6.5.3.3 De l’origine dans la mort à la mort dans les murs...

a- La persistance de l’asile : les vestiges du pavillon 13 sous les atours du pavillon 4

Le ton se trouve donné d’emblée : « ‘C’est par cet aspect un peu... aliéné, enfin très fermé, que cette photo m’a interpellé’ », explique Marcel, à propos de la photo du ghetto sur laquelle s’ouvrent les échanges. L’errance des résidents, l’absence de lumière naturelle, la longueur du couloir trouvent un écho particulier à travers cette photo, écho qui fait l’unanimité, formulé par Sylvie : « ‘Eh bien là, le couloir, ça rappelle le cadre hospitalier...’ ». Sous les atours des locaux de la M.A.S. persisterait donc quelque chose d’une réalité hospitalière, aliénante, qui dérange. Cette comparaison s’affirme par l’évocation de l’occupation des couloirs où « ‘dans les services hospitaliers, on passe avec des chariots ’»... alors qu’ici, faute d’espaces accueillants, ce sont des lieux « ‘où les résidents sont amenés à rester, à passer du temps, et ce n’est pas du tout adapté...’ ‘». ’

La prégnance des couloirs en fera, tout au long de la séance, un thème privilégié sur lequel reviendront souvent les participants. D’autres, entre temps, plus circonscrits, mais eux aussi hautement signifiants, émailleront la chaîne associative tissée par le groupe. Il s’agit tout d’abord du poids de la collectivité qui « ‘désindividualise, déshumanise ’» de par son fonctionnement dont les impératifs, au moment des repas, font qu’ « ‘il faut que ça aille : toc ! c’est l’heure, on met la table, on les installe tous, et on mange ! C’est le cadre pur d’une vie en collectivité en institution... ’». Si la photo de la cuisine, présentée par Claudia, amène de tels propos, ils n’en réapparaîtront pas moins en fin de séance, par le biais de Valérie, évoquant le temps des repas : « ‘ça fait réfectoire ’», avec « ‘ces grandes tables, et puis tout ce qu’on imagine derrière ! Le fonctionnement en collectivité, avec : ’on ouvre à telle heure, on ferme à telle heure...’, tout ce côté là’ ». La gestion du temps semble prise ainsi dans les mêmes contraintes : ça fonctionne « ‘au carré !’ » (Marcel), « ‘ça reflète le côté hospitalier’ » (Valérie), « ‘c’est vrai, oui !!! Avec les horaires...’ » (Sylvie). Au cours de la discussion libre, ce sont encore l’aspect normatif et l’équipement réglementaire qui sont pointés, du côté du mobilier : « ‘Ils ont le lit, la table de nuit, et le meuble... hôpital, quoi !’ » ; règlement que l’on dit vouloir transgresser, pour « ‘humaniser... et individualiser’ » la prise en charge.

‘Une telle situation est alors perçue par le groupe comme « liée à la structure hospitalière ». « On est dans des locaux qui ont été fait pour des services hospitaliers. Ce n’étaient pas des lieux de vie’ ‘, ce n’étaient pas des lieux où l’on devait rester... où les gens devaient rester, au départ ». C’est Aline’ ‘ qui se fait porte-parole de ce qui sourd alors à travers les propos du groupe : « ça fait une structure un peu... ...asilaire... ...un peu... non ? ». Le constat de Marcel’ ‘, formulé en réponse à cette question hésitante, apparaît sans équivoque : « les locaux n’ont vraiment pas été construits autour d’une M.A.S. » ! ’

Mais alors, qu’opposer à ces hypothétiques « ‘lieux de vie’ ‘... où l’on devrait [pouvoir] rester’ »... si ce n’est, dans l’imaginaire du groupe, des lieux de mort, des lieux du « ‘départ’ » ? Et par quel chemin entamer ce voyage, si ce n’est par ce couloir, dont on disait plus haut la prégnance dans les échanges ? N’est il pas chargé de symboles ? Couloir de la mort : tout à la fois celui où l’on attend la mort – la peine de mort, réservés aux plus monstrueux des criminels –, et celui que l’on emprunte pour rejoindre l’au-delà. Porte noire donnant accès sur un inconnu effrayant – car éveillant vraisemblablement quelque chose d’un passé douloureux se devant de rester insu –, l’image inaugurale du ghetto, présentée par Marcel, est bien celle de l’asile. Sous les atours du pavillon 4, subsisterait-il quelques vestiges du pavillon 13 ? Infirmier, Marcel, à l’époque de la réunion, ne fait pourtant partie du personnel de Saint-Jean-Bonnefonds que depuis 3 mois. Dans l’architecture de la M.A.S., se trouvraient-ils alors des lieux de résurgence d’un passé lui imprimant tant de force que le regard du novice ne peut y être aveugle ?

Un tel pouvoir semble bien dévolu à ces couloirs sombres et interminables, si présents dans l’imagerie courante de l’asile d’aliénés. La conclusion des échanges, livrée par Valérie, à travers un affect d’effroi très prenant, s’en fait l’illustration : « ‘Alors, nous dit-elle, visiblement mal à l’aise, les yeux rivés sur cette fameuse photo du ghetto’ ‘, il y en a qui vont carrément se mettre au bout du couloir, vers l’ascenseur, c’est l’horreur ! [...] Parfois il y en a qui sont carrément dans le noir... c’est vraiment l’horreur !’ ».