8.2.2.1 La naissance de la M.A.S. des Montaines : chronique d’une mort annoncée

a- L’origine de l’origine des Montaines : la naissance handicapée de Montplaisant

Si l’on considère le lien puissant existant entre les deux institutions, s’interroger sur l’origine du projet des Montaines devait tout naturellement nous amener à questionner celle de son aînée, ce qui, le lecteur s’en rendra compte, n’est pas sans intérêt. Pour cela, penchons-nous une nouvelle fois sur ce petit fascicule : Premier jour à Charmetant, dans lequel M.O.Ailane David (1991) nous conte les premières heures de la M.A.S. Montplaisant relatant – de son statut de psychologue dans cet établissement –, sous les atours de la nouvelle, ce que l’on peut à juste titre considérer comme une véritable anamnèse. Pour légitimer notre recherche sur cette question de l’origine, elle nous fournit cette précision : dans son texte « il s’agit plutôt de la mise en évidence d’un état émotionnel particulier dont les effets pourraient être après-coup à l’origine de certains aspects positifs ou non du fonctionnement du Foyer » (op. cit., p. 5).

A la lecture de son minutieux travail de reconstitution, on ne peut qu’être frappé par la conjonction d’événements qui vint scander la naissance de la maison d’accueil. D’emblée, « la pose de la première pierre » a bien failli marquer la M.A.S. par un inachèvement inaugural : le jour même « l’annonce apocalyptique de l’impossible seconde pierre » par le Préfet, pessimiste face au contexte de l’époque quant à l’aboutissement du projet, devait frapper les esprits de l’image d’une gestation et d’une construction difficile, peut-être inachevée ou inachevable.

Conjonction d’événements, disions-nous ? En effet, à ce premier incident qui touchait déjà dans leur édification les murs de l’institution, devait se surajouter d’importants retards dans les travaux :‘ ’« initialement prévue pour l’année 1977 la construction a dû être repoussée au début de l’année suivante en raison d’un hiver rigoureux et de l’inondation du terrain »... on avait « alors adopté un dispositif permanent de pompage vidant l’eau qui s’accumulait dans les vide-sanitaires » (ibid., p. 22). Aucune interprétation ne sera nécessaire pour éclairer l’importance de ce phénomène et de ce choix dans ce qu’il devait fonder du lien entre les deux institutions : l’auteur s’en charge pour nous. « Rien n’apparaissait à première vue de l’aspect artificiel du fonctionnement continuel des pompes à eau, nous dit-elle. Mais à partir de son aménagement, la maison serait toujours dépendante de l’assistance évacuante des pompes évitant que l’édifice ne s’enfonce sous le poids de l’eau accumulée » (ibid., pp. 22-23). Comment mieux dire le refoulement du handicap originaire qui touche l’histoire de cette maison pour handicapés, dans ce qui aurait dû être son socle le plus solide et le plus pérenne : son architecture ? D’ailleurs, à aucun moment, que se soit au cours de nos multiples entretiens avec le directeur, lors de la visite – sous-sol compris – de la M.A.S., ni même dans la réunion de recherche, cet aspect de la naissance de Montplaisant ne nous sera rapporté. Importants retards de travaux, donc : la M.A.S. devait ainsi ouvrir dans des locaux inachevés, des « changements inopinés et in-extremis [donnant] l’impression de déroute, d’ouverture immaîtrisée » (ibid., p. 56). De plus, les décrets d’application de la loi d’orientation de 1975 n’ayant pas encore paru, « le foyer ouvrait ses portes sans cadre juridique véritable » (ibid., p. 38), et son inauguration n’aura lieu que l’année suivante.

