6.4.2.3 Discussion libre de fin de séance : restitution des échanges

Au cours de ce deuxième temps d’échanges, je propose au groupe, conformément au dispositif, d’ajouter d’autres commentaires, et particulièrement ceux qui n’auraient pas été faits à partir des photos.

Dominique prend immédiatement la parole : « ‘je pense depuis longtemps aux salles de bain. Je les trouve vraiment trop petites... même depuis les travaux. Et le problème, précise-t-elle, c’est que la salle de bain, c’est un lieu d’intimité ; les groupes sont mixtes, avec des hommes et des femmes sur chaque groupe. Le matin, il n’y a pas beaucoup de place pour faire les toilettes, en respectant la mixité, en les faisant dans de bonnes conditions. Oui, c’est compliqué, l’utilisation des salles de bain’ ». Etonné jusqu’ici de ne pas avoir entendu parlé, au cours de la réunion, de ce problème pourtant récurrent en M.A.S., j’accueille ces propos avec grand intérêt, et d’un regard circulaire, invite les autres à la discussion. Francine continue : « ‘Et puis, il y a un wc juste en face de la douche ! Quand il y a quelqu’un aux toilettes, et un autre qui est douché... ’» ; Dominique l’interrompt pour manifester d’un ton agacé : « ‘voilà, ça ne va pas. Moi, ça m’énerve ces salles de bain !’ ‘Avec deux personnes présentes en même temps... Bon, il ne peut pas y avoir cinquante salles de bain, parce qu’on ne peut pas être présent partout en même temps. Mais il y a quelque chose qui me gêne, même si je fais très peu de toilettes, concède-t-elle, et que je vois ça de l’extérieur’ ». Sur ce problème de fond, se greffent alors des détails évoqués pêle-mêle : le manque de wc, l’absence de fenêtre – « ‘une petite fenêtre dans les wc, ce serait bien !’ » –, le plafond trop bas.

C’est alors Isabelle qui reprend l’idée force des échanges : « ‘Les salles de bain, c’est très utilisé... on y passe une bonne partie du matin’ », « ‘avec tous les soins corporels’ », ajoute Dominique. Francine risque un jeu de mots qui fait sourire ses collègues : « ‘Entre la mise aux toilettes et les toilettes !’ ». On passe alors en revue tout ce qui se déroule en ces lieux, après avoir listé toutes les installations à disposition : « ‘on les utilise un peu pour les toilettes, mais beaucoup pour du thérapeutique, du relationnel, des massages...’ » (Dominique), on désirerait y avoir de « ‘la musique, c’est très important parce qu’on y passe tout le matin’ » (Isabelle). « ‘On passe beaucoup de temps avec eux, c’est bien sympa. Bon, il y a la mise au pot, mais dans la salle de bain, on discute, on y passe du temps ’» (Dominique). On en vient ensuite aux doléances : on y veut des rayonnages, de quoi faire sécher le linge, de la place pour se déplacer et manipuler les équipements ; « ‘il faut qu’elles soient grandes, les salles de bain’ », confirme Dominique ; et Isabelle d’ajouter en écho : «‘ on est vraiment bousculé par rapport à l’espace. Et puis ce sont des adultes ! On ne peut pas les manipuler comme on manipule un enfant. Il faut de la place ’». Ce dernier constat amène le silence, durant quelques instants.

Geneviève continue ensuite, abordant la question du « ‘restaurant’ », de la chaleur qui y règne, de l’ensoleillement trop important : « ‘C’est tout vitré... il y a de grandes baies vitrées... Au niveau du soleil, c’est gênant. C’est bien, c’est lumineux, mais... l’été... problème’ ». Francine enchaîne alors sur le projet de création « ‘de petits chemins, pour se balader autour du centre...’ », ce qui manque actuellement. Ça permettrait aux résidents, dit-on, de « ‘se rencontrer, se croiser’ » (Francine), de « ‘pouvoir faire le tour ’» (Isabelle), de « ‘pouvoir sortir, et ne pas rester enfermé, assis’ » (Francine). On imagine ce cheminement avec une main courante « ‘ce [qui ] serait rassurant’ » : « ‘tout ce qui est barre de maintien, barrière... c’est important, il en faut pour pouvoir se tenir quelque part... ’», me confie Dominique.

