1.1.2 Les M.A.S. : Terrain d’étude de notre Objet de recherche

1.1.2.1 Qu’est-ce qu’une M.A.S ? Du réel à l’imaginaire...

Les Maisons d’Accueil Spécialisées sont des établissements ayant vocation à accueillir des personnes polyhandicapées ou souffrant d’un retard mental sévère, n’ayant pu acquérir un minimum d’autonomie, et nécessitant constamment assistance dans les actes de la vie quotidienne, surveillance, et soins. Ces institutions, évoquées dans l’article 46 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées, sont régies par les textes fondateurs de 1978 : le décret d’application n° 78-1211 du 26 décembre 1978 et la circulaire interministérielle n° 62-AS du 28 décembre 1978, ainsi que par différents textes légaux ultérieurs. La prise en charge occupationnelle, éducative et thérapeutique y est assurée au long cours, c’est à dire 365 jours par an et 24 heures sur 24. La M.A.S., bien souvent, pour ceux qui y sont accueillis, est le seul lieu qu’ils connaîtront leur vie durant.

La prise en charge de personnes porteuses de handicaps cumulés et, de ce fait, lourdement dépendantes, ne va pas alors – on s’en doute à plus d’un titre – sans éveiller des productions imaginaires parfois exacerbées : « Dans le monde des handicapés mentaux, ceux qui sont le plus gravement atteints réveillent dans l’imaginaire social toutes sortes de peurs où se mêlent l’apparition horrible d’un corps malformé, la violence d’une inhumanité proche de la bestialité, l’étrangeté de comportements inaccessibles à notre raison... » nous dit P.Chavaroche, avec le recul de ses années de travail à la Fondation John-Bost, en Dordogne, non sans ajouter que « la simple évocation des lieux où réside ce monde nous projette dans des visions de cauchemar, l’idée d’y pénétrer un jour nous glace d’effroi » (1998 p. 6, s/n).

En effet, pour ce qui est du public accueilli dans ces structures, multiples sont les terminologies actuelles pour les décrire : handicapés, polyhandicapés, arriérés profonds, autistes, psychotiques déficitaires... mais le tableau clinique reste commun, associant pathologies somatiques et psychiques d’étiologies variées. Atteints de déficits intellectuels souvent massifs, de troubles graves voire d’une inexistence du langage, ils ne disposent pour certains que du regard comme seule source de communication, les cas de paralysie quasi-totale n’étant pas rares. Troubles somatiques, pulmonaires et digestifs surtout, et épilepsie sont souvent associés et, sur le plan des déficits corporels, l’absence de contrôle urétral et sphinctérien est régulière. Pour les moins gravement touchés sur le plan moteur, une déambulation et une gestualité stéréotypées prédominent. Aux malformations congénitales se greffent parfois les traces de conduites automutilatoires. Le corps est ainsi le siège d’une souffrance intense pour ces personnes, qui ne disposent pas des capacités psychiques pour la mentaliser. Aux déficiences neuro-psychologiques, se sont souvent ajoutées de profondes carences dans les soins et les stimulations durant la petite enfance. Troubles organiques et causes affectives et relationnelles combinent ainsi aux déficits corporels des pathologies psychiques de type psychose déficitaire et autisme.

On a là le tableau plus ou moins exhaustif qui se dresse devant qui décide d’entrer dans la M.A.S. et nous nous devons dores et déjà de signaler que, pour qui n’a pas l’habitude de cotoyer ces personnes, certaines situations sont parfois difficilement supportables. Aussi, nous ne pouvons que suivre P.Chavaroche, quand il dit qu’ « il semble que dans ces lieux, c’est moins la pénibilité de la tâche qui importe que ce que l’on est appelé à y côtoyer : la folie, la souillure, le sang, la mort... autant d’éléments qui mobilisent intensément dans le sens commun cette monstruosité que diverses rationalisations scientifiques ou économiques ne parviennent pas à étouffer totalement » (ibid., p. 8). Voyons alors les motifs qui, prolongeant notre volonté de clinicien de participer à l’élaboration de cette souffrance qui se vit dans les M.A.S., nous firent adopter ces institutions comme terrain de recherche.