Quatrième Partie
Discussion des Hypothèses et Elaboration Théorique

8. Discussion de l’Hypothèse Principale

8.1 Préliminaire méthodologique

‘« Ce n’est pas le handicap qui est différence. Il est miroir et mêmeté. La différence est là, dans cette ouverture potentielle que la personne handicapée peut utiliser pour révéler que similitude et divergence ne sont pas là où elles sont attendues ou perçues. Le handicap (se) laisse conduire sur le terrain de l’illusion, voire du leurre et de la fausse représentation ; d’où le nécessaire travail de déreprésentation » (Morvan J.S., 1997, p. 219).’

C’est dans une perspective toute proche, le lecteur l’aura compris, que se situe notre ambition : dénoncer l’imposture qui conduit, face au traumatisme que génère la confrontation au handicap, à faire de l’architecture des M.A.S. le lieu d’accueil d’une représentation erronée de la personne handicapée ; donner à voir, à partir de l’imaginaire qui colmate cette impossible car violente représentation de la réalité du handicap, l’origine de cette élection de la dimension matérielle de l’institution comme terra incognita vers laquelle expatrier l’impensable en nous. Au point où nous voici rendu de notre travail d’écriture, c’est bien entendu par la mise en discussion de notre hypothèse principale de recherche qu’il nous incombe d’amorcer cette levée du voile que préconise J.S.Morvan.

Ce travail de validation de notre édifice conjectural, qui, rappelons-le, adjoignait quatre sous-hypothèses à notre hypothèse principale, se fera ici de façon résolument transversale. En effet, comme nous l’avons exposé dans la partie réservée à notre méthodologie, la valeur des conclusions auxquelles nous allons aboutir ne saurait être indépendante du croisement des résultats que nos analyses nous ont permis d’obtenir à partir de divers matériels :

  • de façon centrale, les quatre cas cliniques des groupes Photolangage©, et de façon connexe, les résultats livrés par l’analyse architecturale des bâtiments, dont on recherchera pour chacun les éléments validant ou invalidant les hypothèses ;

  • de façon complémentaire, les cliniques d’appui – entretiens des directeurs, textes législatifs et associatifs, projet idéal - dont on attend la valeur corroborante ou contradictoire des précédents résultats, évitant du coup qu’une hypothèse apparaisse validée du fait d’un effet pervers du dispositif Photolangage© (notamment à travers la consigne et les photos proposées au groupe).

L’importance, pour nous, d’avoir opéré – en première lecture en quelque sorte – une analyse au plus près de la clinique, en nous dédouanant des exigences de validation des hypothèses, permettra au lecteur, nous l’espérons, d’excuser l’immanquable reprise qu’une telle posture méthodologique nécessitera ici. A cet égard, il n’est pas douteux que les retombées épistémologiques de ce choix le justifient assez : ce premier travail nous a permis en effet de capter dans le matériel tout ce qui y était à écouter sans être précédé par les hypothèses, bien souvent réductrices par rapport à la richesse d’un matériel clinique ; ainsi, cela nous a offert l’opportunité d’aller plus avant dans une lecture interne du matériel, pouvant être mise à profit maintenant dans une reprise croisée, dans une restructuration transversale du matériel commandée par les hypothèses ; pourra ainsi apparaître ce qui se révèle commun aux institutions considérées, ou caractéristique de certaines d’entre elles seulement, de même pourront émerger des éléments nouveaux que seule l’articulation ou l’écart entre les cas étudiés peut révéler.

Dans ce travail, l’articulation avec le cadre de référence théorique présenté en amont sera, on s’en doute, déterminante. Rappelons à cet effet le recours que nous aurons à la grille analytique comparative, entre utopie et institution totalitaire. A cette croisée, nous entendons en effet entreprendre la mise en travail du matériel par les hypothèses, et tout d’abord, par notre hypothèse principale, selon laquelle l’architecture des M.A.S. projetée (et réalisée) par le groupe instituant constituerait un lieu d’accueil, de fixation et de figuration, d’une part de ce que recèle d’impensable et d’irreprésentable le polyhandicap, et d’autre part, des défenses mises en place pour maintenir cette fixation et lutter contre le retour du refoulé ... double mouvement dans lequel l’utopie jouerait un rôle déterminant.

Valider cette hypothèse suppose tout d’abord que soient identifiées les caractéristiques propres au complexe utopique tel que nous l’avons déterminé, vu la place et la fonction centrales que nous lui attribuons. Cela demande que se trouvent reliées certaines d’entre elles, d’une part à des critères architecturaux clairement identifiables, et d’autre part à des effets de l’inconscient mis en avant dans la clinique. Ce travail requiert ensuite que soit explicité ce mouvement par lequel une telle articulation entre réalité psychique et réalité matérielle s’avère envisageable, et en quoi l’utopie s’avère électivement convoquée pour remplir ce rôle.

La discussion de notre hypothèse principale, au vu des exigences que nous venons de formuler, nous pousse à proposer à notre lecteur de nous suivre dans la Bresse, pour asseoir prioritairement notre propos sur la mise en relation de deux institutions relevant d’un même commanditaire, l’ADAPEI de l’Ain : la M.A.S. Montplaisant et la M.A.S. des Montaines. Ces deux institutions nous livrent en effet un exemple particulièrement saisissant de l’omniprésence – saturante et suturante – de l’utopie dans le rôle que nous entendons montrer ici. Ponctuellement, nous ferons appel à la clinique des entretiens, pour donner l’éclairage nécessaire à la compréhension de l’articulation qui unit ces deux institutions.