L’avant dernier thème qui sera traité, dans le droit fil des échanges sur cet agencement des abords, concerne « ‘la sécurité’ » (Francine). L’évocation du patio sert de transition : « ‘c’est tellement beau, avec cette petite cour intérieure, on est très bien !’ » (Geneviève), « ‘c’est idéal’ » (Isabelle). Les avis sont cependant partagés : Francine déplore de « ‘n’être jamais tranquille... avec la grille, quand elle s’ouvre ou qu’il y a des gens qui l’ouvrent... Alors que tu crois être tranquille, qu’ils sont dehors... un peu ’parqués’ ! ’». Dominique concède qu’ « ‘il faudrait un système de verrouillage systématique’ », de même que pour la galerie, dont la porte n’est pas toujours fermée. Francine en profite alors pour surenchérir : « ‘Il y a des gens qui sont autonomes physiquement, mais qui n’ont pas la notion du danger. Ils sont très vite à la rue ! Et nous, quand on est à la salle de bains, on ne voit pas tout ce qui se passe ’». L’idée sous-jacente ne tarde pas à être formulée plus clairement par Dominique : « ‘C’est vrai que de voir tout ce qui se passe partout, c’est aussi une question ! Faut-il faire des locaux de façon à voir tout ce qui se passe ? Avoir le regard sur ton groupe, où que tu sois... est-ce que c’est bien, est-ce que ce n’est pas bien ? Au niveau sécurité, surtout ’». Cette question occupe le groupe un moment, partagé entre le contrôle de ce qui se passe dans le groupe – « ‘on a toujours un regard’ » – et la nécessité de s’y soustraire pour se centrer sur le travail individuel : « ‘la prise en charge n’est pas de la même de qualité quand tu n’as pas tous les autres sous le regard ! Tu es plus avec la personne’ » (Dominique).

Toutes quatre finissent alors par convenir qu’ « ‘en entendant les bruits, on arrive à savoir qui fait quoi !’ » (Isabelle). La formule de Francine fait florès : « ‘On travaille à l’oreille !’ », puisque comme le dit Dominique, « ‘quand on entend un cri... un bruit, on sait qui c’est’ ». Et Geneviève de conclure, sur le ton de la plaisanterie, déclenchant l’hilarité générale : « ‘quand il y a un gros ’boum !’, on pense que... Mais quand il n’y a plus de bruit, hou là là ! Ce n’est pas bon du tout !’ ».

Invitant une dernière fois le groupe à intervenir, le temps imparti à la réunion s’achevant, c’est Dominique qui me répond, pointant une contradiction : « ‘Eh bien, on pourrait discuter de... il y a quelque chose dont on ne peut pas parler : ce sont les salles d’activité actuelles, puisqu’on ne les a pas encore utilisées’ ». Ayant été l’objet de la toute dernière phase des travaux, elles viennent juste en effet d’être refaites. Seules les salles de balnéothérapie et de psychomotricité sont quelque peu utilisées. C’est de cela dont le groupe va s’entretenir pour finir. Francine nous livre son point de vue : « ‘je trouve que psychomot’ et piscine, c’est tout ouvert... avec seulement un rideau qui sépare ! Certains sont en activité piscine, ils ont besoin de plus ou moins de calme, c’est surtout un bassin de rééducation ; et à côté, ils sont complètement f... ils se défoulent, à fond ! ’». Selon elle, « ‘ce sont deux activités qui ne sont pas compatibles’ ». Plus conciliante, Dominique explique, à partir du cas d’une résidente, qu’elle « ‘sursaute beaucoup, mais qu’en même temps elle entend du bruit, qu’il se passe des choses un petit peu différentes... Au début, je disais que ce n’était pas bien, avoue-t-elle. Et puis maintenant, ça les fait rire... alors, bof, c’est peut-être pas mal ’». Mais Francine demeure sourde à cette idée : « ‘Le rideau... ils passent dessous... Je trouve que c’est difficile de tenir son activité, d’être bien dans son activité’ ». Isabelle se range de son côté, se demandant en effet « ‘s’il n’y a que des avantages ! Il y a bien des gens qui se douchent... et certains sont tentés d’aller voir ce qui se passe à côté’ ». Soutenue, Francine livre le fond de sa pensée : « ‘Oui, et puis c’est surtout qu’il faut mettre le maillot de bain. Ils sont plus ou moins dénudés... il y a ce problème-là aussi ! Problème de bruit. Problème d’intimité ’». Le silence gêné qui suit cette intervention ne m’étonne pas, pas plus que le dernier propos qui va suivre, clôturant la séance, insistant sur la fantasmatique sous-jacente : « ‘Et avec ce problème de bassin... je trouve qu’il est petit, quand même. Pour des adultes. S’ils sont deux dedans, qu’y faire ? C’est vraiment trop juste ! ’».

Le silence s’épaississant, et plus personne ne désirant prendre la parole, je signifie la fin du travail et prend note de l’identité et des fonctions de chacun. Je livre ensuite, dans les grandes lignes, hypothèses et premiers résultats de ma recherche. Le groupe me dit son intérêt quant à la participation à cette réunion de travail, et déplore qu’il n’y en ait pas d’autre de prévue. On me dit attendre avec beaucoup d’impatience un retour concernant ce qui s’est dit en séance. Nous nous séparons enfin, certaines participantes me confiant qu’elles allaient rentrer chez elles, étant venues ou bien restées à la M.A.S., exprès pour la réunion, gage de leur intérêt pour mes travaux.