2.1.1 De l’actuel à l’origine : Chercheur-Conteur ou Chercheur-Historien ?

Face à l’impossibilité devant laquelle nous nous trouvons de rendre compte de la dynamique complexe qui a présidé à la création de telle ou telle institution, saisir dans l’actuel quelque chose d’une résurgence de ce qui renverrait à l’origine de l’institution constitue notre seule voie d’approche. En effet, l’articulation entre projet d’établissement – dans ses enjeux cliniques – et projet architectural – dans ses enjeux spatiaux – ne peut qu’être étudiée dans la temporalité propre de sa mise en oeuvre, et avec les acteurs qui en définissent les traits – maîtres d’ouvrages, maîtres d’oeuvres, usagers, consultants divers. La position qui est la nôtre ici ne peut donc être qu’historique, reconstruisant à partir de données réunies dans l’actuel du fonctionnement de ces institutions quelque chose de leur origine, de leur histoire, dont on fait l’hypothèse que des vecteurs significatifs se trouvent présents dans leur architecture.

Mais l’approche clinique nous amène à différencier clairement dans cette position historiciste, celle de l’historien et celle du conteur... et c’est dans la seconde que nous entendons nous placer. La reconstruction au plus près de la réalité des faits est bien loin de nous suffire ici – même si elle aura toute son importance comme éclairage en contrepoint de la clinique – et c’est bien au récit imaginaire qui modèle les contours de l’histoire ’objective’ de l’institution qu’il nous faut nous intéresser, pour rendre compte de la réalité psychique qui en colore aujourd’hui le fonctionnement.

Tout intervenant en institution le constate, le travail clinique avec les équipes met en avant des constructions fantasmatiques qui se font jour pour tenter de rendre compte d’une compréhension, d’une re-création après-coup de ce qui est à l’origine et de ce qu’est l’origine de l’institution... ce que P.Fustier appelle le récit légendaire : « il ne permet pas de savoir ce qui s’est réellement passé dans les premiers temps de la fondation, il dit la vérité de la puissance du désir, il ne dit pas la réalité des événements » (1999, p. 11).

Raconter aujourd’hui une histoire qui s’écrit sur les traces transmises d’un passé dont on recrée pour partie la réalité, livrer l’état d’un imaginaire dont on cherche les étayages dans l’espace matériel : tel est notre parti ; et non pas analyser les productions fantasmatiques du groupe instituant, en en repérant les signes dans une réalité architecturale en train de l’encoder.

Soulignons, dans cette perspective, qu’au-delà de la posture de recherche qu’elle nous amène à prendre, cette approche revêt un double intérêt :

  • Du point de vue clinique : elle centre son effort d’analyse sur ce qui organise aujourd’hui les liens institutionnels, sur ce qui fait éventuellement souffrance dans le rapport des sujets et des groupes à la réalité institutionnelle ; et c’est bien là une préoccupation centrale pour nous que d’identifier l’imaginaire qui permet d’en rendre compte.

  • Du point de vue architectural : elle propose de pointer ce qui, aujourd’hui, se présente comme lieux de conflits ou de satisfaction dans l’occupation, l’appropriation, le vécu et les représentations de l’espace architectural, dans ce que toutes ces modalités ont de subjectif ; et c’est bien là une dimension plus pertinente d’analyse que la description des caractéristiques objectivement définies à l’origine d’un projet non encore mis à l’épreuve de l’histoire.

De l’actuel à l’origine, c’est bien en tant que conteur que nous allons travailler, tentant à partir des récits transmis par les équipes de livrer la légende, le récit imaginaire, propre à la culture institutionnelle de chaque établissement ; d’en rechercher les germes éventuellement légués par ceux qui les ont précédés dans un autre imaginaire, celui d’avant l’institution, sorte de récit d’anticipation s’il en est ; et enfin, de tenter d’en mettre en relation les grands mouvements avec ce qui est décelable dans l’architecture, afin d’étayer cette reconstruction d’un récit, dans sa véracité supposée.