1.2.1.3 Bilan de la phase exploratoire

A travers la restitution de cette phase de ’spéculation clinique’ initiale, on s’est donc proposé de donner à voir comment la question du temps semble traverser effectivement la problématique spatiale qui nous intéresse, tout en restant muette car initiatrice de souffrance.

Le détour occasionné par l’intuition initiale d’un vécu institutionnel caractérisé par un temps qui ne passe pas, un temps gélifié, enfermé dans un quotidien vécu sur le registre de la répétition, nous a donc permis de cerner un peu plus la place centrale de l’espace matériel : surinvesti, il semble se poser en repère supplantant le temps, qu’il serait insupportable de percevoir si fluide alors que rien au quotidien ne semble s’inscrire dans le livre de l’histoire institutionnelle. La superposition des différents temps dans leurs dimensions diachronique et synchronique semblait constituer le noyau central de la question de l’espace architectural dans les M.A.S., qu’il allait s’agir de problématiser et de mettre en hypothèses. L’espace ne serait-il pas là pour occulter l’omniprésente et mortifère répétition, et pallier le temps dans sa déficience à la dépasser, à la surmonter ? Le repérage pressenti d’une tendance à ’l’utopique’ ne fait alors que renforcer cette première intuition, tout en fournissant une clé de compréhension possible et surtout d’articulation de toutes les observations présentées jusqu’ici.

Tout dans l’institution semble en effet s’organiser autour de l’espace, afin de ’court-circuiter’ le rapport au temps. Ceci semble valoir tant pour ce qui se vit dans l’actuel que pour ce qui renvoie à l’origine. On a vu en effet que cet actuel se superposerait avec le temps de l’origine. Il est donc légitime de voir aussi l’espace, non seulement comme lieu dans lequel peut être diluée cette collusion temporelle aliénante, mais encore comme dimension dans laquelle s’est inscrit quelque chose de l’origine susceptible de faire retour dans le quotidien et de générer de la souffrance au niveau des liens institutionnels. Nous voici de nouveau confrontés au travail sur la problématique originelle du groupe instituant, et sur ce qui a pu en être greffé dans le projet architectural. Si, pour tenir le rôle dévolu au temps dans le repérage des moments de la vie institutionnelle, l’espace s’est fait lieu d’accueil d’une part mortifère déposée par le groupe instituant, on serait alors en mesure de comprendre que le report massif de l’équipe sur lui en tant que repère hypertrophié, conduise à un effet de retour du mortifère qu’il était sensé garder muet en son sein. A trop vouloir faire taire le temps, en prenant appui sur l’espace, ce dernier semblerait ne plus pouvoir longtemps tenir son secret...

Les éléments généraux dégagés à partir du contexte historique et social de création des M.A.S., dans la mouvance du texte de 1975, et d’une première lecture de celui du législateur (1978) et des associations, nous ont révélé un premier ensemble d’oppositions, voire de critiques avec prise de position en contre-pied... n’est-ce pas là ce que les utopies proposent des sociétés desquelles elles entendent se démarquer ? Ensuite, avoir repéré ce qui semble être une dimension idéale, en même temps que défensive, du projet d’origine nous a été d’un grand secours dans la perspective de la problématisation de notre objet de recherche. En effet, l’image grandiose parfois donnée de l’établissement – qu’elle soit ou non communiquée par une architecture imposante –, l’inadaptation réelle de certains équipements aux usagers auxquels ils sont destinés, la difficile appropriation des lieux, sont autant de symptômes qui nous pousseraient à y voir la matérialisation possible des processus défensifs propres aux fondateurs, liés tant au polyhandicap de l’enfant, qu’à leurs propres angoisses face à ce qu’il mobilise dans leur psyché. Se trouveraient ainsi matérialisées dans les murs, résistances et modalités défensives des sujets porteurs du projet, et de fait institué le retour du refoulé via un média électif : la composante architecturale de l’institution. Il s’agirait donc, pour repérer plus finement ce mode de figuration, de déterminer les lieux électifs d’accueil de cet irreprésentable, de cet indicible, de ce refoulé originel... ainsi que la spécificité des manifestations de ce dernier dans les composantes matérielles, en fonction des différents processus défensifs rencontrés. Ces derniers se trouvant enfouis dans l’inconscient collectif qui a guidé les choix à l’origine de l’institution, et dont l’architecture est probablement faite porte-parole.

Par cette voie semble s’être créé du sens dans la complexe et brumeuse intrication de l’intrapsychique, de l’intersubjectif, du matériel, du spatial et du temporel. Par cette voie s’est peu à peu structuré le socle de notre problématique : il importait d’en rendre compte avant de l’aborder dans toute sa rigueur méthodologique... permettant de mettre en lumière le pourquoi de cette gélification du temps et du report sur la dimension spatiale de sa fonction de repère – vivace ? – dans l’histoire de l’institution.

Il va de soi que le foisonnement de questions soulevées dans cette phase exploratoire leur ferait trouver toutes un terrain de développement qui leur soit propre. Si la centration que nous effectuons, pour notre part, sur le lien qui touche à la spatialité en occulte momentanément les réponses, elles n’en constituent pas moins les ressorts sous-jacents, pour baliser les questionnements ultérieurs qui seront adressés au matériel et à la théorie.

Comprendre le rôle complexe imputé à l’espace architectural à la fois comme lieu d’un dépôt originel susceptible d’être libéré un jour, et comme repère transcendant un temps inaudible, devait donc nous amener à travailler dans l’actuel et avec les équipes soignantes ce qui renvoyait à l’origine et au groupe instituant... dans un travail sur la part médiatrice – plus ou moins consciemment créditée au compte de l’architecture, certes – de la dimension spatiale d’une M.A.S., dans son projet de création.

Si semble se dire, se figurer de façon déguisée, quelque chose de la relation parents-professionnels, de la relation de chacun d’eux au handicap profond, de l’origine et de l’histoire de l’institution, à travers l’imaginaire qui a infiltré l’architecture des lieux, s’impose alors à nous, pour remonter à contre-courant ce mouvement signifiant, d’interroger l’imaginaire lié aux lieux, afin de repérer les processus sous-jacents aux représentations et questionner dans quelle mesure ce qui a été institué vient parasiter aujourd’hui le quotidien de l’institution. Ceci montre combien il importe de travailler aujourd’hui cette question du côté des professionnels, et non pas des groupes instituants... d’une part parce que le propos de cette recherche n’est pas de travailler sur l’origine, mais dans l’actuel et le quotidien infiltré d’éléments originels ’contaminants’ ; et d’autre part, parce qu’il est impossible de questionner l’origine dans son actualité, voire même d’en trouver trace ailleurs que dans l’architecture léguée – ce qui semble se dégager comme le présupposé fondamental de ce travail.