7.2.1.3 La création dans l’ancien : pointer l’impensable et s’en défendre

La contradiction déjà pointée plus haut, appelle ici de plus amples développements. Rappelons le double constat introductif du législateur, qui s’en faisait écho : d’une part la spécificité de la structure, d’autre part l’existence d’un patrimoine hospitalier non utilisé. Lors de l’examen des projets, ce constat sera bien entendu exploité, sous la forme de considérations préalables, dont nous allons maintenant examiner la première : « Un double souci parallèle doit inspirer cet examen : répondre aux besoins propres aux catégories de personnes handicapées par l’article 46 ; ne pas négliger les possibilités offertes par le patrimoine médico-social et sanitaire existant » (ibid., a.421-1, p. 12). De la seule formulation, nous pouvons dire deux choses. D’une part, l’oubli du terme ’définies’ qui conduit à la formule des « catégories de personnes handicapées / / par l’article 46 »... acte manqué dont la signification n’échappe pas : l’article 46, dans ce qu’il recèle d’impensé, car confrontant à l’impensable collusion entre lieu et population, ne peut qu’handicaper un peu plus cette dernière, les murs qu’on leur destine leur renvoyant en miroir leur propre réalité impensable. D’autre part, et c’est là le point qui nous occupe ici : le législateur ne peut concevoir ces deux exigences que comme un « double souci parallèle », donc dénué de toute possibilité de voir converger les moyens mis en oeuvre pour les satisfaire. Et c’est bien parce que le ressort de cette considération préalable s’avère paradoxal : comment créer une structure nouvelle, adaptée à une population aux besoins spécifiques, dans des équipements existants dont on critique l’inadaptation dans le même texte ? L’introduction se voulait plus précise que ce que nous en avons dit jusqu’ici : « D’une façon générale, il est de la responsabilité de toutes les parties intéressées de chercher à procéder le plus possible par voie de transformation d’établissements ou parties d’établissements sanitaires ou sociaux ». Face au risque asilaire, le législateur, devançant – défensivement ? – le reproche qui pourrait lui être opposé du fait d’une telle disposition, s’empresse d’ajouter : « il faut veiller à ne pas créer un nouveau type de structures asilaires et fermées [...] alors que les maisons d’accueil spécialisées doivent être des lieux d’accueil ouverts le plus proche possible des familles et de la vie sociale » (ibid., p. 3).

La création de la M.A.S. se place ainsi sous le registre du paradoxe ; donner vie à ce nouveau type d’institution, dans un bâtiment reflétant son identité propre, ne doit être envisagé qu’en dernier recours : « la constitution d’une maison d’accueil spécialisée par utilisation du patrimoine existant sera préférée à une création ex-nihilo » (ibid., a.422-15, p.15). La M.A.S., lieu d’accueil spécifique pour une population spécifique, ne devra être autorisée à afficher sa différence – à la représenter, à se la représenter, à nous la représenter... à nous individus, à nous corps social – que si elle ne peut l’abriter‘ ’– la camoufler ? – derrière les murs d’une autre institution que la société a tant bien que mal réussi à tolérer. On a en effet montré que, désirant « combler une lacune de l’équipement destiné aux adultes handicapés », le législateur propose d’utiliser en priorité le patrimoine médico-social et hospitalier, du fait de « l’existence de moyens importants inutilisés ». On propose aux M.A.S. une voie de création par le biais de l’inutilisé, de l’inutile... des locaux dont les autres structures se sont détournées ou se détournent peu à peu, que toute vie a fuit, devraient accueillir des polyhandicapés, dont on sait que la vie et l’animation sont sous le registre de la grande dépendance et de la précarité. Et bien que « le législateur n’a pas entendu enfermer la création des maisons d’accueil spécialisées dans un moule uniforme sur le plan juridique ni sur le plan technique », il faudra « éviter de créer des bâtiments neufs alors qu’existent des bâtiments inutilisés », mais surtout « l’utilisation de ce patrimoine existant devra respecter tant l’esprit des considérations qui suivent que les conditions précises qui y sont posées » (ibid., a.422 et suiv., p. 14 et suiv., s/n). Et le texte de préciser à la suite nombre de dispositions particulières relatives à la dimension, l’implantation, la configuration des lieux. Paradoxe, donc, auquel souscrit le texte légal pointant, par le même moyen qu’il s’en défend, l’impensable de la M.A.S. : comme ’autre’ spéculaire et cumulatif de toutes les structures existantes, et malgré sa différence décrite comme radicale – il lui faut réinvestir l’espace du CHS ou de l’IME, pour y taire – dans les mêmes limites suturantes – la violence décuplée de l’imaginaire qui l’habite. Voilà pourquoi il est proposé aux M.A.S. de trouver prioritairement leur espace dans le patrimoine existant, offrant en lieu et place du changement revendiqué, une position qui ne fait que donner le change.

Le sort réservé à la dimension architecturale, dans ce contexte, apparaît révélatrice de cette position adoptée par le législateur.