3.3 De l’Affinité entre l’utopie et l’institution totalitaire...

Le lecteur l’aura saisi dès notre phrase de conclusion, au paragraphe précédent, nous nous pensons en droit de proclamer l’existence d’une forte affinité entre l’utopie, telle que nous l’avons si minutieusement modélisée, et l’institution totalitaire, dont E.Goffman nous a livré la substance en tant que structure sociale et nos auteurs suisses, les fondements architecturaux paradigmatiques.

Il n’est pas question ici de procéder à une reprise exhaustive des critères repérés dans l’utopie, d’une part, et dans l’institution totalitaire, d’autre part, en entrelaçant les modes de manifestation propres à l’un et l’autre système. Par contre, nous ne pouvons pas, au sortir de ce chapitre consacré à la construction de notre cadre de référence théorique, conclure sur cette affinité – fondamentale pour la présentation de la suite de notre travail – en n’en formulant qu’une simple allusion. La visée méthodologique qui doit dès à présent nous animer, pour passer de cet examen théorique à un outil le plus opératoire possible, nous a amenés à en ramasser le propos dans un tableau synoptique (page suivante), rendant compte de façon synthétique – donc immanquablement réductrice parfois – des points d’articulation entre utopie et institution totalitaire ; ce sont tout autant les points communs à l’une et l’autre que les modes de manifestations spécifiques à chacune qui s’y trouvent restitués.

En guise d’ouverture et de transition vers l’analyse du matériel clinique, qui servira la validation / invalidation de nos hypothèses de recherche, insistons sur la posture qui sera la nôtre, étayée sur le travail qui vient d’être présenté : par delà le repérage des manifestations du système utopique dans les M.A.S., et celui des affinités de ces dernières avec l’institution totalitaire, ce sera bien la mise en avant de l’utopie comme mode d’articulation spéculaire entre M.A.S. et Institution Totalitaire qui sera recherchée. Nous avons vu ici la spécificité des caractéristiques de la dimension spatiale et son importance en tant que lieu d’enracinement des projets utopiques et totalitaires. Il importe alors d’examiner ce qu’il en est de ces deux propriétés dans le cas des M.A.S., en s’intéressant à l’architecture qu’on leur a jusqu’ici destinée. Ce travail va faire l’objet de notre prochaine partie, et servira de base à discuter ultérieurement d’une possible application aux M.A.S. du principe de J.Esquirol selon lequel « une maison d’aliénés est un instrument de guérison ; entre les mains d’un médecin habile, c’est l’agent thérapeutique le plus puissant contre les maladies mentales » (1818).

Tableau 1: Comparaison des traits constitutifs de l’utopie et de l’institution totalitaire
DESCRIPTEURS UTOPIE INSTITUTION TOTALITAIRE

Traits
structuraux
Figure spatiale Modéliséé / modélisante Modéliséé / modélisante
Genre textuel Description au présent, figure du narrateur -
Mode de mentalisation Utopique (auteu) Idéologique




Traits
caractéristiques
Contexte et Finalité Vécu de rupture
Instauration d’un ordre nouveau
Désir de normalisation
Instauration d’un ordre nouveau
Angoisses prévalentes Angoisses schizoïdes-paranoïdes
Spatialité Claustration défensive, inclusion réciproque, uniformité
Temporalité An-historique, temps cyclique, répétition, fixité
Organisateur inconscient Imago maternelle archaïque
Vecteur fantasmique : Vie intra-utérine
Matrice archaïque du complexe d’oedipe
Imago maternelle archaïque
Système régulateur Contrôle, résistance au changement,
attaque de la pensée
Contrôle, résistance au changement,
’mortification’
Modalités défensives Archaïques
Processus prévalents Processus primaire;
Système a-conflictuel, principe de plaisir
Processus secondaire
Dimension ontersubjective Négation des différences fondamentales,
lien fusionnel
Différentiation dans le déni d’humanité