9.1.4.4 Synthèse provisoire : la M.A.S., l’enfant merveilleux pour l’enfant monstrueux

Arrivés au terme de l’examen de cette première sous-hypothèse, et fort des résultats dégagés lors de la discussion des précédentes, il nous est donc possible d’identifier cette part irreprésentable, qui semble être tout à la fois l’origine, le catalyseur et l’objet du projet de fondation d’une M.A.S. : le désir inconscient de meurtre qui naît de/dans la confrontation traumatique avec le handicap.

La création d’une telle institution semble ainsi se présenter comme le lieu et l’occasion d’une gestion de la folle alternative que fait vivre l’enfant handicapé : choisir, face à l’enfant réel, entre une symbiose aliénante et un abandon culpabilisant. Les M.A.S. apparaissent alors comme idéales à plus d’un titre : permettant d’y mettre en dépôt le désir de meurtre à l’égard du handicapé, elles se font le support d’une renarcissisation possible des fondateurs dans le ’merveil-lieux’ dont elles se parent, d’être un projet réussi quand bien même aurait-il été enfanté dans la douleur. Elles se présentent alors comme l’enfant merveilleux, terre d’accueil utopique de son double : l’enfant réel monstrueux... ce dernier pouvant redevenir His Majesty the Baby au sein de la psyché des fondateurs, tandis que les professionnels auraient à charge d’en gérer le revers.

Mais ce qui nous a été donné de voir ici, c’est aussi comment toutes les conditions, individuelles et collectives, traumatogènes et défensives, semblent réunies dans le vécu de rupture que provoque la rencontre brutale avec le handicap, pour que cette création emprunte les voies de la mentalité utopique. Toutefois, la mort et le meurtre n’étant pas circonscrits dans le texte, mais placés dès l’origine dans les murs, le mode de mentalisation utopique des fondateurs ne peut que se commuer en principe de fonctionnement idéologique dans la M.A.S. ; car, comme le dit J.J.Wunenburger, « ce que l’utopiste du livre fantasme dans les limites prudentes de l’écrit, l’utopiste actif tente de le [faire] vivre dans les limites de l’ici et maintenant » (1979, p. 82). Et ce que fantasment ici, en l’occurrence, nos utopistes fondateurs, c’est la mise à mort du monstre-handicapé.

Nous pouvons donc livrer une nouvelle formulation de la sous-hypothèse que nous venons de discuter, plus précise au regard des résultats ici obtenus :

Il importe alors de préciser, et le cas de Saint-Jean-Bonnefonds en fournit une très éclairante illustration, que cette posture dont nous venons au fil de ce chapitre d’examiner le processus, n’est pas le propre des seuls parents d’enfants handicapés. Quand la mort réelle vient trop parfaitement coïncider avec le désir inconscient de meurtre qui siège en chacun de nous – face au monstrueux au dehors qui fait écho à ce qu’il en est, en dedans, de notre propre monstruosité –, alors tout un chacun peut désirer l’utopique avènement d’un ailleurs résolument idéal où la mort et la mise à mort, secrètement désirées mais puissamment redoutées, n’auraient plus droit de cité.