9.1.3.3 La M.A.S. : une utopie ratée, orpheline de ses mots

a Des institutions sans projet d’établissement

Que nous disent personnel et directeurs : « Le projet d’établissement est très succinct, il n’a jamais été écrit », ou encore : « le projet n’est pas écrit, il est connu, tacitement ». Parfois, on nous signale que « le projet d’établissement n’a pas été fait avant le projet architectural... ce qui explique peut-être que la ’boutique’ soit aussi obsolète ».

Dans certains cas, « le projet tient en deux pages et un mot : le maternage. Autant dire qu’il n’existe pas. Ça reflète le problème de la maison : tout est éclaté. Il n’y a rien qui rassemble ». On essaye alors aujourd’hui d’y travailler : « sa construction est en cours, c’est une tâche difficile. Le maître-mot que l’on a, c’est : ’lien’. Il faut créer du lien car on n’a pas d’espace de réflexion ni d’échange. Peu à peu, il y a un nouveau lieu : celui de la création du projet d’établissement, pour commencer à donner du sens à ce qui se passe ici ». Comment mieux dire que, dans une M.A.S. fondée sans projet d’établissement, où toute capacité de pensée se trouve obturée, mettre des mots sur ce que l’on vit, mettre du sens sur ce que l’on fait, participe d’un travail d’élaboration ? Créer du lien, là où un travail psychique a fait défaut à l’origine... mais aussi créer un nouveau lieu, pour qu’un tel travail soit possible... tels sont les conditions d’un travail d’intégration dans la psyché de ce qui reste impensable depuis l’origine. Dans ce nouveau lieu appelé à faire lien, n’est-on pas en droit de voir la métaphore du préconscient, dont on souhaite le redéploiement ?

Au fil de notre précédent développement, nous avons fait l’hypothèse de l’omniprésence de l’image magmatique – au sens d’une matière fusionnant différents matériaux provenant des profondeurs sous l’effet d’une pression très élevée – attachée au handicapé, comme étant à l’origine de la M.A.S., initiatrice de l’irruption d’un fantasme dans la réalité venant s’y figer ’dans le béton’. Le propos d’un directeur nous permet d’appuyer cette idée, au regard de cette absence du projet d’établissement. Ecoutons ce qu’il nous dit : « le handicapé ne doit pas être mis au centre de l’institution : le centre, c’est le projet... c’est comme pour la roue : il faut que le moyeu de la roue ne bouge pas pour que la roue tourne ». Ce directeur ne nous dit-il pas en substance que, pour que la M.A.S. vive, fonctionne, ’tourne’, elle doit trouver son point d’ancrage dans le projet ? Si celui-ci fait défaut, l’ensemble vacille ou se bloque. Pire encore : le handicapé, mis en lieu et place du projet d’établissement ne peut qu’imprimer son mouvement fou à la M.A.S., ou bien sa léthargie perpétuelle.

De ces quelques illustrations, on voit bien là encore que le handicap bouche tout l’espace de la pensée... « ’Penser’ est certainement la fonction qui s’altère le plus rapidement auprès de ces résidents qui nous entraînent, insensiblement et sans que nous en ayons toujours conscience, dans un monde à l’image de ce que nous pouvons percevoir de leur univers psychique » (Chavaroche P., 1996, p. 131).

De plus, en l’absence de distance, de recul, comment envisager l’écart, le manque, le désir... donc la prise en charge dont le projet d’établissement serait porteur ? Du coup, selon les lois en vigueur dans l’univers fusionnel dans lequel nous aspire le handicap, c’est bien l’urgence de la réponse qui importe. Ne pas penser, ne poser ni délai ni médiation. C’est sur cette injonction, semble-t-il, que naîtrait la M.A.S. : bâtie pour court-circuiter la pensée de la réalité du handicap, l’institution s’érige comme réponse immédiate, totale aux sollicitations traumatiques pour le psychisme qu’impose le handicap. Cela nous fut dit en d’autres termes : « fort de sa puissance, l’association a dû s’imaginer qu’on pouvait faire un projet architectural sans projet d’établissement avant ».

Du fait de la monstruosité, de l’irreprésentable du polyhandicap, il semble qu’on ne puisse pas rêver l’utopie dans sa forme créatrice, dans l’espace littéraire, l’urgence serait d’endiguer le flux pulsionnel traumatogène et de construire la M.A.S. en dehors des mots, de la concrétiser dans la réalité. Le sort s’en trouverait jeté de cette institution...