9.1.2.2 Dans l’architecture : quels rapports psychique / matériel ?

a- Surdétermination du spatial comme origine de l’incrustation

Revolat : un vent de folie souffle dans la M.A.S. : Dans cette institution, nous dit le directeur, la « stabilité de chaque unité c’est le pôle hébergement : repos, repas et équipe de prise en charge... dans cet espace il y a toujours continuité dans le temps ». « Le repère, c’est l’unité ». Mais de cette trop grande stabilité, on voudrait bien se départir : « il faudrait pouvoir changer les choses : les locaux, l’affectation des lieux, le papier peint... ». L’expérience, dit-il, a été faite, ce qui est pour nous très instructif : « Le problème, c’est parfois la routine dans le travail, dans les actes quotidiens répétés : mais l’équipe est trop dans le quotidien, c’est difficile alors d’envisager le devenir dans le murs ». « Alors, il y a eu une tentative de changement de repère de l’espace – avec l’unité – à un repère dans le temps – les activités, le fonctionnement des équipes : ça a fait souffler un vent de folie sur la maison ; le personnel était en perte complète d’identité et les résidents étaient complètement désorientés. Il y a eu un retour rapide de l’organisation du travail sur l’unité ». Il semble donc bien que la dimension spatiale fournisse un puissant ancrage de l’organisation de la vie, mais aussi des activités et du projet institutionnel, la dimension temporelle dévitalisée par le projet utopien, et fixée dans son socle spatial, ne semblant pas pouvoir rivaliser avec elle. Cet événement, propre à la M.A.S. de Revolat n’est pas le seul à nous conforter dans ce constat ; d’autres institutions en ont fait l’expérience... est-il besoin de rappeler le cas de la M.A.S. des Quatre-Vents ?

Le modèle de P.Fustier appliqué aux M.A.S. : En reprenant le modèle tripartite proposé par P.Fustier (1987), qui donne une lecture de l’institution en trois niveaux : superstructure, infrastructure imaginaire et zone intermédiaire idéologico-théorique, il semble que nous pouvons accéder à une compréhension du rôle imparti à l’architecture, dans la surdétermination dont elle fait l’objet. Il semble, selon ce qu’en propose l’auteur, que l’on puisse ranger principalement la dimension architecturale du côté de la superstructure, « étage du fonctionnement de l’institution [...] repérable à partir de ses caractéristiques formelles, de son organisation, des gestes techniques, du profil et des comportements professionnels de ses membres » (Fustier P., 1987, p. 131). S’il ne fait pas nommément référence aux locaux ou caractéristiques matérielles – formelles ? – de l’institution dans la présentation de cette ’couche supérieure’, des exemples sont donnés plus loin dans son développement, de leur importance comme « signifiants particuliers » (ibid., p. 143) de l’organisation inconsciente de l’institution. Celle-ci, en effet, est en lien avec le niveau de superstructure, en ce qu’elle est constituée principalement « des imagos ou des fantasmes, [qui] agissent ’par en dessous’ sur la vie institutionnelle. [Ces productions inconscientes] infléchissent les tâches à remplir » (ibid., p. 131).

Le lien existant entre architecture indifférenciée et imago maternelle archaïque, de même qu’entre regain d’intimité dans l’espace et fantasmatique de scène primitive pour le cas précis des Quatre-Vents, tendrait à nous y faire reconnaître la correspondance établie par le modèle de P.Fustier. Pour compléter celui-ci, l’auteur explicite ce qu’il en est de la zone intermédiaire, qui l’est à l’intérieur de l’institution entre super- et infrastructure, mais surtout du fait qu’elle « met en lien l’intérieur institutionnel et les référents, dans l’instant disponibles, sur le marché social » (ibid., p. 132). P.Fustier note bien que ces référents ne sont pas ’absorbés’ tels quels, mais remaniés à partir du registre imaginaire propre à l’institution. Cet infléchissement, nous aurons l’occasion de le voir lors de la discussion de la prochaine sous-hypothèse, peut être décelé dans le cas des M.A.S. : fondées sur le projet d’être l’antithèse de l’hôpital psychiatrique, celui-ci ne s’est-il pas trouvé dévoyé du fait de ses soubassements utopiques ?

On entrevoit ici comment, dans le cas qui est le nôtre, la surdétermination de la dimension architecturale peut ainsi prendre une place considérable dans l’organisation institutionnelle, d’autant plus si le registre idéologico-théorique travaille du côté de l’utopie, pour les lier plus puissamment encore, et faire de l’architecture l’écho des contenus psychiques inconscients qui la sous-tendent, parfois « en deçà du rationnel de l’objectif poursuivi », comme le note justement l’auteur. C’est de cet ’en deçà du rationnel’, et ’d’un au-delà de tout objectivité’ que nous allons traiter, cet éclairage étant donné, pour saisir la particularité des liens unissant ici contenus psychiques sous-jacents et caractéristiques architecturales.