9.1.1.3 Synthèse provisoire : Les soignants dans la crainte (du désir) de la répétition

Au terme de l’examen de cette première sous-hypothèse, nous pouvons formuler quelques résultats qui en révèlent le bien-fondé. En effet, il nous a été donné de voir comment, par le biais du dispositif architectural, et notamment dans le cas des M.A.S. de Saint-Jean-Bonnefonds et – en appui sur ce qui a été dit au précédent chapitre – de Montplaisant et des Montaines, la place de la mort venait resurgir au quotidien, générant un vécu intense de souffrance. On en retrouve trace dans les entretiens et les échanges groupaux à travers l’imaginaire ; mais on perçoit aussi celle du traumatisme, dans les effets de rupture du discours, des coup d’arrêts devant l’irrecevable, l’indicible, dans l’émotion qui submerge et la sidération qui annihile toute pensée, dans le ton, les silences ou les répétitions, ainsi que dans la communication infra-verbale. De même, la clinique nous a permis de voir que, dans certaines situations, le dispositif spatial pouvait être utilisé de façon défensive contre le débordement pulsionnel lié à la prise en charge des personnes handicapées, en appui sur ce qui semble y avoir été incrusté dès l’origine‘ ’ – problématique liée à l’intimité et aux différences fondamentales. En ce sens, les deux propositions de notre hypothèse se trouvent confirmées.

Au coeur de cette problématique du retour du refoulé, le désir inconscient de meurtre du soignant à l’égard du résident, dans ce que la relation thérapeutique fait vivre de violent, a été à cette occasion mis en avant. Et c’est bien la place centrale tenue, semble-t-il, par ce qui a été refoulé originairement par les fondateurs, qui pose question, au regard d’une véritable injonction à la répétition. Les soignants se trouveraient ainsi mis dans la position de craindre, tout en la renouvelant, la répétition de ce qui a originé l’institution, mais aussi dans celle de redouter l’émergence de leur propre désir de voir se répéter l’origine terrifiante : véritable crainte (du désir) de la répétition...

Cependant, si l’on peut effectivement repérer l’existence d’un double destin de ce qui constituerait le refoulé originaire, dans les effets de souffrance mais aussi d’appui défensif qu’il amène, notre clinique montre qu’il nous faut moduler notre énoncé : c’est parfois un événement réel actuel‘ ’– Saint-Jean-Bonnefonds – qui, venant faire écho à un passé enfoui, génère le vécu de souffrance – dont on ne peut savoir si, en l’absence de cet événement second, le refoulé originaire aurait eut un tel avenir ; mais ce peut être aussi un ébranlement récent du socle spatial qui ’libère’ le refoulé et provoque la remise en question de l’organisation inconsciente des liens institués, sous le coup d’une situation surdéterminée – comme la venue de nouveaux patients, aux Quatre-Vents.

Ainsi, l’effet de retour que nous supposions au départ semble peut-être moins relever d’une transmission unilatérale traumatique, que d’une mise en résonance fantasmatique (Anzieu D., 1981), quand bien même l’architecture des fondateurs s’en ferait un puissant évocateur.

Sous cet éclairage, si la sous-hypothèse ici discutée semble validée dans ce qu’elle permettait de mettre en travail, certains éléments de la clinique ont révélé des points qu’elle ne prenait pas suffisamment en considération pour rendre compte de cet effet de retour, dans toute sa complexité. Nous proposons donc d’en reformuler le libellé, sous la forme assertive que nous autorise maintenant l’examen auquel nous venons de nous livrer ici :

Dans le travail de prise en charge quotidien des personnes handicapées, le destin de productions inconscientes émanant de l’origine – dont on suppose la nature de refoulé originaire –, incrustées dans la dimension matérielle de l’institution, est repérable selon deux axes privilégiés :

Pour réouvrir le champ de la discussion, on rappellera la présence organisatrice de l’imago maternelle propre à l’utopie, ainsi qu’un déséquilibre profond entre ses deux pôles, laissant à celui de la destructivité une place prépondérante. Suivant P.Fustier (1999) dans ce qu’il reconnaît comme objectif suprême au projet utopique : recouvrer la béatitude première du sentiment océanique, l’omniprésence de la mort par noyade ne peut que nous incliner à voir émerger dans ces M.A.S., par le biais de l’architecture, ce qui en serait le pendant : une angoisse océanique, celle d’être englouti à jamais dans la matrice maternelle... en lieu et place d’y baigner dans une félicité éternelle.

En quoi le projet utopique premier aurait-il achoppé, mais surtout comment l’architecture a-t-elle pu se trouvée dépositaire d’un tel renversement ? Celle-ci, à défaut d’être suffisamment bonne, semble trop défaillante. Ce travail de discussion de notre hypothèse montre ainsi qu’au regard de la clinique et de l’analyse architecturale, les résultats posent encore question... cette insatisfaction nous oblige alors à aller plus loin dans le travail d’interrogation de ces effets, dans leur origine.

Cela concerne notamment la nature de refoulé originaire et son contenu – dont nous faisons l’hypothèse qu’il s’agit du désir inconscient de meurtre – et surtout la place prépondérante prise par la dimension matérielle pour en assurer la fixation, dans le lien qui semble s’opérer par delà le temps, entre fondateurs et soignants. C’est donc sur ce point que nous allons maintenant nous arrêter.