9.1.3.4 Synthèse provisoire : La M.A.S. ou l’épiphanie de l’institution totalitaire

Au sortir de l’examen de cette sous-hypothèse, au sein de laquelle l’utopie tint une place prépondérante, il nous semble possible d’en valider le propos général, sa formulation toutefois devant prendre acte des résultats que nous venons de dégager, afin de traduire avec plus d’exactitude la réalité du mécanisme qu’ils ont mis en lumière.

En effet, et pour reprendre à notre compte la formule de J.S.Morvan, dans la confrontation au handicap, le vu ampute le dire, au point que, face au trop plein d’images sidérantes qu’il éveille, le psychisme des fondateurs ne pouvait que se refuser à envisager celle du lieu de son accueil... Il nous a ainsi été donné de voir où l’utopie achoppait à faire son oeuvre de suture : ne pouvant être construite en dedans, elle l’a été au dehors... dans une sorte d’urgence à bâtir. Mais, comme L.Marin mais aussi R.Kaës l’ont montré, l’utopie ne peut advenir dans sa fonction élaboratrice et créatrice qu’à se déployer dans le texte. Car c’est bien dans et par les mots qu’elle émerge en tant qu’icône, et là seulement que naît sa réalité. L’espace architectural n’en revêt en fait que la seule fonction de contenant aride, alors que l’espace littéraire en préserve la fonction vivace de conteneur.

Mais nous avons vu aussi que le mécanisme de concrétisation de l’utopie, étudié ici, tire toute sa complexité de lier ce travail contre l’image de la M.A.S. – qui en fait une utopie en dehors de l’imaginaire – à la corruption des frontières dedans/dehors, moi/non-moi, fantasme/réalité, que produit la rencontre traumatique avec le handicap. On gagne ainsi en intelligence sur l’origine de l’inscription des manifestations du désir et des défenses des fondateurs dans les murs... les résultats dégagés lors de la discussion de la précédente sous-hypothèse s’en trouvant du coup confortés... et la souffrance mise en avant lors de l’examen de la première, en partie expliquée, du fait de l’appui que trouvent les soignants sur l’espace... dans la rencontre qu’ils ne manquent pas d’y faire avec le désir et les défenses de l’autre – le fondateur.

Ce déficit d’image à l’encontre de la M.A.S. semble ainsi avoir grevé l’utopie d’une même défaillance dans son rapport à l’imaginaire, pourtant lieu de son efficace, entraînant définitivement la M.A.S. hors des voies salvatrices de la transitionnalité utopique. L’institution totalitaire, sa parfaite antithèse, devait trouver là le chemin de son épiphanie.

On a pu en effet montrer assez clairement les affinités structurelles entre l’une et l’autre, ainsi que la place déterminante occupée par le système utopique comme articulation de la deuxième sur la seconde. Aussi, contrairement, ou de façon plus précise par rapport à l’énoncé de notre hypothèse, ce rapport à l’Institution totalitaire semble moins relever d’un recours à un modèle externe – qui supposerait, de par la formulation, une démarche plus ou moins active de sélection, d’emprunt et de remploi – que d’une contrainte à le reproduire, structurellement inscrite dans la démarche utopique.

Cette remarque nous conduit donc à la reformulation suivante :

Cependant, pour désigner l’insuccès auquel aboutit ce mécanisme de reproduction de l’asile en lieu et place de la M.A.S. idéale souhaitée, cet énoncé ne doit pas occulter qu’en tant que mode de gestion d’une situation traumatique, et malgré les défaillances qui le caractérisent, il revêt pour partie un aspect défensif, donc positif, de sauvegarde du psychisme de ceux qui y ont recours : le groupe instituant.

La question qui se pose alors, pour cerner tout à fait ce en quoi l’utopie convoquée ici ne peut s’ordonner sur l’aire intermédiaire susceptible de résoudre ruptures et paradoxes, est celle de la situation inaugurale de la confrontation des fondateurs au handicap – avant même que naisse le projet de la M.A.S. – et de ce qu’elle leur fait vivre de traumatique. Cela nous permettra d’en terminer avec l’examen de ces diverses ’étapes’ du processus. Il nous faut ainsi remonter plus avant, et passer à la discussion de notre dernière – mais première – sous-hypothèse.