6.3.2.3 Discussion libre de fin de séance : restitution des échanges

Dans ce temps de discussion, au cours duquel chacun peut évoquer d’autres aspects que ceux débattus à partir des photos, ce sont les carences et inadaptations matérielles qui vont essentiellement être pointées.

La question des locaux du personnel est la première abordée : surtout « ‘ne pas faire de bureaux sans fenêtre ! ’», et « ‘penser aux éducateurs’ » ; en effet, leurs bureaux, « ‘ce sont des cagibis’ », « ‘ça fait placard’ ». Jeanne souligne le fait qu’il n’y pas « ‘de lieux différenciés pour le personnel éducatif, qui a parfois besoin de parler en dehors de l’oreille de l’autre ». L’exiguïté de ce bureau en fait un « cabinet noir’ », selon Gabrielle, reprise par Régine : « ‘un cabinet, oui... un noir’ ». « ‘C’est un lieu qui manque de... vie’ », selon Jeanne, et Gabrielle le taxe de « ‘débarras’ ‘!’ ».

Ce mot, qualifiant ici le bureau des éducateurs, va servir d’articulation au propos de Jeanne, qu’elle étend à l’ensemble de l’établissement : ‘« Oui, je veux dire que la M.A.S., en fait, est bien faite pour manger, pour dormir à la limite, mais pour vivre dans une chambre : non ! Pour vivre correctement dans la journée, dans un salon : à peu près... sans avoir besoin d’intimité ! »’

‘« Par contre, pour parler, en tant que professionnels, pour avoir des lieux de parole entre professionnels, pour marquer des différences, pour s’isoler de l’oreille de l’autre... quand on parle d’un résident, c’est difficile ! Ou il faut se mettre dans le noir, pour aller dire quelque chose à propos d’un résident, si on ne veut pas que ce soit entendu par tous les autres... Il n’y a alors que cette salle de réunion’ ». Le fait que celle-ci soit très vitrée, sur le couloir notamment, fait alors dire à Frédérique : « ‘C’est nous qui sommes en aquarium, là, du coup ! C’est bien en vue !’ ». Jeanne continue de passer le bâtiment en revue : « ‘Donc, il n’y a pas de cave, pas de grenier, pas de salon... tous ces petits lieux’ ‘».’ Régine ajoute : « ‘ni de lieu d’accueil !’ », avant que Jeanne ne continue : « ‘Pas de salon, pas de bibliothèque prévue... donc on est dans la confusion des choses ! La bibliothèque, actuellement, est dans la salle de psychomotricité... toutes les choses sont assez confuses, et il y en a certainement d’autres ! ’».

La polyvalence des lieux est fortement critiquée : « ‘on ne peut rien laisser ; on ne peut pas improviser de la vie, là ! C’est difficile, il faut vraiment tout cadrer, tout ranger...’ » ; « ‘Déjà que la pathologie des résidents nous y oblige ! ’», «‘ comme ils sont beaucoup dans la confusion... eh bien, ça ne les aide pas beaucoup ! ’» (Régine). « ‘C’est une polyvalence un peu forcée qui n’est pas souhaitable pour ces gens-là, qui auraient vraiment besoin d’être structurés, de se repérer... et ça ne l’est pas du tout’ », continue Jeanne. « ‘Oui, ils ont besoin de repères comme ceux-là... comme les tout-petits qui démarrent ’». Donnant l’exemple des règles de bonne conduite à table – « ‘à la cuisine, ou à table, on ne joue pas ; le jeu c’est après !’ » –, elle aborde la question de la salle à manger, trop peu cloisonnée, trop bruyante : «‘ il y a des midi où ça se passe très bien, et d’autres midi où c’est cacophonique, où ça galope, tout le monde s’en va et ça part un peu dans tous les sens ! ’», s’exclame Marc. « ‘On retombe dans le problème de la collectivité’ », ajoute-t-il à propos du bruit. « ‘Il y en a même qui ne discriminent pas si ce sont leurs cris, leurs propres cris, ou les cris d’un autre... Et ils se sentent totalement envahis et perdus. Mais, d’un autre côté, on ne peut pas non plus faire des chambres sourdes, avec des murs capitonnés... pour enfermer les gens qui crient ! ».’

