9.2.1 De l’origine à l’actuel : l’architecture... d’une souffrance à l’autre

Le développement du processus considéré, pris jusqu’ici à rebours par le biais de nos quatre sous-hypothèses, nous a permis de mettre en évidence la place centrale – au sens de fondamentale et d’articulaire – de la dimension architecturale, dans l’effet de transmission et de résonance qui s’institue entre une souffrance inaugurale, du côté des fondateurs dans leur confrontation première avec le handicap, et une souffrance actuelle, du côté des professionnels dans la prise en charge au quotidien.

L’ordonnancement même de chaque sous-hypothèse a été l’occasion de la mise en évidence de ce ’passage obligé’ tout à la fois diachronique – de l’origine à l’actuel – et synchronique – réalité psychique / réalité matérielle et réciproquement.

Dans la dimension synchronique, alors que les hypothèses [SH1] et [SH2] rendent compte, du côté de l’origine, du mécanisme de fixation du psychique dans le matériel du refoulé originaire, [SH3] et [SH4] permettent de mettre en évidence le retour de ce refoulé, du côté de l’actuel, dans le mécanisme de figuration du psychique par le matériel.

Dans la dimension diachronique, de par le fait que [SH2] et [SH3] sont électivement centrées sur la dimension architecturale dans ce qu’elle transmet de l’actuel à l’origine, et déterminées qu’elles sont chacune dans la synchronie évoquée ci-dessus, on comprend comment par leur intermédiaire, [SH1] et [SH4] se trouvent mises en lien dans la souffrance psychique qu’elles décrivent, et qui se trouve ainsi mise en écho entre fondateurs et professionnels.

La figure ci-contre rend compte de façon globale de ces multiples articulations ordonnant de façon parallèle le processus modélisé ici et l’édifice conjectural qui en a révélé la mécanique... mettant en évidence la dimension synchro-diachronique articulaire de l’architecture.

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Figure 31 : Dimension synchro-diachronique de l’architecture – Mise en évidence par les hypothèses

En regard de notre problématique, dont on reprendra ici l’énoncé, il nous a bien été donné de modéliser la particularité de ce lien établi, lors de la fondation d’une M.A.S. par le groupe institutant, entre contenus psychiques et dispositifs architecturaux, lien qui semble générer dans l’actuel un vécu de souffrance chez le groupe soignant, par un effet de retour dans le quotidien de l’institution, mettant à mal la réalisation de la tâche primaire qui est la sienne. Reprenant les objectifs que nous nous étions assignés pour mener à bien ce dessein, nous pouvons insister sur :

La mise en lumière de la nature formelle de ce lien : une configuration particulière du système utopique mettant en jeu principalement son assise spatiale concrétisée, caractérisée par la mise en échec du mode de mentalisation qui lui est propre du fait de son impossible maintien dans l’espace textuel.

L’identification de sa fonction principale, d’être un mode de défense et de gestion du traumatisme de la confrontation au handicap, dans ce qu’il fait émerger d’irreprésentable : le désir inconscient de meurtre.

La description de sa dimension processuelle, en tant que mode privilégié d’articulation synchro-diachronique entre réalité psychique / réalité extérieure portant sur des productions fantasmatiques, dans le jeu de désirs / défenses qui les structurent.

Ses différentes étapes, au cours desquelles on repère une double articulation origine / archi-tecture / actuel et fondateurs / architecture / professionnels, ont fait suffisamment l’objet d’un examen poussé au fil de la discussion de nos sous-hypothèses, dans la confrontation avec le matériel clinique et l’étude des caractéristiques architecturales, pour que nous ne reprenions ici que la nouvelle formulation à laquelle nous avons abouti pour décrire, chemin faisant, les productions psychiques et mécanismes à l’oeuvre dans ce processus. Nous en proposons donc, sur les deux pages suivantes, une présentation synthétique mettant en regard d’un côté la description de sa dynamique, à travers les quatre énoncés fondamentaux sur laquelle elle repose, et de l’autre, une traduction graphique de cet essai de modélisation, rendant compte des principales articulations qui en révèlent l’identité.

