 mots) que d'exactitude (3 sujets) ou de surestimation (11 sujets ; surestimation moyenne de 4,09 mots). Par rapport au rappel total, la sous-estimation est de 7,36 mots (25 sujets) et la surestimation est de 2,8 mots (5 sujets) alors que 5 sujets font des prédictions parfaites.

217.

Les mesures d'exactitude qui relativisent la qualité de l'exactitude en fonction de la performance réelle (troisième indice d'exactitude) permettent mieux de discriminer différents niveaux d'auto-efficacité mnésique.

218.

La procédure consistait à faire une première prédiction en fonction du nombre de mots que le sujet pensait avoir vus (P1) puis une seconde prédiction en fonction du nombre réel de mots présentés.