1.1 Objet de la Recherche

1.1.1 L’objet de la recherche : du lien

Cerner la nature de notre objet, dans le contexte transdisciplinaire qui est le nôtre, est paradoxalement assez aisé, et malgré tout complexe. C’est en explicitant ce caractère transdisciplinaire que nous pourrons en exposer les raisons, non sans faire appel à l’étymologie sur laquelle le célèbre Gaffiot nous renseigne. Plutôt qu’interdisciplinaire, dont le préfixe inter signifiant ’entre’ renvoie tout à la fois à l’intervalle de l’espace et du temps, et en fixe le sens dans le statut d’écart et de lien – faisant interruption et interconnexion –, nous préférons transdisciplinaire, dans ce qu’il évoque l’idée d’un ’à travers’ et d’un ’au-delà’ de ce qui est a priori séparé. On n’est pas d’office dans l’entre-deux, fut-il suturant, mais dans le passage et l’extension de chaque côté des lisières. Notre projet de recherche ne s’inscrit pas en effet dans un intervalle disciplinaire entre psychologie clinique et recherche architecturale – qui serait pour le coup un projet complexe à bâtir – mais relève d’un ancrage profond dans ses deux champs et est appelé à les traverser dans un même mouvement.

Aussi, de même que nous nous situons de façon transversale par rapport aux approches clinique et architecturale, notre objet est bien plus appelé à se situer transversalement que dans l’écart par rapport à la sphère de la réalité psychique et celle de la réalité extérieure.

On en vient ainsi peu à peu à délimiter les contours de notre objet de recherche : il ne s’agit pas spécifiquement de productions ou mécanismes psychiques, ni encore moins de figures ou processus architecturaux, ni même de ce qui serait ’entre’, intermédiaire. Ces éléments seront bien sûr la matière même de l’avancée de notre travail, et seront en permanence rencontrés sur notre parcours de recherche. Mais c’est bien à ce qui fait lien entre le psychique, l’interne, et le matériel, l’externe et qui ’déborde’ en quelque sorte et rejaillit de l’un sur l’autre, de l’un dans l’autre, que nous allons nous intéresser ici. Nous aurons donc à rencontrer le registre psychique dans la réalité matérielle, et le registre architectural dans la réalité psychique.

La simplicité de cette délimitation du contour de notre objet d’étude n’épuise cependant pas sa nature. Là apparaît toute la complexité à laquelle nous allons être confrontés. Les chemins que nous empruntons, encore fort peu arpentés jusqu’aujourd’hui, livrent peu d’éléments grâce auxquels nous orienter. Ce travail procéderait-il alors d’une gageure ? Dans son projet, peut-être. Dans son objet, et nous en sommes convaincu, certainement pas. Mais, comme le souligne si justement H.Searles (1960) considérer notre intime parenté avec le non-humain n’est certainement pas une démarche exempte de résistances, quand bien même il existerait de rares moments d’en éprouver un sentiment d’élation qui n’est pas sans rappeler, dit-il, « les sources mêmes de la vie ». Pour cet auteur « que l’environnement non humain joue un rôle important en tant que tel est [...] une thèse insoutenable si on insiste sur cet ’en tant que tel’ au point de nier qu’il se produise des déplacements sur cet environnement de faits mentaux relatifs aux relations interpersonnelles : cela serait rigoureusement indémontrable et rélèverait d’un purisme obsessionnel » (1960, p. 15, s/a). Si, pour H.Searles, l’inexistence du lien dont nous parlons s’avère indémontrable, notre souci est bien ici de démontrer la pertinence d’une telle thèse. Son propos nous fournit cependant le confort de poser comme postulat de départ la réalité de ce lien.

Une précision d’importance dans la définition de notre objet d’étude qu’est ce lien, s’impose ici : nous entendons réalité du lien dans le sens plein que S.Freud accorde au concept de réalité psychique. Il ne s’agit en effet pas de ne considérer que la vérité de ce qui en est constitutif, à savoir, pour ce que nous dit S.Freud de la réalité psychique dans Introduction à la psychanalyse (1916) : les événements de la vie infantile tels que les a intégrés et les rapporte plus tard le névrosé. C’est bien le statut de vérité qu’ils acquièrent dans la psyché qui importe, et qui confère ce caractère de réalité à ses contenus. De même pour ce qui nous occupe, c’est bien de la réalité du lien, dans sa dimension psychique autant que dans sa dimension matérielle qui sera explorée. Pour être alors encore plus précis sur notre objet d’étude, on peut dire qu’il est au premier chef le lien du lien : celui qui s’établit entre la réalité psychique du lien et la réalité matérielle du lien.

Pour reprendre, ce point étant posé, sur le postulat que nous autorise H.Searles, nous voulons souligner que le lien auquel, pour notre part, nous allons consacrer ce travail, relèvera moins d’une parenté avec l’environnement – avec cette acception générique – que d’une réceptivité à l’égard de contenus psychiques spécifiques de la part de caractéristiques architecturales précises, et qui feront l’objet d’une investigation scientifique. Réceptivité nous semble fort à propos, dans ce qu’il condense les significations d’une disposition à recevoir et d’une aptitude à assimiler puis éventuellement à restituer. Mais, et nous en finirons sur ce point, contrairement à H.Searles, nous nous devons dans ce travail de révéler le caractère démontrable de ce lien. Pour ce faire, et comme c’est bien souvent le cas dès lors qu’on porte en clinique nos intérêts sur les processus et formations de l’inconscient, c’est dans des situations où ils se trouvent exacerbés que nous allons en rechercher l’existence.

Ceci nous amène donc à présenter le terrain que nous avons choisi pour étudier notre objet d’étude : les Maisons d’Accueil Spécialisées.