Née dans la violence et mise au monde inachevée et mal formée, la M.A.S. Montplaisant semble donc avoir porté, dès l’origine, les stigmates de ses futurs résidents. Bien plus, c’est un directeur‘ ’« souffrant encore de sa hanche blessée [dans un accident], s’aidant d’une canne pour marcher » (ibid., p. 22) qui en assurera l’ouverture, accueillant les nouveaux occupants. Que de renvois en miroir dans cette origine douloureuse de la M.A.S. ; aussi, non reconnue par la loi, sa mise au monde sociale – son inauguration – n’aura pas lieu. Notre historienne nous dira, dans un double lapsus révélateur, que « neuf mois plus tard, le 8 juin 1978, le foyer pouvait être inauguré : [... il] avait survécu à ses premières heures difficiles » (ibid., p. 72, s/n). Ce n’est en fait que près de 11 mois plus tard qu’aura lieu cette reconnais-sance et cet accueil dans le monde social de la M.A.S. , non pas en 1978, année de son ouverture, mais en 1979. Que dire de ce déplacement du 9, de l’année d’inauguration vers la durée de sa première expérience de la vie, si ce n’est qu’il replace inconsciemment toutes les défaillances originelles dans l’ordre de la normalité : sa mise au monde officielle s’en trouve rapportée au moment de son ouverture réelle ; par-là, la grossesse extra-utérine permettant son achèvement – 1978-79 – depuis l’ouverture s’en trouve annulée et son aberrante durée de gestation de 11 mois, rabaissée à 9. Dans ce lapsus, l’auteur nous dit tout le travail de l’inconscient qui, dans la mise en oeuvre du processus de refoulement de son origine ratée, permet à l’institution de réintégrer le monde de la normalité, voire même plus : « La première Maison d’Accueil de France était née, qui servirait de modèle à d’autres constructions » (ibid., p. 72).

Que dire, dès lors, de l’origine des Montaines par rapport à cette origine de Montplaisant ? Tout d’abord, que de troublantes analogies sont à pointer : le directeur, lors de l’entretien, nous confiera à propos de son ouverture, « que le bâtiment a été achevé fin août 1995. Son ouverture officieuse à eu lieu le 16 août et son ouverture officielle le 2 septembre. Mais il n’y a même pas eu de visite de conformité avant l’ouverture » ; à la date de notre rencontre, fin 1997, « la M.A.S. n’était toujours pas inaugurée ». Non reconnue à la naissance, ouverte avant d’être achevée, échappant au constat de sa normalité, de sa « conformité », la M.A.S. des Montaines, ne reproduit-elle pas un schéma bien connu ? Mais plus encore, de l’origine handicapée et handicapante de Montplaisant, enlisée dans ses marais, y risquant en permanence l’engloutissement, appareillée et assistée dès lors dans son architecture comme le sont au quotidien ses résidents, ne peut-on pas voir de résurgence dans l’acte de naissance des Montaines ? N’est-ce pas en effet sous la menace de cette épée de Damoclès que l’association se battra pour jucher son nouvel établissement au sommet d’une colline, située en zone non-constructible, obtenant ’contre vents et marées’ son déclassement ?

Signalons au lecteur la puissance suggestive de l’expression choisie ici, quand bien même il aurait déjà noté la même symbolique maritime que celle de la clinique du groupe de recherche. En effet, au décours de notre réflexion, c’est dans un lapsus que cette expression à trouvé sa première formu- lation : « contre monts et marées ». Le doute nous conduisit à en rechercher l’exact libellé, et par la même à en questionner le lapsus. Il n’est pas anodin alors que la confusion avec une autre expression :‘ ’ « promettre monts et merveilles » soit venue donner sens à ce que nous cherchions à formuler : suite à l’expérience de Montplaisant, Les Montaines, « institution phare de l’an 2000 », cette merveille, devait bien être construite sur un mont, pour échapper à un engloutissement certain, et se mettre à l’abri de l’assaut des vents et des marées ! Déjà ici se trouverait contenue, à partir de nos associations, quelque chose d’une communauté d’imaginaire avec cette dynamique des fluides, qui mettait en jeu abysses et moulin, dont le groupe nous livrait les images au cours de la réunion. En contrepoint de cet aparté, on soulignera d’ailleurs dans cette question de la localisation, le paradoxe de Montplaisant d’avoir été bâtie dans une zone inondable, pourtant reconnue constructible, et des Montaines d’être construite sur une colline, de fait non-inondable, mais bel et bien déclarée non-constructible...‘ ’

L’origine de l’origine des Montaines : une institution handicapée sous le coup d’un perpétuel danger d’engloutissement. Mais, face à l’oeuvre du refoulement marquant les commencements de Montplaisant, effet que nous avons montré plus haut, cette noyade fantasmée suffirait-elle à incruster dans l’architecture de sa cadette tous les effets mortifères que l’on voudrait lui attribuer ?