6.2.3 Analyse clinique des Echanges

6.2.3.1 Quelques remarques à propos du déroulement de la séance

Bien que l’objet ne soit pas ici l’analyse du fonctionnement d’un groupe, il nous semble important de pointer quelques éléments concernant le déroulement de la séance, du fait de la spécificité du dispositif reposant sur la méthode Photolangage©. En effet, celle-ci, comme dans tout dispositif de groupe, permet que se dise – par la médiation de l’image, et/ou des commentaires suscités – quelque chose de la situation hic et nunc, dans une articulation, plus ou moins consciente, avec le thème dont on explore les représentations.

Tel fut le cas au cours de cette séance, qui s’ouvre par la présentation d’une photo de salle de réunion. D’emblée, la situation du groupe est figurée par l’image, et plus encore par les commentaires qu’elle appelle : on peut se demander dans quelle mesure en effet la fonction de porte-parole critique dévolue ici aux participants, au nom de leurs collègues et des résidents, peut peser sur le démarrage de cette réunion. La question se pose même de savoir s’il s’agira véritablement d’un lieu de parole, et d’échange de cette parole. Au début, rien n’est moins sûr : « ‘Il n’y a pas moyen d’échanger’ ». D’ailleurs, Virginie pointe sur la photo, toutes les places vides de ceux qui ne peuvent – ou qui n’ont pas le droit de – s’exprimer. Juger l’institution n’apparaît-il pas rapidement comme un acte culpablisant, en même temps que dangereux, même à travers sa seule dimension spatiale ? « ‘Toucher à l’architecture, c’est toucher à l’institution ! Donc... c’est très difficile’ », nous dit Hervé, qui se révélera le plus critique à son égard. La difficulté du travail proposé dans le cadre de cette réunion fait là l’objet d’une première mise en mots, bien qu’encore à mots couverts. Pourtant, au fil des échanges, au fur et à mesure que sont pointés aspects positifs et négatifs, et que se trouve facilitée la prise de parole de chacun, la nécessité d’une pensée sur l’espace s’impose peu à peu, au point d’être formulée en ces termes par Virginie, à mon attention, et dans la complicité des rires de tous : «‘ ça mérite bien d’être travaillé ensemble la psychologie et l’architecture ’». Du sentiment culpabilisant présent dans le groupe en début de séance, alors encore préconscient, se dégage peu à peu une représentation valorisante du travail de réflexion critique qui est mené dans l’hic et nunc, susceptible dès lors d’advenir à la conscience.

Or, ce cheminement effectué par les participants et le groupe dans son ensemble a été particulièrement marqué par d’intenses mouvements de fécalisation à l’égard de l’institution. L’intérêt de la méthode Photolangage©, permettant d’atteindre de telles représentations se révèle bien ici, dans le respect des défenses de chacun qu’elle autorise, par la médiation de la photo et par le type de discours porté sur elle. La possibilité de se raccrocher, lors de moments très chargés d’affects négatifs, dépressifs, au versant dénotatif de la photo, pour abaisser le niveau de tension généré par son univers connotatif, n’est pas l’une des moindres qualités du dispositif. C’est notamment le cas, en fin d’échange sur les photos, lorsque l’évocation de Virginie concernant sa propre confrontation à l’intimité des résidents, éveille dans le groupe des connotations sur un versant érotisé, dans la relation soignant-soigné. La dimension sous-jacente, à l’origine du malaise perceptible de Virginie, va jusqu’à l’inclure fantasmatiquement parmi le groupe des résidents, Hervé lui proposant de « ‘venir prendre son bain sur les groupes ’». Poursuivant son commentaire, celle-ci se raccroche alors à une dimension descriptive de l’image : «‘ C’est un bâtiment en travaux, on n’a pas l’impression qu’il y a des cloisons dedans... ’». Face à la question initiale, qui place les participants en position de confrontation directe avec une problématique sensible de l’institution, la médiation par l’image permet ainsi que soient dites des choses difficiles. De même la régulation des échanges, interne au groupe, autour des pôles idéalisation/fécalisation fonctionne bien, dans les moments-charnière de la séance. Citons, pour exemple, le mise en valeur, très renarcissisante pour le groupe et l’institution, de son origine pionnière, avant-gardiste, suite à un passage très critique à son égard : « ‘c’était la M.A.S. la plus visitée, la première de France, ou d’Europe [...]. Les gens [...] nous disaient que c’était une référence... » (Josiane’ ‘).’

Dans cette perspective, on remarque que, même dans les commentaires semblant prendre de la distance par rapport aux représentations évoquées par l’image, les affects restent mobilisés, et qu’il s’agit bien moins d’une fuite en avant sur le versant intellectualisant de la pensée, que d’un cheminement guidé par un fil associatif tissé à partir de la photo et des premiers commentaires qu’elle appelle. Le cas éclairant du très long échange engagé sur le couloir à propos des photos du nid et du couple derrière une fenêtre, présentées par Hervé, en apporte une illustration : un matériel précieux sur la question de l’origine de l’institution a pu être recueilli, mettant en perspective de façon très spécifique le choix des photos qui a été fait et les représentations qui leur sont sous-jacentes.

C’est ce que nous allons voir dès à présent en détail, ces quelques remarques préliminaires nous ayant permis de signaler combien le déroulement de la séance, bien que marqué par des mouvements d’affects assez massifs, a su en juguler les effets mortifères, et permettre que certaines représentations – centrales pour notre recherche – se frayent une voie jusqu’aux niveaux préconscient et conscient... dont les implications latentes n’ont certes pas toutes été entendues et entendables par les participants.