9.1.2.3 Synthèse provisoire : Une mise en scène du refoulé et des défenses

A l’issue de notre travail de discussion de cette sous-hypothèse relative à la place tenue par la dimension matérielle dans le legs opéré des fondateurs aux soignants, on ne peut que conclure à sa valeur réellement surdéterminée, et à sa fonction de mise en scène d’un refoulé venu des origines et des défenses qui en sont corollaires.

En effet, l’appui trouvé sur les résultats de l’analyse architecturale nous a permis de voir que, si l’imaginaire des soignants trouve à s’étayer sur certaines caractéristiques de l’espace matériel, celles-ci sont déjà porteuses de ’signes’ qui préexistent à la fantasmatique qu’elles appellent aujourd’hui dans la prise en charge. En cela, les résultats dégagés lors de l’examen de la précédente sous-hypothèse se trouvent confirmés, et la place centrale de l’architecture, postulée jusqu’ici, validée.

La question de l’histoire et de la temporalité, nous l’avons vu, se pose de façon toute particulière dans les M.A.S., ce qui confère à la dimension spatiale le rôle d’un appui quasi-exclusif de l’activité de prise en charge, ce qui ne va pas sans poser problème, dès lors que les modalités d’organisation inconsciente des liens institués ne sont plus congruentes avec les ’signifiants symboliques’ portés par le dispositif architectural. A cet égard, ce dernier est bien là encore à envisager dans le terrain de rencontre qu’il offre aux fondateurs et usagers, en tant que lieu de fixation inaugurale pour les uns, mais aussi en tant que support actuel pour les autres, de productions inconscientes.

Au fil de notre travail, la discussion de cette fonction de l’architectural, dans la confrontation à la clinique, nous a permis d’en préciser tout à la fois les termes et les contenus électifs. Reformulons donc l’énoncé de notre hypothèse de départ :

Face à la souffrance qu’impose la reconnaissance de la réalité du handicap sur l’axe temporel – sur les registres de la répétition, de la régression, des différences fondamentales – les M.A.S. figurent le recours originellement opéré au mode de suture du temps que propose l’utopie dans et par l’espace, contre l’histoire et le temps linéaire... posture face à la question de la temporalité autour de laquelle se rencontrent imaginaire des fondateurs et imaginaire des soignants.

La surdétermination de la dimension spatiale, qui en découle, a fait de l’architecture le lieu d’accueil et de fixation de modalités défensives mises en jeu contre la rencontre traumatique avec le polyhandicap... susceptibles d’être réutilisées par les soignants.

Dans cette voie, des caractéristiques privilégiées de l’architecture des M.A.S. font de celle-ci un lieu de figuration des contenus inconscients qui s’y trouvent incrustés :

Tous ces éléments qui concourent à valider notre hypothèse, révèlent en outre l’inadéquation des dispositifs et équipements à la réalité de la prise en charge des résidents... ce qui ne peut que nous amener à nous interroger sur ce qui se trouve plus en amont du processus, et que nous n’avons pas encore discuté jusqu’ici. Dans cette condamnation à maintenir, voire accroître le handicap, ne pourrait-on reconnaître une manifestation du désir de meurtre à l’égard du handicapé ? Mais, ce qui frappe plus encore, c’est, par delà la diversité des contextes historiques, institutionnels, géographiques, etc., l’existence d’une très forte stéréotypie dans les modes de défense rencontrés et le lieu de leur incrustation, et surtout les résistances qui se dressent face au changement – ce que révèle bien le cas de la M.A.S des Quatre-Vents. Les groupes nous l’ont assez fait remarquer : on s’interroge sur le fait qu’on n’a pas, à l’origine, « trouvé de solution » aux problèmes spécifiques à l’accueil de personnes handicapées très dépendantes... on ne comprend pas qu’on n’ait pas fait oeuvre d’un peu plus « d’imagination » (Montplaisant). Cela signerait-il, dans une M.A.S. que l’on a voulu fonder contre la répétition, la marque de ce même processus, qui ferait échapper ce type d’institution à toute possibilité de naître sur le registre de l’unique, du différent, du changement ? Que se reproduit-il dès lors dans cette architecture issue de l’imaginaire apparemment figé du groupe instituant ?

Après avoir, par le biais de cette sous-hypothèse, abordé la question de la place centrale occupée par l’architecture en regard de la souffrance psychique constatée lors de l’examen de la précédente, il nous faut donc quitter le terrain de l’actuel, du quotidien des M.A.S., pour remonter dans le temps et questionner, pour tenter d’en restituer les principaux fondements, ce que serait la légende de la fondation... ce sur quoi les groupes, nous l’avons vu, achoppent douloureusement parfois.

Après ces deux hypothèses, basées sur l’observation clinique et architecturale, s’impose alors à nous d’entrer dans un univers plus conjectural dans lequel on sera susceptible, derrière les éléments mis à jour jusqu’ici, de rencontrer des fondements relevant de l’origine.

Un constat, fait par Geneviève, peut nous servir de point de départ dans ce parcours : « il y a toujours beaucoup de contradictions à assumer... on est entre la vie et la mort, quelque part... entre le solide et le fragile, le durable et l’éphémère. C’est toujours comme cela : on a l’impression que c’est solide, et des fois on a l’impression que ça nous file entre les mains... ». Face à tant de paradoxes, l’utopie avait le devoir d’en offrir un terrain de résolution. Comment se fait-il alors qu’un tel projet ait avorté ?