6.3.3.1 Déroulement de la séance

a- Le Photolangage© et la situation hic et nunc

Concernant le déroulement de la séance, certaines particularités méritent d’être relevées, quant à la forme des échanges à propos des photos : premièrement, aucune des photos choisies ne l’a été par plusieurs participants en même temps ; deuxièmement, toutes les photos à valeur positive ont été systématiquement présentées en premier par les membres du groupe, fait exceptionnel à l’échelle du corpus, les photos négatives étant majoritairement commentées d’emblée ; troisièmement, les présentations ont été assez parcellaires, certains participants ne présentant pas en bloc leurs deux photos – comme c’est le cas de la plupart des autres groupes, sauf quand il s’agit d’une même photo choisie par plusieurs, ce qui n’est pas le cas ici ; quatrièmement, toutes les photos ont été présentées dans la première partie du temps imparti aux échanges sur les photos, la seconde consistant en une reprise de certaines d’entre-elles soulevant de nouvelles réactions. Chacune de ces particularités tient une place prépondérante dans les échanges, ce que nous nous attacherons à mettre en exergue plus loin.

A ces remarques formelles, il importe d’en ajouter deux autres, relatives au dispositif, et articulant les aspects techniques au contenu des échanges, dont nous avons déjà entrevu des exemples dans la clinique précédante.

D’un côté, on ne peut que constater – et cela n’a rien d’étonnant – la résonance existant entre ce qui se dit à propos du thème abordé en séance, et les aléas de la réunion. L’exemple le plus manifeste nous est donné au début des échanges, avec l’irruption de la résidente dans la salle, qui nous a contraints à nous y enfermer. Jeanne, qui prend la suite des présentations des photos aborde alors la question du « ‘côté contenant de l’architecture’ », perçu comme « ‘enfermant’ », puis plus loin, avec la photo de la nursery, évoque la difficulté « ‘à supporter le manque d’intimité’ ». S’il se dit bien quelque chose d’un point de vue sur le thème suggéré par la consigne, traitant des résidents, on doit bien aussi entendre ce que Jeanne met en mots de cet incident qui a perturbé l’intimité de notre réunion, qui a sidéré aussi le groupe, au point que rien n’a pu être dit à la résidente d’un interdit, d’une règle à respecter... incident qui a reçu pour toute réponse l’acte collectif – les clés passant de main en main – de s’enfermer dans la salle « ‘pour plus de tranquillité’ ». Comme le disait Jeanne à propos des résidents, nous venions de vivre ‘« [une] intrusion, qui [fait] qu’on ne frappe même plus à l’entrée des groupes’ ». Le malaise, à peine masqué par les rires défensifs qui suivent la présentation de Jeanne, trahit bien ce double registre – thématique / contextuel – du discours que permet le dispositif.

D’un autre côté, et dans le prolongement de cette utilisation défensive / élaborative du dispositif, soulignons le double niveau – dénotatif / connotatif – du discours qu’autorise la médiation par l’objet photographique. On peut citer par exemple les interrogations hésitantes de Marc, visiblement mal à l’aise suite aux critiques qu’il a formulées vis-à-vis de la hiérarchie à propos du rapport à l’extérieur (photo du couple derrière la fenêtre). Face à l’angoisse qui le gagne, je lui propose de revenir au registre dénotatif de la photo, en nous décrivant ce qui dans l’image l’amenait à ce constat. Son élocution, auparavant balbutiante et chargée de tension, devient fluide ; conforté par les réactions de ses collègues à son propos descriptif, il peut alors s’engager de nouveau dans un monologue convoquant massivement le registre affectif, en se déployant sereinement sur le versant connotatif ; ce sera l’occasion pour lui d’évoquer son ressenti, aux « ‘premiers jours de son arrivée’ », qu’il qualifie d’ « ‘étrange’ », de « ‘difficile’ », de « ‘bizarre’ ». On peut citer aussi l’autre photo de Marc, représentant un homme dans une turbine géante, à propos de laquelle Jeanne traite de la salle de balnéothérapie avec une charge d’affects très négatifs – l’aspect‘ ’« ‘mortifère’ », le côté « ‘angoissant’ » ; c’est bien parce que l’objet médiateur qu’est la photographie autorise une prise de distance du discours par rapport aux affects éveillés, que peut être convoqué le registre de l’humour, recherchant sa défense non plus dans la seule dénotation mais aussi dans le ton employé pour en renforcer l’efficacité.

Le dispositif mis en place par la méthode Photolangage© a donc permis de dépasser certaines résistances ; et dans ces moments où l’inconscient s’oppose à être révélé, se trouvent très certainement enfouies des représentations clés, nécessaires à la compréhension globale des échanges. C’est sur ce dernier point que l’on souhaite insister : en effet, si nous ne l’avions pas repéré d’emblée, c’est bien une fois notre mode d’analyse linéaire mis en pratique que nous a été révélée la clé de lecture du matériel. Gabrielle, à travers les deux photos qu’elle présente, nous dit d’entrée de jeu comment va se dérouler toute la séance : se calquant sur la difficulté « ‘à pouvoir circuler’ » dans l’établissement, les échanges vont être « ‘obligé[s] de faire sans arrêt des tours, des allées et venues... ’». Le code de déchiffrage revêtait ainsi les atours de l’évidence, livré brut en début de séance... il ne s’agissait plus pour nous que de choisir le meilleur chemin nous permettant d’en suivre les méandres.