7.2.1.2 La dénégation comme défense contre l’impensable de la M.A.S.

Le moment venu d’examiner les modalités de création des maisons d’accueil spécialisées, le législateur insiste sur deux considérations préalables, dont nous examinerons ici la seconde : « Il existe toute une série de formules d’accueil d’hébergement offertes aux personnes qui souffrent d’un défaut d’autonomie et sont dans une dépendance plus ou moins grande » (ibid., a.421-2, p.12). Fait suite une description de ces structures, dont on disait auparavant le caractère inadapté pour la population considérée. Cependant, cette introduction s’avère nécessaire pour asseoir la tentative de définition des M.A.S., puisqu’il « convient de situer les établissements de l’article 46 par rapport à ces différentes formules » (ibid., a.421-3, p.12).

Et c’est bien ce jeu de comparaison qui seul s’avère possible pour le législateur, dans l’incapacité dans laquelle il se trouve d’imaginer ce lieu impensable. Dans l’article 421-31 de la circulaire (ibid., p. 12), on énonce ainsi que les M.A.S. « ne sont pas des établissements de soins intensifs... », qu’elles « ne se définissent pas a priori par leur équipement technique et sanitaire... », qu’elles « se distinguent des établissements de long séjour pour personnes âgées ». Plus loin, on insiste sur le fait que « les maisons d’accueil spécialisées ne sont pas [...] des Instituts médico-éducatifs, même spécia- lisés... », et qu’elles « ne sont en aucun cas des établissements éducatifs... ». Pour finir, on répète combien « l’article 46 a pour objet de combler une lacune dans la gamme des structures d’accueil pour les personnes handicapées adultes », mais que les M.A.S. « ne doivent ni se substituer ni empiéter sur [...] toutes les autres formules existantes ». Dans cette tentative pour définir ce qu’est une M.A.S., on ne peut que constater l’échec du législateur, qui propose d’elle une description en creux : une M.A.S. est quelque chose qui n’existe pas encore et qui n’est pas tout ce qui existe déjà ! Mais qu’est-elle, alors ? Cela apparaît comme indicible. L’intention initiale, certes louable a priori, de « ne pas enfermer la création des maisons d’accueil spécialisées dans un moule uniforme » et de laisser « la voie ouverte à plusieurs formules », se fait symptôme de ce manque à définir, de cette impossibilité à concevoir l’idée-M.A.S. ; point de mise en représentation par les mots pour la chose-M.A.S. ! Or si le texte fait appel à la forme négative, n’est-on pas en droit d’entendre le processus de dénégation qui lui est sous-jacent ? N’est-on pas en mal de définir la M.A.S., parce que l’idée-M.A.S. n’est pas représentable en tant que telle, ou en tout cas pas réductible à tel ou tel des types d’établissements qu’elle est censée ne pas être ?

Mais le travail de la dénégation nous en dit plus, révélant plus encore le caractère violent de l’imaginaire qui se profile derrière la M.A.S. : pour n’être pas simplement établissement de soins intensifs, ni médico-éducatif, ni d’accueil de long séjour de gériatrie... la M.A.S. n’est-elle pas précisément ni l’un, ni l’autre, mais tous à la fois ? L’impensable de la M.A.S. ne vient-il pas du fait que, pour ne pas dispenser de soins intensifs, y devra être assurée une intensité de soin hors de l’ordinaire... et que n’ayant pas vocation d’établissement éducatif, on devra cependant apprendre, et réapprendre inlassablement, à des sujets incapables d’apprentissage... et qu’enfin, ne se superposant pas à des établissement de long séjour pour personnes âgées, elle doit être (re-)présentée comme établissement d’accueil – pour un séjour indéfini – où la personne, avant d’y être âgée et d’y finir sa vie, y aura été jeune, y ayant parfois commencé sa vie au sortir de l’adolescence ? Le caractère impensable de la M.A.S., lieu d’accueil des handicaps cumulés, viendrait alors d’une même accumulation des fonctions qu’elle recouvre. La M.A.S., pour n’être ni CHS, ni IME, ni établissement de long séjour... est cette figure monstrueuse et hybride qui, comme on l’a vu, affleure dans la dénégation même qui porte sur elle : l’autre du CHS, l’autre de l’IME, l’autre de l’établissement de long séjour, les conjoignant tous sous sa coupe.

Face à cet achoppement à définir l’équipement, on n’est pas étonné du constat qui s’imposait au législateur commandant la superposition, la fusion entre lieu et public accueilli : ce qui les « distingue des autres formules d’accueil social, [ce n’est] que la spécificité de la population » (ibid., a.421-32, p. 13). Se trouve ainsi mis en lumière combien l’irreprésentable du polyhandicap s’est transféré sur une ’irreprésensatibilité’ de son lieu d’accueil ; et surtout comment se manifeste, dans le texte légal fondateur des M.A.S., le travail du négatif : la définition par la négative, en creux, d’un établissement devant remplir le vide laissé dans la gamme des équipements médico-sociaux, recouvre le travail de la dénégation... processus défensif qui seul autorise l’accès dénié à la conscience de la représentation sur le versant intellectualisant de la pensée, car isolant profondément l’affect en refusant le sens impliqué par la représentation convoquée. La M.A.S. ne peut avoir une vocation correspondant à l’un des établissements évoqués... car lieu d’accueil inimaginable de tous les handicaps cumulés, elle devrait se réclamer de toutes !

Comment, dès lors, cacher ce funeste destin, alors que les murs semblent – dans la définition même – appelés à dire si fortement leur parenté avec la population devant y être accueillie ?