‘Un moment de silence interrompt ce long échange et Jeanne’ ‘ intervient pour aborder des questions de méthode : « s’il y avait vraiment une concertation, quand un établissement est créé... oui, avec les gens qui y vivent ! » ; l’approbation est générale. « On voit nettement que la personne qui a fait cela ici, n’a jamais bossé avec ce type de résidents ! C’est une a-ber-ra-tion ! » ; dès lors, les propos fusent : « pire que cela », « un scandale », « toute une histoire », « mieux vaut ne pas en parler », « c’est tabou ! ’». Reprenant l’exemple de la salle de balnéothérapie, Jeanne déplore : « ‘on sait que c’est en train de se reproduire dans d’autres endroits... c’est ça qui est le plus aberrant’ ». « ‘Il n’y a pas que de la méconnaissance,’ constate Régine,‘ il y aussi une histoire de... de pouvoir, d’idées... ’». De nouveau Jeanne reprend la parole, abordant maintenant l’uniformité des locaux. Surprise, à son arrivée à la M.A.S., « ‘par le fait que tous les groupes soient – à une différence de couleur près – habillés par le même mobilier !’ », elle note que cela n’a pas beaucoup changé. Quant aux couleurs, poursuit Régine, ce ne sont pas celles « ‘qu’on trouve habituellement ! Enfin, ce ne sont pas les couleurs institutionnelles... ces beige, ces marron !’ » ajoute-t-elle en affichant une moue qui en dit long. Du mobilier aux couleurs, on en vient à la décoration, elle aussi jugée trop sporadique : « ‘il y a des groupes qui ne sont pas du tout... comment dire ? Personnalisés par le groupe ! On n’a pas l’impression qu’il y a une identification aux lieux’ » (Marc).

Autre point qui est abordé, toujours et encore par Jeanne : « ‘L’accès. Il faut monter ce petit chemin qui est assez incliné ; pour certains résidents qui pourraient être autonomes, c’est impossible ; pour certains parents vieillissants, ça devient vraiment difficile de pousser leur enfant sur leur fauteuil, jusqu’en haut de la maison ; enfin, même pour des personnes qui se déplacent, ce n’est pas simple de monter ! Et ça ne va pas aller en s’améliorant, quand la population va vieillir. Donc, moi, je trouve que c’est une erreur... grotesque !’ ». « ‘Et cette grande montée, qui limite certainement les sorties... on ne met pas n’importe qui dans cette descente’ », ajoute Frédérique, qui continue sous forme de boutade : « ‘il faudrait des tire-fauteuils ! Comme on fait des tire-fesses ! ». « Et surtout, reprend Jeanne, il manque un lieu d’accueil... accueillant ! Avec des coins... un peu intimes, pour la discussion, le lien, à l’entrée ». « C’est vraiment très exigu. Il y a des choses qui se disent entre deux portes, devant tout le monde, alors que cela fait partie de l’intimité du résident’ ». Régine souligne combien cette question semble cruciale, et s’interroge : « ‘je ne sais pas si on pourra, au niveau architectural, penser autrement... à moins de faire une verrue quelque part ! ’».

Après toutes ces critiques, Marc veut envisager les aspects positifs : « ‘Il y a des choses bien, quand même, dans cette maison ! Parce que ça fait longtemps qu’on ne parle que de ce qui ne va pas !’ ». Jeanne nous dit alors qu’elle trouve « ‘intéressant le fait que les services administratifs soient au même niveau et accessibles aux résidents... Tous les résidents, en fauteuil ou valides, peuvent venir frapper à la porte du directeur, du chef de service, du psycho... ce n’est pas un lieu isolé, à part... et à part de la vie ! Ça’ ‘ fait partie de la vie, donc du travail qui se fait ici, du travail de parole. Et ça, c’est bien !’ ». La cuisine de l’établissement se trouve être elle aussi accessible aux résidents. Mais, comme l’explique Régine « ‘ça va se terminer... avec les nouvelles normes d’hygiène un peu draconiennes’ ». « ‘Ce qui est important,’ continue Frédérique, ‘c’est le contact avec les cuisinières, avec les aliments... ça va leur manquer ! Si on leur supprime ça !’ ». C’est sur le constat de cette modification à venir que se tarit la discussion. J’annonce donc la fin de la séance. La réunion s’achève rapidement, le temps qui lui était imparti étant presque fini. Je présente donc succinctement l’état d’avancement de ma recherche, dont les hypothèses et les premiers résultats suscitent manifestement l’intérêt. Nous nous séparons, tous agglutinés devant la porte de la salle de réunion, qu’il faut déverrouiller pour pouvoir en sortir.