[SH 1]. De l’intense vécu d’effondrement provoqué par la confrontation au handicap de l’enfant, le désir inconscient de meurtre à l’égard de celui-ci apparaît comme l’irréductible part irreprésentable et non élaborable du traumatisme.

Dans un tel contexte de rupture et de souffrance psychique, le désir de fonder une M.A.S. peut conduire à adopter un mode de mentalisation de type utopique, permettant la création d’un lieu idéal de réparation pour l’enfant handicapé... voie ne permettant cependant ni un réel dégagement ni un travail d’élaboration, l’utopie faisant de l’espace réel le lieu d’enkystement du désir de meurtre à l’égard du handicapé.

[SH 2]. Le caractère traumatique de la confrontation au handicap est susceptible de conduire à une incapacité de mise en pensée et de mobilisation de l’imaginaire sur le lieu idéal que devrait être la M.A.S., signant par là l’impossibilité pour l’utopie d’être contenue dans l’espace littéraire. Ne pouvant se déployer sur l’aire transitionnelle qui garantit son potentiel élaborateur, elle trouve alors à se concrétiser dans un passage brut depuis la sphère du fantasme dans celle de la réalité matérielle.

Le symptôme majeur d’un tel achoppement dans les voies empruntées pour la concrétisation de ce lieu d’accueil des personnes handicapées, consiste en la réplication inéluctable du modèle architectural qui se présente comme l’inverse spéculaire de la M.A.S. désirée : l’institution totalitaire, dans laquelle se manifestent de surcroît tous les travers de l’utopie réalisée.

[SH 3]. Face à la souffrance qu’impose la reconnaissance de la réalité du handicap sur l’axe temporel – sur les registres de la répétition, de la régression, des différences fondamentales – les M.A.S. figurent le recours originellement opéré au mode de suture du temps que propose l’utopie dans et par l’espace, contre l’histoire et le temps linéaire... posture face à la question de la temporalité autour de laquelle se rencontrent imaginaire des fondateurs et imaginaire des soignants.

La surdétermination de la dimension spatiale, qui en découle, fait de l’architecture le lieu d’accueil et de fixation de modalités défensives mises en jeu contre la rencontre traumatique avec le polyhandicap... susceptibles d’être réutilisées par les soignants. Dans cette voie, des caractéristiques privilégiées de l’architecture des M.A.S. font de celle-ci un lieu de figuration des contenus inconscients qui s’y trouvent incrustés :

  • La fermeture du dispositif spatial dans la claustration défensive : le clivage personne/handicap

  • Les carences en locaux et équipements médico-éducatifs : le déni de la réalité du handicap

  • L’indifférenciation morphologique et la privacité des unités : le déni des différences fondamentales

[SH 4]. Dans le travail de prise en charge quotidien des personnes handicapées, le destin de productions inconscientes émanant de l’origine, revêtant le statut de refoulé originaire, incrustées dans la dimension matérielle de l’institution, est repérable selon deux axes privilégiés :

  • Générer un vécu de souffrance, gagnant sa charge traumatogène : soit d’un effet de retour direct, soit d’une réactivation par répétition actuelle d’un événement renvoyant à l’origine, soit d’un ébranlement des modes d’organisation inconsciente des liens sensée éviter sa libération.
    Dans ces trois cas de figure, c’est dans la relation thérapeutique entre soignants et soignés que ce retour vient faire question, interrogeant notamment le désir des premiers à l’égard des seconds – sur de multiples registres génétiques : désir de meurtre, désir sexuel.

  • Fournir un potentiel défensif réutilisable, mais de façon non-créative, aux personnels éducatifs et soignants, mis en position d’en répéter les modalités, contre le surgissement d’angoisses et de fantasmes répondant aux mêmes effets traumatiques de la confrontation au handicap.

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Figure 32 : Processus de fondation utopique d’une M.A.S. - Modélisation